Depuis quelques années, le photographe Juan Medina, qui vit dans les îles espagnoles des Canaries, au large du Maroc, s’intéresse au sort, souvent morbide, des candidats africains à l’immigration. Pour ce travail, il a reçu, à Perpignan, dans le cadre du Visa pour l’image (27 août-11 septembre), le Grand Prix 2005 CARE International du reportage Humanitaire.
De Perpignan,
La première photo est saisissante. C’est le premier jour de l’année 2003. Vision d’ensemble : la plage d’El Matorral, à Fuerteventura, aux Canaries. En arrière-plan, le soleil couchant perce les nuages, la mer vient lécher le sable et un couple de touristes se découpe en ombre chinoise sur le rose du paysage. Ils font une petite promenade, alors qu’au premier plan on voit la forme d’un corps intégralement emmailloté dans une couverture de sauvetage dorée. Scène presque banale dans les Iles Canaries. Les promeneurs passent leur chemin devant les corps échoués et sans vie des candidats africains à l’immigration.
« Il y a quelques années, j’ai commencé à photographier la détresse des milliers de personnes qui essaient d’atteindre la côte des Iles Canaries, où je vis, au péril de leur vie, et je n’ai pas cessé d’être le témoin de cette tragédie humaine qui se répète avec une régularité déconcertante », explique Juan Medina. Ce photographe autodidacte de 42 ans est né en Argentine, mais habite l’Espagne depuis 1987 et travaille aujourd’hui pour l’agence Reuters. Dans le cadre du Visa pour l’image de Perpignan (27 août-11 septembre), où son travail Immigrés africains aux Canaries est exposé, il a reçu le 1er septembre le Grand Prix 2005 CARE International du reportage Humanitaire. Ce prix, d’une valeur de 8 000 euros, vise « à sensibiliser le public à des problématiques trop souvent oubliées ».
La mort au large
Juan Medina a donc choisi de raconter en images cette « longue et périlleuse odyssée » qui commence dans un pays africain que ses habitants cherchent à fuir à cause d’une guerre, d’une famine, des trafics, de l’exploitation. Certains meurent avant d’atteindre la côte, lors de la traversée du désert. Pour ceux qui en réchappent, restent à parcourir les 100 km d’océan qui séparent le continent noir de l’archipel espagnol, au large du Maroc. Les traversées, qui se font sur de frêles esquifs surchargés de 6 mètres de long, sont mortelles pour nombre d’entre eux. Leurs corps noyés sont rejetés sur les plages et les côtes déchiquetées des îles et ce sont eux que Juan Medina photographie, non pas par goût du morbide mais pour dénoncer cette situation intolérable. Les photos donnent le haut-le-cœur.
Sur deux d’entre elles, un corps flotte au large, gonflé d’eau, et nargué par une mouette qui n’est plus rieuse. C’est ainsi que terminent certains immigrants. Rongés par le soleil, le sel et les prédateurs. Tout aussi effrayants sont les visages des rescapés. Comme les regards hagards de trois hommes à la mer, en train d’être repêchés de nuit par un bateau de la Guardia Civil. Ou encore ce jeune homme allongé sous une couverture au QG de la Guardia Civil espagnole à Gran Tarajal, après l’interception d’un groupe de clandestins… Sur son visage se lisent à la fois l’incompréhension et la résignation. Son odyssée, il va être obligé de la revivre. A l’envers cette fois-ci.
17e Visa pour l’image, du 27 août au 11 septembre, Perpignan.
Immigrés africains aux Canaries, Juan Medina, Palais des Corts.