L’Europe des expulsions


Lecture 4 min.
Drapeau de l'Europe
Drapeau de l'Europe

Les ministres de l’Intérieur du G 5 – France, Allemagne, Grande-Bretagne, Italie et Espagne – réunis en sommet à Evian, ont relancé l’idée des expulsions d’immigrants clandestins par charters « communautaires ». La mesure n’est pas nouvelle, mais les pays d’immigration européens éprouvent de moins en moins de gêne à imaginer, appliquer et rendre ordinaires des procédures d’expulsion humiliantes et contraires aux droits humains.

Ensemble contre les immigrants clandestins. Les ministres de l’Intérieur des cinq plus importants pays européens – France, Allemagne, Grande-Bretagne, Italie et Espagne – réunis à Evian (France), mardi, se sont mis d’accord pour organiser ensemble des vols charters de migrants clandestins provenant du même pays. « C’est une question de jours », a indiqué le ministre italien Giuseppe Pisanu au cours de la conférence de presse commune qui a clôturé la réunion. La mesure n’a pourtant rien de nouveau. Elle a été discutée et appliquée à de nombreuses reprises depuis 2002. « On dirait que les ministres européens ont régulièrement besoin de montrer aux opinions publiques qu’ils travaillent et sont efficaces », estime Claudia Charles, du Gisti (Groupe d’information et de soutien des immigrés).

« Des vols charters ont été organisés entre l’Espagne et la France, pour des expulsions de Roumains, entre l’Allemagne, l’Espagne et la France, pour des Sénégalais, et même en collaboration avec les Pays-Bas, qui ne font pas parti du G 5. Les Etats agissent d’abord, sans réglementations, ni même décisions, et discutent après », ajoute-t-elle. L’Espagne est à l’origine du processus adopté mardi par les ministres de l’Intérieur du G 5. Mais l’Italie, qui l’avait proposé au Conseil européen lors de sa présidence de l’Union (UE), de juillet à décembre 2003, ou la France de Nicolas Sarkozy, qui en avait fait l’une des priorités de son plan contre l’immigration clandestine, lors de son premier passage au ministère de l’Intérieur, pourraient tout aussi bien s’en prévaloir.

Visas contre expulsions

L’Italie n’avait pas hésité en son temps à mettre en avant les économies financières que permettraient ce type d’expulsions. Mardi, c’est sur les modalités administratives que les « cinq » ont mis l’accent. Pour expulser un migrant clandestin, les autorités d’un pays doivent obligatoirement obtenir un « laissez-passer » consulaire de son pays d’origine, si tant est qu’elles le connaissent, moyennant des frais de dossier allant de 45 euros, pour la Roumanie, à 112 pour le Nigeria. Comme certains pays rechignent à les délivrer, ils ont proposé de lier le nombre de visas accordés au nombre de laissez-passer obtenus. Là encore, la mesure n’est pas nouvelle : « Le Conseil de l’Union européenne, réuni à Séville en juin 2002, avait proposé de sanctionner les Etats qui ne collaborent pas », rappelle Claudia Charles. Mais nul besoin de texte pour exercer des pressions diplomatiques : « En 2002, le taux de reconnaissance (chiffre pour toute la France, hors Paris) de leurs ressortissants par les consulats maliens était de moins de 20%. Ce chiffre est passé à 85% après la visite du ministre de l’Intérieur français à Bamako, en février 2003 », indique un employé de la Cimade (Service œcuménique d’entraide).

Même processus au Sénégal, où le taux de reconnaissance est passé de moins de 45% à 66% après un voyage de Nicolas Sarkozy où relations économiques et politiques d’immigration étaient liées. Parmi les mauvais élèves africains dans le collimateur des Européens : le Cameroun et le Congo, qui ne reconnaissent pas plus de 55% de leurs ressortissants. La Turquie, la Roumanie et la Bulgarie, candidats à l’entrée dans l’UE, font au contraire preuve de zèle. Bucarest, autrefois réfractaire, n’hésite pas aujourd’hui à délivrer des laissez-passer pour des ressortissants Moldaves. Le bon élève algérien faisant de même avec les citoyens Marocains.

« Contrôles au faciès »

L’Anafé (Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers) avait dès novembre 2003 lancé un « appel contre les charters de l’humiliation ». Ses arguments étaient les mêmes que ceux invoqués aujourd’hui par les organisations de défense des droits des migrants : craintes d’un examen de dossier bâclé et non individualisé, en raison des obligations de résultat, ou encore usage de la violence – autorisée mais codifiée dans les textes – pour appliquer les mesures d’accompagnement.

Avec l’effet d’annonce du G 5, les expulsions communautaires, qui s’apparentaient presque à du bricolage, risquent de devenir ordinaires et encore plus dangereuses pour les droits humains. Car elles réclament une logistique et le respect drastique d’un calendrier commun. Si l’Allemagne, en collaboration avec la France et l’Espagne, se trouvait en retard sur un agenda, elle devrait rapidement trouver les clandestins à expulser… avant que ceux qu’elle retient en zone d’attente ne doivent être relâchés. « Ce sont les contrôles au faciès, les maintiens en zone d’attente… », s’inquiète Claudia Charles. En novembre 2004, les autorités françaises ont fait passer de 12 à 32 jours le temps de rétention en zone d’attente.

Newsletter Suivez Afrik.com sur Google News