L’organisation de défense des droits de l’Homme Human Rigths Watch (HRW) a publié ce vendredi un rapport alarmant sur l’exploitation au Maroc des petites filles domestiques de moins de 15 ans. Âgées parfois d’à peine huit ans, elles travaillent pendant de longues heures, dans des conditions extrêmement difficiles et pour des salaires très bas. Certaines subissent des sévices physiques, voir sexuels. La présidente de l’Association marocaine des droits humains (AMDH), Khadija Ryadi, fait le point.
Afrik.com : Que pensez-vous du rapport de Human Right Watch ?
Khadija Ryadi : C’est un document de référence pour nous car actuellement nous n’avons pas d’autres chiffres que ceux de Human Rights Watch pour évaluer la situation des petites filles domestiques. Au Maroc, aucune enquête n’a été effectuée par les autorités sur cela. Ces petites filles rencontrent de gros problèmes. Leurs heures de travail sont très longues et elles subissent régulièrement des violences. Certaines sont même victimes de viol de la part de leurs employeurs. Ces dernières années, il y a eu trois cas de décès. Même les intellectuels s’adonnent à ces pratiques. Une fois, un juge a commis des actes de violences sur une petite fille qu’il employait. L’affaire avait d’ailleurs été très médiatisée au Maroc.
Afrik.com : Pourtant la loi au Maroc interdit l’exploitation des jeunes filles de moins de quinze ans ?
Khadija Ryadi : Effectivement cette loi existe. Non seulement personne ne la respecte mais, en plus, elle ne couvre pas les travaux domestiques des petites filles, y compris des adultes d’ailleurs. En clair, tous ceux qui sont employés à domicile ne sont pas pris en compte ni couvert par cette loi. Le travail artisanal non plus d’ailleurs n’est pas pris en compte par la loi. C’est pour cela que nous demandons impérativement une loi spécifique qui interdit le travail des petites filles. Il faut savoir qu’au Maroc, des réseaux se sont constitués et proposent même des cartes de visites aux parents, leur promettant de trouver du travail en ville pour leurs petites filles. Ce sont en réalité des trafiquants qui assurent que les filles seront bien traitées et rémunérées par leurs employeurs alors que c’est faux. Le pire, c’est que ces réseaux sont légalisés. Nous demandons donc à ce qu’ils soient interdits. Nous réclamons que les autorités interdisent toute organisation qui encouragerait le travail des petites filles.
Afrik.com : La plupart de ces petites filles sont issues des zones rurales pauvres. Dans quel but les parents les envoient en villes pour effectuer ce travail ?
Khadija Ryadi : Les parents les envoient en ville en pensant qu’elles les aideront à améliorer leurs conditions de vies. Mais l’exploitation des petites filles domestiques au Maroc est de l’esclavage. L’absence d’écoles en zones rurales ne fait que aggraver la situation. De plus, pour les pères de familles, qui ont une grande famille à charge, se débarrasser d’un de leur enfant à nourrir, est un soulagement. L’Etat doit sensibiliser les populations de ces zones pour qu’elles n’envoient plus leurs petites filles en ville pour travailler. Mais l’Etat ne s’implique pas beaucoup dans ce domaine, arguant que les mentalités sont déjà ancrées et qu’il est très difficile de les changer. Or, c’est sa responsabilité de prendre ce problème à bras le corps.
Afrik.com : La pauvreté dans les régions est donc à l’origine du dur labeur de ces petites filles ?
Khadija Ryadi : Le Maroc dispose pourtant de multitude régions qui contiennent des richesses naturelles, mais elles ne sont pas redistribuées équitablement aux populations. Il n’est pas rare que les habitants de ces régions manifestent ou tiennent des sit-in pour que l’Etat leur redistribue les retombées des richesses provenant de leur région. Dans une de ces régions, on a découvert une mine d’argent, la première du continent africain. Mais elle est exploitée par la holding royale au détriment des populations. Les Marocains réclament un partage des richesses.
Afrik.com : Qu’attendez-vous de l’Etat pour que cesse le travail des petites filles ?
Khadija Ryadi : Pour que cesse ce fléau, l’Etat doit réformer l’éducation afin que toutes les petites filles puissent aller à l’école plutôt qu’au travail. L’éducation publique marocaine est en faillite. Cela fait des années que les syndicats émettent des critiques, en vain. Chaque fois qu’un ministre de l’Education arrive, il chamboule tout ce que son prédécesseur a fait, en disant que ce dernier était incompétent. Résultat, des milliards sont injectés dans le système éducatif mais cela n’aboutit à rien. La qualité de l’enseignement s’est dégradée. Beaucoup d’enfants quittent les bancs de l’école très tôt. Le Maroc n’arrive toujours pas à mettre fin à l’analphabétisme. Plus de la moitié des Marocains ne savent pas lire !