La 8ème édition des Jeux des Îles de l’océan Indien, qui s’est déroulée à La Réunion début août 2015, a été le théâtre d’un clash diplomatique entre la France et les Comores. Violant sur le terrain sportif et au nez de toutes les délégations présentes la convention internationale de la Charte de ces Jeux régissant la participation de Mayotte, la France a réaffirmé avec ruse sa souveraineté sur cette île de l’archipel des Comores, devenue 101ème département français en 2011.
« Le passage en force » de Paris dénoncé par des élus réunionnais et les autres Etats à l’occasion de ces jeux remet en cause l’intégration de Mayotte dans son environnement régional et en corollaire de La Réunion dans l’ensemble géopolitique africain et indiaocéanique. Une nouvelle donne s’ouvre dorénavant dans les rapports de force de la France avec les Comores, proportionnelle aux futures exploitations de gaz et de pétrole dans l’archipel des “Sultans Batailleurs”…
La France, ancienne puissance coloniale de l’Afrique et de l’océan Indien, maintient sa présence souveraine dans cette zone stratégique entre l’Afrique et l’Asie par le biais de ces deux entités territoriales, La Réunion et Mayotte. Alors que La Réunion, avant la décentralisation, cristallisait les critiques anticolonialistes de l’ex OUA (Organisation de l’Unité Africaine) et des Etats nouvellement indépendants, son intégration est relativement acceptée et reconnue en tant que tel (non sans efforts diplomatiques et politiques) au sein des instances régionales comme la Commission de l’océan Indien (COI) en tant que membre à part entière (France/Réunion) ou le Marché Commun de l’Afrique Australe et Orientale (COMESA) en tant que membre observateur.
Les Jeux des Iles de l’océan Indien, organisés tous les 4 ans par le Comité International des Jeux (CIJ) regroupant les autorités gouvernementales sportives de ces pays sont une vitrine non seulement des rapports de forces sportifs mais également diplomatiques de la sous région. Mayotte, restée française malgré l’indépendance des Comores fait l’objet d’un contentieux franco-comorien depuis 1976 et est devenue Département français le 1er janvier 2011. Un épineux problème qui sera beaucoup plus difficile à régler pour Paris car les Comores sont constamment soutenus par Addis Abeba (siège de l’UA), les principales capitales africaines dont la puissante Afrique du Sud, l’Assemblée Générale des Nations Unies et la Ligue Arabe.
En effet depuis 1975, date de l’indépendance de l’archipel, les Nations Unies condamnent la violation par la France du principe de l’intégrité territoriale (des 4 îles formant l’archipel comorien) de ces ex entités coloniales. Ainsi, par 87 voix contre 2 – France et Monaco – et 38 abstentions, la dernière résolution adoptée par l’Assemblée générale le 28 novembre 1994 « réaffirme la souveraineté de la République fédérale islamique des Comores sur Mayotte. » Le « cas mahorais » n’est plus abordé à l’ONU depuis 1995 à la demande des Comores qui ont voulu ainsi témoigner d’un geste d’apaisement à l’égard de la France. Après les incidents des Jeux à La Réunion début août, la position comorienne pourrait évoluer et se durcir. Jusqu’à ces incidents, le consensus et le compromis étaient toujours recherchés par le dialogue politique et la concertation entre îliens.
Que ce soit à l’ONU, au CIJ ou à la COI, ce contentieux était réglé depuis plus d’une décennie par un dialogue « franc et constructif », selon les mots de l’ancien Président comorien prononcés à l’ONU en 2008. Un modus vivendi prévalait au sujet de Mayotte. Les Comoriens avaient admis la participation en tant que délégation à part entière de Mayotte à la seule condition qu’elle ne montre aucun signe distinctif de leur appartenance à la République française (ni à la Républiques des Comores d’ailleurs) pouvant heurter les esprits lors des manifestations sportives..
