Pas de développement sans énergie. La problématique s’impose au continent de manière impérieuse. Quel constat ? Quelles conséquences ? Comment l’Afrique y fait face ? Quels sont les différents grands projets énergétiques ? Afrique Renouveau vous explique tout.
Par Itai Madamombe de notre partenaire Afrique Renouveau
Dans les faubourgs d’Accra (Ghana), les programmes de travail des entreprises sont rythmés par les coupures d’électricité. En juillet, à la conserverie Prime Pak, des conserves alimentaires étaient placées sur la chaîne de conditionnement avant d’être scellées pour l’exportation. Sans crier gare, les machines se sont arrêtées dans un bruit assourdissant, laissant l’homme d’affaires Cyril Francis debout dans le noir, désemparé ; 30 % des marchandises se sont avariées.
« Le pire, c’est de ne pas savoir quand surviendront les coupures. Au moment où on s’y attend le moins, tout s’arrête », a expliqué M. Francis à Afrique Renouveau, depuis son usine située à Dodowa, dans les faubourgs de la capitale ghanéenne. « C’est très démoralisant et préjudiciable à la production, sans compter notre réputation auprès des gens qui comptent sur nous pour livrer les commandes à temps. »
Agé de 36 ans, l’homme d’affaires produit depuis 1992 des boissons et des aliments destinés à la consommation locale. Il y a deux ans, M. Francis a étendu ses activités à la mise en conserve de fruits tropicaux afin d’approvisionner en mets locaux les Africains vivant au Royaume-Uni. L’ambition qu’il avait d’améliorer la situation économique de ses compatriotes semblait réalisable lorsque son entreprise s’est agrandie, employant 20 personnes. Mais ces derniers temps, les horaires des travailleurs sont fonction de l’électricité. Il espère, dit-il, acheter un petit groupe électrogène à l’étranger pour remédier au problème. A un prix de 18 000 dollars, c’est un investissement que peu de gens peuvent se permettre.
Vétusté des installations
Les coupures d’électricité sont monnaie courante dans presque tous les pays d’Afrique de l’Ouest. La plupart des centrales électriques et réseaux de transport de l’électricité ont été construits dans les années 50 et 60. Par manque d’investissements et d’entretien, les infrastructures vont à vau-l’eau. Le Nigeria, exemple éloquent, n’exploite qu’un tiers des capacités de ses installations du fait de leur vétusté.
En période de sécheresse, les pays tributaires de l’hydroélectricité rationnent l’électricité pour ménager les générateurs, les transformateurs et les câbles — ce fut le cas au Ghana vers la fin des années 90. Du fait des guerres, le matériel est endommagé et les lignes de transmission coupées. Une grande partie de l’infrastructure de production et de distribution du Libéria a été endommagée ou détruite pendant la longue guerre civile qu’a connue le pays et, selon les estimations de la société nationale d’électricité, il faudrait plus de 107 millions de dollars et plus de cinq ans pour remettre le système en état. Le projet hydroélectrique de Bumbuna en Sierra Leone était presque terminé lorsque la guerre civile a perturbé les travaux.
« Dans cette partie du monde, lorsque les pouvoirs publics parlent de développement des infrastructures, ils pensent généralement à construire une route quelque part. L’électricité est considérée comme un luxe », dit M. Francis, indiquant que si tous les décideurs semblent convenir que l’énergie est indispensable à une économie viable, ils ne semblent toutefois pas disposés à assortir leur discours d’un engagement financier conséquent. « Les choses changent pour le mieux, mais à un rythme terriblement lent. »
Investir dans les infrastructures
Dans le cadre du plan de développement élaboré par l’Afrique, le Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD), l’infrastructure est une priorité absolue. Les routes, réseaux d’approvisionnement en eau, aéroports, ports, chemins de fer, réseaux de télécommunication et systèmes énergétiques sont l’épine dorsale de toute économie prospère.
Selon les estimations, 20 % tout au plus de la population de l’Afrique, et dans certains pays 5 % à peine, a directement accès à l’électricité. Cette proportion n’est que de 2 % en milieu rural. La demande devrait augmenter d’environ 5 % par an au cours des 20 prochaines années. Il est indispensable, estiment les experts, que l’Afrique se dote d’infrastructures pour fournir de l’électricité aux populations non desservies, en particulier dans les zones rurales où vit la majorité des Africains.
« Le développement des infrastructures ne consiste pas seulement à ériger de grandes structures mais aussi à fournir des services essentiels, notamment de l’électricité pour accroître le commerce et la productivité et pour améliorer les conditions de vie des familles pauvres en mettant à leur disposition de l’énergie bon marché pour la cuisine, le chauffage et l’éclairage », a déclaré à Afrique Renouveau M. Ini Urua, ingénieur industriel principal au Service chargé du NEPAD de la Banque africaine de développement (BAD).
Tributaires des énergies traditionelles
La proportion de la population africaine qui est encore tributaire de sources d’énergie traditionnelle est plus élevée que sur tout autre continent. Le bois ou d’autres types de biomasse comme la bouse et les résidus de récolte constituent le principal combustible pour la cuisine ou l’éclairage dans les foyers africains à faible revenu. Le kérosène est aussi souvent utilisé.
