Les 28èmes Jeux olympiques modernes s’ouvrent officiellement vendredi, pour deux semaines, à Athènes. Pour la première fois de l’histoire, les 53 pays du continent africain vont être représentés dans la plus grande compétition sportive de la planète. A travers quelques moments clés, Afrik revient sur la difficile entrée du continent africain dans les Jeux Olympiques.
Les « Anthropological days »
La première délégation à avoir participé à des Jeux olympiques, en 1906, fut égyptienne. Mais l’Afrique avait déjà pris part, en 1904, à Saint-Louis (Etats-Unis), à des olympiades, organisées pour les « ethnies minoritaires » de la planète. Comme à Paris, en 1900, les JO de Saint-Louis ont été organisés en marge d’une Exposition universelle. C’est pourquoi les organisateurs n’ont pas hésité, en parallèle des Jeux de 1904, à monter des « Anthropological days », où des ethnies de la planète s’affrontaient dans des épreuves « moins compliquées » – telle que le jet de pierre – que celles où concouraient les pays occidentaux. Les pygmées d’Afrique centrale, les Kaffirs africains ou encore les Sioux d’Amérique du Nord seront ainsi exposés à la curiosité du public. Le baron Pierre de Coubertin, à l’origine de la renaissance des Jeux olympiques, aurait désapprouvé l’initiative, la considérant comme discriminatoire.
Le premier représentant africain
Lorsqu’elle participe aux Jeux intercalaires d’Athènes, en 1906, l’Egypte inscrit trois haltérophiles, deux athlètes, un cycliste et un lutteur. Le pays des Pharaons n’emportera alors aucune médaille et il faudra attendre deux ans pour que le Sud-africain Reginald Walker arrache l’or sur 100 mètres, à Londres. Pour sa part, l’Egypte enregistrera plus tard de belles victoires, notamment en lutte gréco-romaine. Ce sport, sous une forme un peu différente, est très pratiqué dans le pays. L’Egypte sera également, durant la première moitié du siècle un grand pays d’haltérophilie. Ces champions, Ibrahim Shams (1948, en 69 kg), Mahmoud Fayad (1948, en 62kg), El Sayed Mohammed Nosseir (1928, en 85 kg) ou Khadr Sayed el Touni (1936, en 77 kg), rapporteront chacun une médaile d’or à leur pays, ainsi que huit titres mondiaux. L’Egypte n’a plus gagné de médaille d’or dans cette discipline depuis 1948. Et n’a plus gagné aucune médaille depuis 20 ans. Mais Ismaïl Hamed, le secrétaire général du Comité olympique égyptien, l’affirme, son pays place cette année encore ses « espoirs dans l’haltérophilie et la lutte ».
Les colonies concourent
Mehdi Baala, Naaman Keita, Eunice Barber pour la France, Wilson Kipketer pour le Danemark, Francis Obiorah Obikwelu pour le Portugal… de nombreux sportifs africains (ou autres) décident aujourd’hui de concourir pour des pays où ils sont nés, mais dont leurs parents ne sont pas originaires, ou pour des pays qui les ont accueillis… D’autres l’ont fait, durant la colonisation, pour représenter l’empire qui les dominait. Le « Français-musulman » d’Algérie, Mohamed el Ouafi, a ainsi remporté le marathon aux JO d’Amsterdam, en 1928, pour le compte de la métropole. De la même façon que le Sénégalais Abdoulaye Séyé offrira aux JO de Rome, en 1960, la médaille d’or du 200 m à la France. Les circonstances dans lesquelles les Etats-Unis ont inscrit des athlètes noirs aux JO en tant qu’Américains, au début du siècle, n’ont rien à voir avec le métissage que nous connaissons aujourd’hui.