Ce modus vivendi consacré, entre autre, dans la Charte des Jeux des Iles, a volé en éclat suite au défilé des athlètes mahorais sous la bannière du drapeau français qui entonnaient en même temps « la Marseillaise ». Une orchestration voulue par le Chef du Gouvernement français Manuel Valls qui avait déclarait deux mois avant les jeux à Mayotte: « Les athle?tes mahorais qui remporteront des épreuves chanteront l’hymne national, en tenue de l’e?quipe de France et sous le drapeau franc?ais », avait-il exhorté. Les instructions du chef du gouvernement français ont donc été exécutées à la lettre à La Réunion par la délégation mahoraise, en violation des dispositions protocolaires de la Charte des Jeux, fruit d’une longue concertation diplomatico-sportive effectuée par le CIJ (Conseil International des Jeux des Iles). La France a montré ses muscles, encore une fois, en violant une convention internationale sur ce dossier épineux.
Pour les Comores il s’agit d’un « grave incident diplomatique». Se sentant « humiliée », la délégation comorienne a quitté sur le champ le stade de football et la présidence comorienne a décidé de se retirer officiellement des jeux en rapatriant ses athlètes par un avion seychellois.. L’ambassadeur de l’Union des Comores à Paris a même été rappelé d’urgence. Dans le communiqué officiel de la présidence de l’Union des Comores, c’est bien « la violation de la charte et du règlement intérieur de l’organisation des Jeux des Îles de l’Océan Indien » qui est pointée.
Alors que dans les années 80, La Réunion était sous le feu des critiques des autres îles et avait du mal à être acceptée notamment en raison de la présence d’athlètes de France continentale au sein de la délégation réunionnaise, le cas de Mayotte semble inextricable tant qu’une résolution définitive de ce contentieux n’interviendra pas entre les deux États. L’entité “France/La Réunion” fut reconnue comme telle suite à un long processus de dialogue politique et de coopération décentralisée (avec les collectivités locales, Mairies, Département, Région) permettant aux autorités réunionnaises de participer aux instances de concertation régionale comme la COI (Commission de l’Océan Indien). De même, les lois de décentralisation d’action internationale ont permis d’alimenter le dialogue et la participation des autorités élues de l’île à l’action diplomatique française (dans le strict respect de leurs compétences) par le biais de la coopération régionale avec des pays cibles de la région, jusqu’à l’Inde et la Chine.
L’épisode du “drapeau de la discorde” met en évidence la volonté de Paris de passer à une étape supérieure de l’affirmation de sa souveraineté dans l’océan Indien. Alors que ces dernières années, on assistait à une concentration des interets supérieurs de la France dans la région basée à La Réunion (économiques et militaires), ainsi qu’une expérimentation d’action internationale consacrée par les lois de décentralisation aux autorités élues de l’île, Paris semble “reprendre en main” les choses. Les raisons de ce regain d’intransigeance diplomatique est à mettre aussi en perspective avec les récentes découvertes et exploitations de gaz dans la Zone Économique Exclusive comorienne et mahoraise depuis plus d’un an. Mais également de la répartition des zones d’exploitations que se disputent la France et les Comores . Le positionnement stratégique militaire français au coeur du Canal du Mozambique et ces récentes découvertes majeures de sources d’énergie expliquent beaucoup plus le regain d’intérêt de la France que l’intérêt électoraliste français (près de 76 000 électeurs inscrits en 2015).
Au delà de cet épisode sportif dont les conséquences se feront ressentir dans les relations bi et multilatérales de la France dans cette région, l’ex puissance coloniale aura à faire face dans son agenda international aux « représailles » des Comores dans les instances onusiennes et surtout africaines. L’île Maurice, les Seychelles et Madagascar ont exprimé leur soutien à la position comorienne. Maurice a exprimé sa « surprise » et les Seychelles ses « inquiétudes » selon ses Ministres des Sports. Ces Jeux ont également été le théâtre d’un autre incident diplomatique avec Madagascar sur une question de protocole de son drapeau. Ayant décidé de bannir tous les symboles nationaux après le retrait des Comoriens, le drapeau malgache fut confisqué manu militari par une chargée du protocole lors d’une remise de médaille. Un affront incompréhensible alors qu’en même temps la Présidente de la collectivité départementale de La Réunion se permettait de se draper dans le drapeau français provoquant encore plus les frustrations des autres délégations.