La combustion directe de ces substances nuit à la santé et est associée à des maladies respiratoires et des infections oculaires. En outre, la dégradation des sols et le déboisement s’aggravent car les familles continuent d’abattre des arbres pour obtenir un combustible qui fait cruellement défaut. Les femmes et les enfants consacrent de nombreuses heures au ramassage du bois, alors qu’ils pourraient consacrer ce temps à d’autres activités s’ils avaient l’électricité. L’éclairage électrique permettrait aussi aux élèves d’étudier plus longtemps.
L’Afrique dispose de ressources suffisantes pour satisfaire tous ses besoins en énergie. L’hydroélectricité est de loin la principale source d’électricité dans bon nombre de pays. Le continent compte certains des plus grands cours d’eau au monde — le Nil, le Congo, le Niger, la Volta et le Zambèze. On estime que le potentiel hydroélectrique de la République démocratique du Congo fournirait à luì seul le triple de l’électricité que l’Afrique consomme actuellement mais ce potentiel demeure largement inexploité (…)
Réseaux transfrontaliers
Le Nigeria, le Ghana et la Côte d’Ivoire sont les plus grands producteurs d’électricité en Afrique de l’Ouest. Les principales sources d’énergie du Nigeria sont le pétrole, le gaz naturel et l’hydroélectricité. Bien que le pays exporte de l’électricité vers les pays voisins, seul un faible pourcentage des ménages ruraux a l’électricité au Nigeria. Le Ghana dépend essentiellement de l’hydroélectricité produite par son barrage d’Akosombo, construit sur la Volta à environ 80 kilomètres de la côte en amont. Le Ghana fournit au Bénin et au Togo l’essentiel de l’électricité dont ils ont besoin. En Côte d’Ivoire, les installations thermiques alimentées au pétrole et au gaz produisent l’essentiel de l’électricité. Les pays reliés au réseau ivoirien comprennent le Mali, le Burkina Faso, le Bénin et le Togo.
Les trois pays sans littoral et peu peuplés que sont le Mali, le Burkina Faso et le Niger ne sont pas particulièrement gâtés en matière d’énergie, surtout parce qu’ils sont relativement pauvres et situés, au moins en partie, au Sahara. Le développement énergétique est aussi très limité dans les petits pays côtiers que sont le Libéria, la Sierra Leone, la Guinée et la Guinée-Bissau du fait de la petite taille de leurs économies et de troubles politiques.
La planification énergétique s’est toujours faite sur le plan national. Or, il arrive qu’un pays dispose d’une source d’énergie meilleur marché de l’autre côté de la frontière. Grâce aux réseaux transfrontières, les pays pourraient exploiter leurs centrales à pleine capacité sans risque de surproduction. Les pays à faible capacité pourraient avoir accès à de l’électricité bon marché sans devoir construire d’installations coûteuses. La mise en commun des ressources permet aussi de diversifier les sources d’énergie.
Interconnexion des réseaux
En octobre 2000, 14 Etats membres de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ont décidé d’un commun accord de lancer un projet visant à accroître l’offre d’électricité dans la région. Au terme de l’accord de mise en commun des ressources énergétiques en Afrique de l’Ouest, les pays espèrent mettre en place des sites de production énergétique et assurer l’interconnexion de leurs réseaux électriques respectifs. Selon l’accord, les travaux seront effectués en deux phases. La première concerne les pays déjà connectés, notamment le Nigeria, le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Niger et le Togo. La seconde concerne les pays non encore connectés, à savoir la Gambie, la Guinée, la Guinée-Bissau, le Libéria, le Mali, le Sénégal et la Sierra Leone. Ces pays s’emploieront à harmoniser leurs réglementations régissant le secteur de l’électricité.
Selon les estimations de la CEDEAO, 5 600 kilomètres de lignes électriques reliant les réseaux nationaux seront construites. Il faudra environ 11,8 milliards de dollars pour installer les nouvelles lignes nécessaires et construire de nouvelles centrales. Cette infrastructure devrait doter la sous-région de la CEDEAO d’une puissance installée de 10 000 mégawatts (mw).
« La mise en commun et le partage des ressources énergétiques révolutionnerait le secteur de l’électricité en Afrique de l’Ouest. L’intégration des réseaux électriques permettrait aux pays de disposer d’une source d’approvisionnement fiable et sûre », dit M. Urua, pour qui cette intégration régionale incarne l’esprit du NEPAD (…)
Des projets à foison
Cette initiative est certes encore au stade embryonnaire mais les projets exécutés conjointement par ces pays tendent vers l’objectif fixé, qui est l’intégration de la région.
