Une des plus grandes civilisations africaines après celle des pharaons, l’empire du Great Zimbabwe, bâti par les Shonas, se tenait entre l’actuel Zimbabwe, l’Est du Botswana et le Sud-Est du Mozambique, de 1100 à 1500 après J.C.
Une civilisation à l’architecture à tel point développée que certains Européens étaient persuadés qu’elle ne pouvait pas être africaine. Dawson Munjeri, ancien directeur du patrimoine mondial du Great Zimbabwe, revient sur l’histoire de cet empire d’exception.
Le Great Zimbabwe était le pouvoir central d’une des plus grandes civilisations africaines, après celle des Pharaons. Trônant sur une montagne située au Sud-Est d’Harare, le Great Zimbabwe contrôlait l’empire shona, qui couvrait l’actuel Zimbabwe, l’Est du Botswana et le Sud-Est du Mozambique. Cette période a duré environ de 1100 à 1500 après J.C. et est aujourd’hui symbolisée par les immenses constructions de pierres en granite non cimentées. Mais au-delà de ces bâtiments imposants, très abîmés par les pillages et le temps, il y avait toute une dynamique sociale et économique qui a causé bien des polémiques. Certains Européens n’arrivaient en effet pas à concevoir qu’une société si bien huilée puisse être d’origine africaine. Dawson Munjeri, ancien directeur du patrimoine mondial du Great Zimbabwe, revient sur l’histoire de cet empire hors-norme et sur l’importance qu’il a gardé pour un pays à qui il a donné son nom.
Afrik.com : Pendant combien de temps a duré l’empire du Great Zimbabwe ?
Dawson Munjeri : Beaucoup de gens se réfèrent aux monuments et aux bâtiments en pierre, mais bien avant cette période, des Shonas vivaient là depuis 800 ans environ. Ce n’est que plus tard qu’ils ont développé le Great Zimbabwe.
Afrik.com : Comment est né le Great Zimbabwe ?
Dawson Munjeri : Vers 1100, les Shonas ont commencé à construire sur une montagne, avec le granite local, la capitale de l’empire. Ils ont utilisé pour cela une technique très simple : ils mettaient la pierre dans un feu très chaud et ensuite mettaient de l’eau dessus, ce qui leur permettait de pouvoir les tailler comme ils le souhaitaient. Puis ils empilaient les pierres sans mettre de ciment, puisqu’ils n’en avaient pas. Mais cette méthode était adaptée pour les changements de température extrêmes qu’il y a dans cette région et empêchait les constructions ne se casser. Pour donner de la stabilité aux pierres, ils faisaient parfois de larges bases qui se rétrécissaient en haut, comme les pyramides. Les sujets du roi ont été facilement mobilisés pour construire le Complexe de la colline, le Complexe de la vallée et la Grande enceinte. Le travail était colossal dans ses dimensions : la Grande enceinte avait une forme pyramidale et faisait à elle seule 250 mètres de diamètre et dix mètres de haut. La totalité de Great Zimbabwe faisait 27 000 mètres carrés. Cela a pris un siècle pour achever le travail.
Afrik.com : Le fait que les Shonas, et plus généralement des Africains, aient construit le Great Zimbabwe paraissait inconcevable pour beaucoup…
Dawson Munjeri : Il y a eu toutes sortes de théories à ce sujet. Certains pensaient que c’était des gens étrangers à l’Afrique qui l’avaient construit. On disait notamment qu’il avait été construit bien avant J. C., notamment par la reine Sheba (femme citée dans la Bible qui a tenté de séduire Salomon pour découvrir les failles de son pouvoir, ndlr)… Les gens avaient une approche raciste qui ne souffrait pas que des Africains aient pu avoir l’ingéniosité de penser ce type d’architecture. Mais à partir des années 1910, des fouilles archéologiques ont montré que ce sont bien des Shonas qui en étaient à l’origine. Le travail de Gertrud Caton-Thompson, envoyée en 1933 par l’Association britannique archéologique, a permis de découvrir beaucoup de choses sur cette époque.