La France est donc confrontée à un dilemme géopolitique: comment rester dans cette zone et exercer son influence culturelle, militaire et économique, face aux positions africaines anti-colonialistes ? Comment assurer la pleine intégration économique et politique de ses îles au sein des grands blocs régionaux en plein développement comme la SADC ou le COMESA ?
Ces questions sont de plus en plus posées et revendiquée par les autorités déconcentrées et décentralisées de La Réunion. En effet, comparée à l’île Maurice, La Réunion se retrouve de plus en plus exclue des grands courants d’échanges économiques régionaux et de plus en plus enclavée au niveau des liaisons aériennes et portuaires. Pour exemple, Le ciel aérien mauricien accueillera en fin d’année 2015, 13 compagnies aériennes étrangères reliant plus de treize grandes capitales mondiales. L’aéroport Roland Garros n’attire que deux compagnies étrangères moyennes : Air Mauritius et Air Madagascar. Les chiffres du commerce extérieur réunionnais montre encore plus cette exclusion régionale: l’île ne commerce qu’à hauteur de 5% avec ses voisins et 95% avec la France métropolitaine.
De même, pour Mayotte, il serait inconcevable et illusoire de projeter l’avenir de ce territoire sans la prise en compte de son appartenance historique et socio-culturelle à l’archipel des Comores. Ne serait-ce que sur la question de l’immigration clandestine qui a fait plus de 12 000 morts selon le gouvernement comorien ces dernières années, aucune muraille ne pourrait séparer en pleine mer les 70 km de distance entre Mamoudzou et l’île d’Anjouan.
Si ce clash diplomatico sportif ressemble a un combat entre le Goliath français et le David comorien, il aura inéluctablement des conséquences fâcheuses sur la bonne et nécessaire intégration régionale des deux territoires français de cette zone, plus particulièrement en Afrique australe. De source proche de l’Ambassade de France en Afrique du Sud, citée par la presse réunionnais, les autorités de Pretoria considerent La Réunion toujours comme une “colonie” . Comment alors envisager d’évoquer une plus grande intégration économique de La Réunion avec son environnement régional si le dialogue politique est vicié par ce contentieux historique et une incompréhension de ses voisins, surtout l’un des plus puissants: l’Afrique du Sud ?
Les deux entités françaises sont elles condamnées à être exclue de leur environnement régional africain (cf infographie sur l’exclusion africaine de La Réunion et de Mayotte) ? Existe t-il une voie possible d’acceptation de cette double appartenance ? La Réunion a montré qu’il était possible au sein des îles de la COI de faire admettre cette double acceptation. Cela s’est fait dans un dialogue politique direct entre les représentants réunionnais élus ou non, mais également par la solidarité financière des subventions françaises et européennes dans des programmes de coopération. Les autorités élues et administratives de La Réunion ont montré qu’il était possible de le faire avec le premier cercle des îles Etats de son voisinage avec qui elle partage des liens socio-culturels et historiques. Une pratique différente et manifestement difficile à mettre en œuvre depuis Paris ces derniers temps, qui privilégie manifestement la « diplomatie du gros bâton” faisant sienne cette maxime africaine: parle doucement et porte un gros bâton.
La tutelle diplomatique française malgré la décentralisation des outils d’action à l’internationale qui leur est accordée, doublé du ressentiment anti-colonialiste des Africains vis a vis de la France, compromettent l’intégration économique africaine de ces territoires. Une exclusion qui menace leur développement au sein des grands courants d’échanges entre l’Asie et l’Afrique et des BRICS, moteur de la croissance économique mondiale.
Par Christophe Rocheland