Les Algériens attendaient l’été et l’arrivée des émigrés pour échanger leurs dinars contre l’euro à un taux » décent « . Mais cette année, l’euro affiche une santé insolente au Square Port-Said. La monnaie européenne fait le bonheur des émigrés, en vacances au bled.
C’est la canicule à la Place Port-Saïd. Il fait plus de 35 degrés. Le marché parallèle de la devise est aussi en surchauffe. » Normalement, le franc s’envole à la veille des grandes vacances et la fièvre chute très vite vers début août avec l’arrivée des émigrés. Cette année, l’euro n’arrête pas de monter « , explique Djamel, bizanssi (businessman). Pour ne pas effrayer le client, les cambistes clandestins continuent de parler en franc. » Actuellement, un franc vaut 13,25 dinars. Il y a même des coins où il avoisine les 15 « , note-t-il envieusement. » Pour l’euro, tu multiplies par 7 « . La monnaie européenne s’échange au marché parallèle aux environs de cent dinars. A la grande joie des émigrés, en vacances en Algérie, et des cambistes.
Mes vacances au bled
Après avoir boudé pendant longtemps leur pays, à cause des attentats et de la situation sécuritaire, les émigrés ont repris le chemin de l’Algérie. La bonne santé de l’euro fait gonfler leur épargne. » Avec 3 000 francs (457, 35 euros), je passe de très bonnes vacances avec ma famille. C’est vrai que les billets d’avion coûtent très cher mais une fois le change effectué, nous rentrons facilement dans nos comptes « , note Hamid, employé dans une grande surface parisienne. Une transaction qui permet aux festivaliers hexagonaux de vivre très en dessus de la société locale. Ce qui ne va pas sans un certain ressentiment. » Ils font la plonge à Paris et, l’été venu, se comportent en seigneurs. Ils friment dans les plages avec leurs belles voitures et dépensent l’argent sans compter. C’est indécent » s’irrite Malik, habitant de Tichy, station balnéaire près de Béjaïa.
Euro à la plage
Les émigrés voient leur niveau de vie s’embellir très vite. » C’est vrai que nous culpabilisons un peu quand on voit la situation des salariés locaux mais on ne va pas cracher sur l’argent. Et nous faisons profiter l’économie nationale « , se justifie Hamid. L’argument n’a trouvé d’écho auprès du ministre de l’Economie qui exhorte, au contraire, ses concitoyens travaillant en France à passer par les banques officielles pour leur opération de change. Et de citer en exemple les émigrés marocains qui ramènent annuellement avec eux 2,5 milliards de dollars contre 300 millions de dollars pour les Algériens. Mais l’appel au patriotisme est jugé peu incitatif par les intéressés.
Tichy cuit sous un soleil implacable. Les plages sont prises d’assaut par les estivaliers. Les hôteliers, qui avaient peur de rater la saison à cause des évènements qui secouent la Kabylie depuis mars dernier, sont aux anges. » Tous les hôtels affichent complets. Les émigrés sont revenus, ils sont nos meilleurs clients. C’est des vrais touristes, il y’en a même qui proposent de payer en euros… mais c’est illégal « , se rattrape très vite Nacer, gérant d’un hôtel à la sortie de la ville. L’Etat ferme les yeux sur ce marché parallèle. Des milliers de personnes en vivent.