Un journaliste de la Gazette de Genève, repris dans le journal Le Temps, évoque en 1932 les JO de Los Angeles, en parlant du Nouveau monde et non des Etats-Unis. « Si je dis Nouveau Monde et pas Etats-Unis, c’est à dessein, car deux parmi les meilleurs athlètes américains sont noirs. Or nous n’osons trop, par égard pour la respectability des Yankees, traiter de citoyens américains deux athlètes nègres. La participation d’athlètes de couleur dans l’équipe des Etats-Unis aux JO laisse entrevoir tout un drame intime dans la mentalité américaine : celui du plus intransigeant irrédentisme allié au désir impérieux de vaincre à tout prix. Chaque fois, la présence d’un athlète noir signifie défaillance d’un Blanc. C’est ainsi qu’à Anvers, déjà, les Américains avaient pris dans leur équipe un coureur nègre de grande valeur, comptant sur lui pour faire flotter le drapeau étoilé au mât olympique. Après les demi-finales, voyant qu’ils pouvaient gagner sans lui, ils l’enfermèrent dans les vestiaires pendant qu’ils se disputaient la finale. » En 1936, à Berlin, Adolf Hitler avait parlé de l’Américain Jesse Owens, quadruple médaillé d’or (100 m, 200 m, saut en longueur et relais 4×100 m), comme d’un « auxiliaire africain des Américains ».
Abebe Bikila, la revanche de l’Afrique
C’est après avoir vu des sportifs défiler, à leur retour des JO de Melbourne, en 1956, avec inscrit sur leur maillot « Ethiopie », qu’Abebe Bikila a décidé lui aussi d’épouser le métier d’athlète. Né en 1932, à 130 km d’Addis Abeba, il a rejoint l’armée dès ses 17 ans pour subvenir à ses besoins, mais ne s’est que rarement illustré comme coureur dans les marathons militaires. En 1960, il termine seulement quatrième des sélections éthiopiennes, mais se qualifie tout de même pour les JO de Rome grâce à la défection de l’un de ses compatriotes. A deux mois de la compétition, il gagne son premier vrai marathon, en 2’39 »50, puis enchaîne avec une victoire en 2’21 »23. Dans leurs pronostics, les journalistes du quotidien sportif français L’Equipe évoquent les coureurs russes, anglais, espagnols… mais point d’Africains. Il faut dire qu’ils ne prêtent guère attention aux plaquettes envoyées par les pays du continent pour présenter leurs athlètes… Notamment à celle d’Abebe Bikila, qui indiquait un record de 2h17, lors d’un marathon couru à 2 600 m d’altitude à Addis Abeba ! Un temps qui leur paraissait bien improbable.
L’Ethiopien remporta la course, pieds nus, devant le Marocain Rhadi. Il lança son attaque à l’obélisque de l’Axe, qui avait été ramené d’Ethiopie une vingtaine d’années plus tôt par les troupes italiennes. Sur le fait qu’il ait couru sans chaussures, Bikila expliquera qu’il voulait « montrer au monde que [son] pays, l’Ethiopie, a toujours gagné avec détermination et héroïsme ». Son entraîneur suédois, Onni Niskanen, expliquera pour sa part que les temps de son protégé étaient meilleurs sans chaussures. « J’ai été heureux le jour du marathon », écrira l’écrivain Jean Giono, présent sur la ligne d’arrivée. « Nous avons vu arriver un espèce d’elfe bondissant, joyeux et gai, pas fatigué du tout et pieds nus, qui venait de faire ses quarante kilomètres en valsant, qui est arrivé pas essoufflé du tout et qui a commencé à parler, à discuter, à raconter de petites histoires et après ça nous avons vu arriver… je crois que c’était le Français, à bout de forces, livide, on le ramassait à la petite cuillère, les autres, alors, les autres ils étaient soutenus par des nourrices tout le long… » Abebe Bikila rééditera son exploit, quatre ans plus tard, à Tokyo. Il est à ce jour le seul athlète à avoir remporté deux médailles olympiques au marathon.
Le « Roi aux pieds nus » est considéré comme celui qui a ouvert la voie aux athlètes africains dans les épreuves sportives internationales. Après lui, d’autres continueront à faire l’histoire du continent dans les JO, tels le Kenyan Kipchoge Keino, la Marocaine Nawal Mutawakil ou encore l’Ethiopienne Derartu Tulu…