Le président sénégalais Abdoulaye Wade souhaitait « se débarrasser » de l’affaire Hissène Habré, réfugié à Dakar depuis 20 ans et dont le jugement se fait toujours attendre. Raté ! L’Union africaine, réunie en sommet à Addis-Abeba, a appelé lundi à un procès rapide de l’ancien chef de l’Etat tchadien au Sénégal. Elle propose la création d’un tribunal spécial destiné exclusivement au jugement de l’ancien président tchadien avec des magistrats qu’elle aura nommés.
« Je vous le dis très clairement, je veux m’en débarrasser », avait déclaré Abdoulaye Wade à propos du jugement d’Hissène Habré dans un entretien réalisé début décembre par la chaîne de télévision France 24 et Radio France Internationale. Franchement, je regrette d’avoir accepté. Parce que je n’ai pas obtenu le minimum de soutien que je cherchais. » Énième rebondissement d’un long feuilleton politico-judiciaire, cette déclaration fracassante intervenait seulement deux semaines après une table ronde organisée à Dakar où les différents bailleurs de fonds (Union européenne, UA, Tchad, Belgique, Pays-Bas, etc…) s’étaient engagés à verser au Sénégal 8,5 millions d’euros pour organiser le procès d’Habré, poursuivi pour crimes contre l’Humanité, crimes de guerre et actes de torture. En adoptant cette résolution, l’Union africaine renvoie la balle dans le camp d’Abdoulaye Wade et lui signifie qu’elle est lasse de ses tergiversations.
Arrivé au pouvoir à la faveur d’un coup d’Etat en 1982, soutenu par la France et les Etats-Unis pour contrecarrer l’influence grandissante du colonel Khadafi en Afrique centrale, Hissène Habré fait régner la terreur sur le Tchad avant d’être renversé à son tour huit ans plus tard par l’actuel chef de l’Etat, Idriss Deby Itno. Surnommé le « Pinochet africain », il serait responsable de la mort de milliers de personnes, 40.000 selon les associations de défense des familles de victimes.
Retraite paisible au pays de la « Teranga »
Condamné à mort par un tribunal de N’Djamena, Hissène Habré coule pourtant depuis vingt ans une retraite paisible au pays de la « Teranga » (« hospitalité » en wolof). Parti avec la caisse, et laissant derrière lui de très nombreux charniers, le Tchadien bénéficie de solides appuis au Sénégal, notamment au sein de confréries maraboutiques très puissantes dans le pays. Logé dans une villa des Almadies, le quartier huppé de la capitale, l’ancien dictateur, âgé aujourd’hui de 68 ans, se fait discret. Il ne sortirait dit-on que pour se rendre à la mosquée pour la grande prière du vendredi.
Mandaté il y a quatre ans et demi par ses pairs de l’Union Africaine pour juger Habré « au nom de l’Afrique », le Sénégal a longtemps joué la montre. Malgré les graves accusations qui pèsent sur Habré, aucune poursuite n’a encore été entamée à son encontre et aucun juge d’instruction n’a été désigné. Afin d’organiser son procès, le Sénégal réclamait près de trente millions d’euros à la communauté internationale et refusait de démarrer la procédure tant que les fonds n’avaient pas été intégralement versés. Face à ce « marchandage », la Belgique avait demandé en 2005 son extradition, en vain. « Une fois le budget ficelé, on va convoquer la conférence des bailleurs et le procès va commencer », assurait le ministre des Affaires étrangères sénégalais, Madické Niang, peu de temps avant la volte-face de son président. Garde des sceaux d’avril 2008 à octobre 2009, il était auparavant l’un des avocats d’Hissène Habré…
« L’Union africaine a clairement rappelé qu’Habré doit être traduit en justice dans les meilleurs délais, observe satisfait Reed Brody, conseiller juridique et porte-parole de l’organisation Human Rights Watch. Les survivants du régime d’Habré se battent depuis vingt ans pour obtenir justice. Il est temps que le Sénégal cesse de se moquer des victimes et en finisse avec ce cirque politique interminable. »