« L’essentiel, c’est de rester un bloc… » : Hamed Bakayoko aurait-il révélé l’agenda secret de Ouattara ?


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Dans cette période pré-électorale marquée en Côte d’Ivoire par une crise née de la volonté d’Alassane Ouattara de briguer un troisième mandat, les acteurs politiques lancent des propos par-ci par-là. Certains de ces propos, apparemment assez banals, peuvent au fond charrier des réalités assez profondes, parfois même trahir des secrets. Nous revenons ici sur quelques propos tenus par le Premier ministre ivoirien, Hamed Bakayoko.

On le savait très intéressé pour succéder à Alassane Ouattara, et d’ailleurs il apparaissait comme l’un des deux favoris pour prendre la relève du Président ivoirien. Mais à l’arrivée, ce dernier lui préféra Amadou Gon Coulibaly. Alors, on le disait très mécontent de ce choix du Président ivoirien. Tellement il aurait voulu être l’heureux élu, Hamed Bakayoko. C’est un secret de polichinelle.

Après le décès brutal du dauphin désigné, la succession devient vacante. Les regards se tournent encore vers Hamed Bakayoko. Mais l’homme, certainement mû par la volonté de témoigner sa loyauté à son patron, invita ce dernier à se représenter. « Nous, population du Woroba, demandons avec insistance au Président Alassane Ouattara d’accepter de se porter candidat à l’élection présidentielle d’octobre 2020 », avait-il déclaré, le 25 juillet dernier, avant de poursuivre : « Pour notre parti, le plus important, la priorité au-delà de tout, c’est d’abord de maintenir la stabilité. Et c’est lui le garant. Et après il pourra se préparer à la transmission de ce pouvoir à une nouvelle génération dans des conditions idoines ».

Cinq jours plus tard, cette marque de fidélité de Hamed Bakayoko est récompensée par Alassane Ouattara qui confirma son collaborateur dans ses fonctions de Premier ministre qu’il occupait en tant qu’intérimaire, cumulativement à ses fonctions de ministre de la Défense.
Le 6 août 2020, à la veille de la célébration du 60e anniversaire d’indépendance du pays, Alassane Ouattara annonce son désir de briguer le troisième mandat, conformément à l’appel de ses partisans.

Depuis lors, Hamed Bakayoko est devenu très actif sur le terrain pour défendre la candidature de son patron, lançant au passage des piques aux opposants. Le samedi 19 septembre, par exemple, il était l’invité d’honneur du meeting organisé à Yopougon, fief de l’opposition pro-Gbagbo, par le député Touré Alpha Yaya. Il décocha à l’occasion quelques flèches à son ancien ami, Guillaume Soro.

Ce même weekend, il rencontre, dans sa résidence à Cocody, une délégation des enseignants militants du RHDP pour les galvaniser : « Je serai votre avocat. Je serai votre allié pour qu’on puisse vous donner des moyens à la faveur de cette campagne qui s’annonce. Votre implication pendant les élections n’est plus à relever. Le président de la République, Alassane Ouattara, m’en a souvent parlé. C’est une occasion de vous rendre hommage pour votre travail, votre contribution à tout ce qu’on a bâti ensemble », a-t-il déclaré à l’occasion.

Alassane Ouattara aurait-il un agenda secret ?

Dans sa volonté de justifier la candidature du Président sortant, Hamed Bakayoko lance : « Déjà le choix du Premier ministre (Amadou Gon Coulibaly, ndlr) avait entraîné pas mal de défections, notamment celles d’Amon-Tanoh, de Mabri Toikeusse, de l’ancien Premier ministre, Guillaume Soro. Si aux mois d’août et septembre, où on devait recueillir les parrainages, on voulait se mettre à se battre entre les prétendants, les ambitieux, on ne s’en sortirait pas. C’est pour cela qu’il garde la main. L’essentiel, c’est de rester un bloc et après, tout peut être possible. Si le pays est stable, tout est possible ».

Les deux dernières phrases, « L’essentiel, c’est de rester un bloc et après, tout peut être possible. Si le pays est stable, tout est possible », retiennent particulièrement notre attention, et rejoignent cette portion de la déclaration du 25 juillet : « Et après il pourra se préparer à la transmission de ce pouvoir à une nouvelle génération dans des conditions idoines ».
D’où la question posée plus haut : le Président ivoirien aurait-il un agenda secret ?

En y regardant de près, de deux choses, l’une. Soit, le Premier ministre ivoirien exprime, avec habileté, son ambition personnelle en montrant que de nouvelles cartes pourraient être brandies, y compris par lui, après le scrutin ; parce que la formule « tout peut être possible » est quand même assez ouverte et peut donner lieu à toutes sortes d’interprétations. Soit Hamed Bakayoko lève ainsi un coin de voile sur un plan secret du Président Ouattara qui pourrait, dans sa volonté affichée de conserver le pouvoir pour son camp, au détriment de l’opposition, aller au scrutin pour espérer le remporter et démissionner après, afin de laisser la main aux siens. Ainsi, la stratégie pourrait se résumer en ces termes : « Tout faire pour gagner l’élection d’abord. Le reste, on verra après ». Tout est vraiment possible.
Affaire à suivre.

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Par Serge Ouitona, historien, journaliste et spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne.
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