Il était déjà, comme ministre de l’Economie et des Finances, dans les bons papiers du FMI, de la Banque Mondiale et du feu roi Hassan II. Depuis novembre 1999, Mohammed Berrada est promu directeur général de l’Office Chérifien des Phosphates. Portrait d’un ambassadeur devenu homme d’affaires.
La carrière de Mohammed Berrada, à force d’honneurs et de tapis rouges déroulés, pourrait paraître suspecte. Ambassadeur du Maroc en France de 1994 à 1999, il se trouve depuis novembre 1999 à la direction générale de l’entreprise marocaine la plus symbolique, la plus importante aussi. L’Office Chérifien des Phosphates (OCP) ne représentait en effet pas moins de 18,5% des exportations marocaines de l’année 2000 avec 1,4 billions de dollars en 1999 pour l’exportation de phosphates et de leurs dérivés. Quid de ce virage professionnel spectaculaire, du diplomatique au tout économique? Comment une carrière traditionnellement littéraire peut-elle propulser un individu vers une responsabilité de gestion industrielle aussi vertigineuse ?
Les mauvaises langues seront déçues
Les mauvaises langues seront déçues : Mohammed Berrada ne la doit qu’à la richesse de son parcours personnel. Il est avant tout un universitaire émérite, cumulant les cursus avec avidité. Né en 1944 à Casablanca, il y fait ses études secondaires avant de rejoindre l’université de Bordeaux. Docteur d’Etat ès sciences économiques, il abreuve sa soif de connaissances à coup de diplômes d’Etudes Supérieures en Droit privé, d’Institut d’études politiques et d’Institut d’administration des entreprises. Alors, » bête à concours » ? Que nenni : les Facultés de Rabat, Casablanca et de Ben M’sik ont le privilège de l’avoir comme professeur, chef de département et doyen. Car l’homme aime à transmettre, à échanger. Plus royaliste que le roi, il publie à ses heures perdues dans une université américaine (Grinnel College) sur General Motors. Et hors les arcanes universitaires, on le retrouve en milieu associatif: parrain de l’association des jeunes cadres marocains issus de grandes écoles (Caravane) ou collaborateur de la revue d’Epargne Sans Frontières. Il est, au dire de tous, d’un commerce agréable.
Une politique musclée
Mais c’est un porte-feuille de ministre qui a fait de lui en 1986… le Monsieur Economie du Maroc. Avec à son actif le programme musclé d’ajustement et de réformes structurelles de 1992 qui le met dans les petits papiers du FMI, de la Banque Mondiale et du programme MEDA de l’Union Européenne. Au point qu’en 1993 les fonds internationaux ne jugent plus utile de reconduire leurs aides. Mohammed Berrada a résolument engagé le Maroc dans la voie de l’économie libérale, à coup de rationalisation des dépenses publiques (qui passent de 40% du PIB à 20%), de redéfinition de la politique fiscale, de réduction du déficit du Trésor, de convertibilité de la monnaie pour les opérations courantes, de développement des marchés financiers et de privatisations. Ses détracteurs parleront de baisse des salaires réels, de transferts sociaux et d’érosion du niveau de vie, de l’assujettissement de milliers d’agriculteurs – qui en étaient exemptés – à l’impôt, de la réduction de l’emploi dans les administrations, de dévaluations… Bref, de « l’apocalypse pour 2002 « .
Le paradoxe de la diversité
Ce pronostic et ce jugement ne furent visiblement partagés ni par feu Hassan II, ni par son fils Mohammed VI. Il ne les décevra pas, croisant toutes ses expériences : la diplomatie fera de lui l’ambassadeur de l’économie marocaine en France et l’OCP, le directeur général de la représentation du royaume sur les marchés internationaux de matières premières. Où se situe aujourd’hui son challenge ? Du paradoxe né d’un parcours aussi diversifié. Ministre, il préconisait une diversification du tissu industriel, pointant du doigt la trop grande part des phosphates dans l’économie nationale. Or la découverte récente d’hydrocarbures au Maroc devrait encore doper la valorisation et la compétitivité des 24 millions de tonnes de phosphates produites annuellement, par le soufre et l’ammoniac qu’ils contiennent. De très bons résultats seraient donc à craindre ! Dont Mohammed Berrada ne peut désormais que se féliciter !
Du tapis rouge à la fibre verte
A force de développement industriel, Mohammed Berrada pourrait au moins être coupable, aux yeux des riverains de Safi (la commune qui abrite le complexe phosphatier de l’OCP), de la dégradation de leur environnement ? La production d’acide phosphorique comme d’engrais chimiques ou autres dérivés constitue en effet une activité particulièrement polluante. Perdu ! Les années 2000 et 2001 verront Mohammed Berrada partenaire d’un projet de création d’une ceinture verte de 36000 acacias et oliviers autour de son complexe chimique. Et ce n’est pas seulement par une double fidélité aux options choisies par la Confédération générale des Entreprises du Maroc (CGEM) et à la politique maison de l’OCP. Il avait naturellement déjà planché sur les bancs de l’Université Léonard De Vinci sur la question du management environnemental dans l’entreprise. Alors en tant qu’Ambassadeur.