Partie 1/2 – Ouaga-Abidjan. Cette ligne ferroviaire construite en 50 ans, à partir de 1904, est au centre des relations qui se sont nouées entre deux pays enclavés, le Burkina Faso et le Mali, et leur accès à la mer, la Côte d’Ivoire. Aujourd’hui au centre du conflit ivoirien, l’« Express » continue de jouer son rôle de fil d’intégration entre les populations que tout rapproche mais que l’actualité oppose.
Par Guillaume Schneiter et Mathieu Loubet
Au centre de Ouagadougou, l’ancienne gare de style soudano – sahélien de 1953 a laissé la place, dans les années 70, à un immeuble de trois étages muni de deux ailes de béton, l’une couvrant la rue, l’autre la voie. En entrant dans le hall, tombé en désuétude, il faut se frayer un chemin à travers la cohue des familles et des vendeurs ambulants, empêchés de poursuivre leurs parents et leurs clients jusqu’au train. Long de huit wagons passagers en inox et de deux wagons de marchandise, l’ Express Ouaga Abidjan attend patiemment ses voyageurs, mais aussi un chargement de gros sacs de jute remplis d’oignons.
Au coeur du plateau Mossi
Un ticket « première» en main (40 000 F CFA – 60 euros), nous rentrons dans le wagon L’usure du temps et l’arrêt du trafic entre septembre 2002 et avril 2004 ont sérieusement détérioré les aménagements. Les housses éventrées des sièges laissent apparaître une mousse continuellement humide et la climatisation n’est plus qu’un souvenir. Le bar a heureusement survécu, avec de grandes glacières en guise de frigos. On y sert l’essentiel et même deux repas chauds par jour, mystérieusement préparés dans les quelques mètres carrés disponibles par Boniface, le « Barman », qui fait le voyage aller-retour chaque semaine.
A 8h, la locomotive GMC 2200 démarre lourdement et nous entraîne hors de Ouagadougou. Pendant ce temps, une foule bigarrée continue de s’installer, de se disperser dans les wagons, compressant les sacs sur les portes bagages. Des femmes accrochent habilement des pagnes aux fenêtres pour se protéger du soleil, certains se calent dans l’espoir de finir leur nuit. Mangues, papayes et bananes s’étalent le long des compartiments. Les voyageurs discutent, parfois hurlent pour se faire entendre. Mais le silence se fait progressivement, à mesure que le train quitte les faubourgs de la capitale et s’enfonce dans la savane torride du plateau Mossi.
Impitoyable chaleur
Après des siestes écourtées, malmenées par d’impitoyables transpirations (chaleur de 40°) et agrémentées de riz sauces épicées, nous arrivons vers 16 heures en gare de Bobo-Dioulasso. Le bâtiment d’architecture soudano – sahélienne également, qui date de 1933, est toujours debout. Un long mur blanc est marqué de fenêtres effilées et de petits trous d’aération en croix. En descendant vers la Côte d’Ivoire, nous verrons les bâtiments s’ouvrir, s’aérer, à mesure qu’il devient plus important de lutter contre la pluie que de se protéger du soleil et de la chaleur.
La nuit qui approche alors que nous arrivons à Niangoloko, dernière ville burkinabé avant la frontière ivoirienne, nous aide aussi à y échapper. C’est la ville de Monsieur Diarra, monté un peu plus tôt dans le train. Il a travaillé toute sa vie sur cette ligne. D’abord pour la compagnie historique, la Régie Abidjan Niger (RAN), puis pour la Sitarail, qui reprend l’exploitation en 1995, et aujourd’hui pour l’UTSC, qui gère le train passager depuis 2004. « Le train est ma vie, mon destin même », confie cet homme distingué. Il en veut pour preuve le mariage prochain de son fils avec la fille de deux employés de la SNCF. Bonne illustration de l’internationalisme cheminot ! Comme beaucoup de leurs camarades à travers le monde, les agents, souvent âgés, ont une haute estime de leur métier et un fort esprit de corps. Leurs syndicats ont d’ailleurs longtemps été à la pointe des luttes sociales, ce qui leur a laissé une convention sociale bien au-dessus de la moyenne régionale, et ce malgré les changements de statut de l’entreprise.
En zone rebelle
Arrivés à la frontière, une surprise. Comme pour mieux nous signifier notre entrée dans une zone de conflit, aucun visa où tampon officiel ne vient valider notre passage. Nous sombrons ensuite dans un profond sommeil, que seul un jeune soldat vient interrompre en pleine nuit d’un « Caporal Sanou…à votre service ! ». Premier contact avec un « rebelle ». Et dès la descente du train à Bouaké, le commissaire de la gare nous accueille. Un homme mûr et barbu, amusé de nous voir nous réveillerl. « Bonne arrivée à Bouaké ! » proclame-t-il, jovial, en nous serrant la main. Une petite promenade en sa compagnie près de la gare est l’occasion de voir les troupes. Les fameuses et redoutées « Forces Nouvelles ».
C’est en fait un véritable défilé de treillis excentriques et de tenues plus ou moins réglementaires : bagues, casquettes de côté, T-shirt coloré sous la veste ouverte, lunettes de soleil… A tel point qu’on ne sait plus si c’est la mode qui prend le dessus sur l’uniforme, ou si c’est l’uniforme qui devient une mode. On a plutôt l’impression que les « rebelles » sont en osmose avec la population. Peu d’hommes sont armés et il semble que leur autorité tienne plus du consensus que du monopole de la violence. Si bien qu’il est souvent difficile de déterminer qui est ou n’est pas militaire. Ou sur quoi se base l’autorité et où siège-t-elle.
Seul le régiment « Anaconda », aperçu dans un 4×4 massif, avec de solides gaillards munis de lance-roquettes, donne l’impression d’un corps d’élite. A part cela, une vision furtive permet de constater les dégâts causés par les « événements » de 2002. Un immeuble éventré (une base française), quelques vitres brisées, pas grand-chose. Le drapeau des Nations unies flotte pour rappeler que le pays est quasiment sous tutelle internationale.