Les éditions Paris Méditerranée publient un livre rhapsodique de Djilali Bencheikh, écrivain algérien installé en France, où à travers l’évocation de Salim, son double, il nous offre sa traversée personnelle d’un demi-siècle d’histoire de l’Algérie.
Comme l’auteur l’indique rapidement, ce livre est un bouquet de fleurs : les unes séchées, les autres vivaces, moments privilégiés cueillis par sa mémoire au fil des années, depuis les heures intenses de l’école communale jusqu’aux retrouvailles avec sa mère, restée au bled, aux pires moments des campagnes meurtrières des voleurs de Dieu…
Suite d’instantanés que l’auteur restitue avec une singulière liberté, sans souci du paraître, offrant au contraire de lui-même une peinture singulièrement sévère, s’appliquant en premier lieu le désir d’authenticité et d’exactitude qui fonde sa démarche littéraire. Réaliste jusqu’au bout, il peint sans affectation ni sensiblerie le retour au bled, entre l’angoisse qui habite son frère Djamel, redoutant au volant le barrage mortel qui pourrait les arrêter, et la transperçante sensibilité de sa mère, aïeule au regard clair.
Au passage, quelques moments offrent comme les étapes d’une formation psychologique : l’étape andalouse, à la fin de laquelle l’atteint la nouvelle de la mort de Kateb Yacine : « Ceux qui devaient commanditer quelques années plus tard les massacres les plus horribles de l’Algérie contemporaine s’étaient opposés, au nom de l’Islam, à son inhumation au carré des Martyrs… » Mais aussi l’étape que constitua, longtemps avant, pendant les années de lycée, la mort du frère, injuste, fulgurante, emporté par le choléra. Ou celle de la mort du père, et les reproches silencieux alors lisibles dans ses yeux.
L’urgence d’écrire
La difficulté d’écrire, que renverse et dépasse ce livre, est brutalement devenue une urgence, à la lecture de ce journal algérien qui a annoncé à Djilali Bencheikh, à Paris, dans un café, la nouvelle du massacre qui avait frappé Sidi Ghanem, son village natal. Nécessité de retranscrire, au plus près, une expérience de l’Algérie qui permet d’en saisir les contradictions, d’année en année, de drame en drame.
Au total, un livre plein d’expérience, mais qui ne délivre pas de leçon. Un livre plein de raison et d’émotion, mais qui n’offre pas de conclusion. Justement et clairement écrite, depuis l’évocation des images de l’enfance jusqu’aux descriptions contemporaines, l’oeuvre de Djilali Bencheikh est toujours pleine de pudeur, jusque dans cette hésitation perpétuelle entre le « je » et le « il », la narration et le souvenir, le personnage et l’auteur… Elle dit plus, dans ses silences mêmes, sur la vérité de l’âme algérienne, complexe et déchirée, en cette fin de siècle maussade. Mon semblable, mon frère… Ce double inachevé dont l’on écrit l’histoire est aussi le masque de nos impuissances et de nos remords.
Commander Voyage au bord de l’enfance : éditions Paris Méditerranée