Le Nigeria et la Banque africaine de développement (BAD) ont signé en décembre 2002 un accord portant sur un prêt de 15,6 millions de dollars en vue de relier les réseaux de la Nigerian Electric Power Authority (NEPA) et de la Compagnie électrique du Bénin (CEB), chargée de l’approvisionnement en électricité du Bénin et du Togo. La NEPA prévoit de construire une ligne de 330 kilovolts reliant le Nigeria au Bénin dans le cadre de l’intégration de l’Afrique de l’Ouest faisant également intervenir le Niger et le Togo. Au début de l’année 2003 ont été entamés les travaux d’un projet visant à relier certaines régions du Niger au réseau électrique nigérian. Dans le cadre de ce projet, trois réseaux distincts seraient construits, pour un coût total estimé à 16 millions de dollars. L’électricité importée reviendrait beaucoup moins cher que l’électricité actuellement consommée, qui est produite localement à partir du pétrole.
Le Ghana envisage de construire un autre ouvrage hydroélectrique sur la Volta noire. Ce projet de Bui, doté d’un budget de 700 millions de dollars, aurait une capacité de 400 mw. Outre l’augmentation de l’approvisionnement national en électricité, l’électricité produite à Bui pourrait être exportée au Burkina Faso, au Mali et en Côte d’Ivoire. Un autre ouvrage, construit sur le Pra, aurait une capacité totale de 125 mw.
Le Mali, la Mauritanie et le Sénégal ont achevé la construction du barrage de Manantali en 1997. Celui-ci comprend une centrale de 200 mw et un réseau de lignes, long de 1 300 km, acheminant l’électricité vers les capitales du Mali (Bamako), de la Mauritanie (Nouakchott) et du Sénégal (Dakar). Les dépassements de devis ainsi que les tensions politiques entre la Mauritanie et le Sénégal avaient, au début, ralenti les travaux de construction. C’est en décembre 2001 que le site de production de Manantali est entré en service, fournissant de l’électricité au réseau malien. Le Sénégal a relié son réseau à Manantali en juillet 2002 et la Mauritanie en novembre de la même année.
Le problème de l’électrification en milieu rural
Les ministres de l’Energie du Togo et du Bénin sont convenus en février 2004 de renforcer la coopération par la construction d’un barrage hydroélectrique à Adjaralla, à la frontière sud entre les deux pays. Vers la fin des années 90, les deux pays ont connu des coupures d’électricité désastreuses lorsque le Ghana, leur principal fournisseur, a été contraint de réduire l’approvisionnement de 50 %, du fait de la grave sécheresse qui a touché les installations hydroélectriques d’Akosombo.
La demande croissante a amené le Burkina Faso à chercher à importer de l’électricité de la Côte d’Ivoire voisine. Une ligne reliant la ville de Ferkessédougou dans le nord de la Côte d’Ivoire à la capitale burkinabè, Ouagadougou, devrait entrer en service en 2005. Le Burkina Faso produit de l’électricité à partir de groupes électrogènes à diesel mais les coûts de production élevés ont conduit le gouvernement à commencer à relier son réseau à ceux du Ghana et de la Côte d’Ivoire afin d’importer l’électricité supplémentaire dont a besoin le pays.
L’électrification en milieu rural pose des problèmes aux gouvernements africains. De nombreuses localités rurales sont peu densément peuplées et isolées. Les relier au réseau national peut être onéreux et souvent peu pratique. L’énergie éolienne, l’énergie solaire et les petits groupes électrogènes alimentés au diesel ou au pétrole constituent d’autres possibilités. La CEDEAO a élaboré un programme régional d’exploitation de sources d’énergie renouvelables — essentiellement l’énergie solaire, la biomasse, les mini et micro-projets hydroélectriques et la conservation de l’énergie.
Investisseurs privés?
Tous ces plans exigent d’énormes dépenses d’équipement, d’origine nationale et étrangère. La plupart des gouvernements ne peuvent pas réunir les fonds nécessaires par leurs propres moyens. Les experts s’accordent à reconnaître qu’il faut des capitaux privés. Toutefois, la participation du secteur privé suscite des inquiétudes car, même si l’électricité s’obtient en actionnant simplement un interrupteur, les consommateurs et les entreprises pourraient ne pas être en mesure de s’offrir ce service à un tarif permettant aux sociétés régies par le profit de rentrer dans leurs fonds. Plus de 40 % des 600 millions d’habitants de l’Afrique vivent en dessous du seuil de pauvreté internationalement reconnu de 1 dollar par jour.
L’assistance de gouvernements donateurs est indispensable. Certains bailleurs de fonds sont disposés à financer le projet de la CEDEAO, notamment l’Agence française de développement, la Banque mondiale, la Banque européenne d’investissement, la Banque ouest-africaine de développement et le Fonds nordique.
Pendant ce temps, dans les faubourgs d’Accra, Cyril Francis avoue qu’il est parfois difficile de vivre seulement d’espoir. Il a entendu parler de lignes électriques traversant toute l’Afrique de l’Ouest, mais n’a pas perdu le sommeil à se demander combien de kilomètres ont déjà été construits. « Je suis d’un optimisme prudent », laisse entendre M. Francis. « Ici en Afrique, on entend plein de choses, et rien ne se passe. Alors, nous attendons de voir ce qui va se passer. »
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