Afrik.com : Comment était organisée la société de l’empire du Great Zimbabwe ?
Dawson Munjeri : Great Zimbabwe était la capitale de l’empire, constitué par l’actuel Zimbabwe, l’Est du Botswana et le Sud-Est du Mozambique. Seuls y vivaient le roi et ses proches. Le roi logeait dans le Complexe de la colline avec ses conseillers, son médecin et des leaders spirituels. Cet endroit était en effet un lieu de recueillement où les gens allaient communiquer avec leur Dieu par le biais de huit statues à tête d’oiseau. Elles n’étaient pas qu’artistiques : elles faisaient office de messagers. Les princes et les nobles étaient regroupés dans le Complexe de la vallée. La dizaine d’épouses du roi, leur nombre importait pour son image, habitait la Grande enceinte. Les sujets du roi vivaient à l’extérieur de Great Zimbabwe dans des maisons faites de la même façon et avec le même matériel que celles des trois grands bâtiments. En tout, 20 000 personnes peuplaient l’empire, dont 5 000 vivaient dans le Great Zimbabwe.
Afrik.com : L’endroit où est situé le Great Zimbabwe ne se prête pas à une construction facile pour les bâtiments. Pourquoi cet endroit a-t-il été choisi ?
Dawson Munjeri : Il y avait beaucoup d’or dans l’Ouest du Zimbabwe ce qui permettait de développer un commerce important avec les Arabes et les Portugais. En échange de ce minerai, ils prenaient des vêtements et des perles. A cette place, les Shonas étaient stratégiquement placés pour contrôler les routes commerciales du Nord au Sud et de l’Ouest à l’Est, ce qui donnait au roi un pouvoir considérable. Par ailleurs, il pleuvait souvent dans la région où est le Great Zimbabwe. La qualité de l’herbe était donc très bonne pour le bétail, qui se reproduisait bien. Or, celui qui avait du bétail était riche et avait du pouvoir : il permet d’avoir de nombreuses femmes ou encore de faire une offrande aux esprits. Le peuple produisait aussi du mil. Il était autosuffisant sur le plan alimentaire. Tous ces facteurs ont permis à l’empire de devenir de plus en plus puissant.
Afrik.com : Comment vivaient les gens à cette époque ?
Dawson Munjeri : D’après les fouilles archéologiques, on sait que le taux de mortalité était faible. Il n’y a pas eu, par exemple, de persécution ou de massacres car nous n’avons pas trouvé trace de fosses communes. Le roi ne traitait pas mal ses sujets car, pour contrôler un si grand territoire, il avait besoin de leur aide pour lui donner des informations sur ce qui se passait dans le royaume et ainsi maintenir l’ordre. Un nombre très important d’os a été retrouvé, laissant penser que la population mangeait beaucoup de viande et était aisée. On peut aussi dire qu’il n’y avait pas d’esclavage, puisqu’il n’y avait que des Shonas et qu’on ne réduit pas en esclavage une personne qui vient du même groupe de soi.
Afrik.com : Pourquoi cet empire a-t-il décliné alors qu’il était si prospère ?
Dawson Munjeri : A cause des mêmes raisons qui ont fait son succès. A force d’avoir un bétail de plus en plus important qui paissait sans cesse, l’environnement n’a pas pu suivre et l’herbe poussait moins. Alors les gens se sont éloignés vers d’autres terres et ont gagné leur indépendance, comme à Khami, près de Bulawayo. Parce que tout le monde partait, plus personne ne donnait de taxes au roi, qui, en plus de s’appauvrir, perdait parallèlement son influence. On peut considérer que l’empire est mort en 1450.
Afrik.com : Le Great Zimbabwe a-t-il eu de l’importance après son déclin ?
Dawson Munjeri : Oui. Ceux qui ne sont pas partis allaient se recueillir dans le centre spirituel de Great Zimbabwe pour communiquer avec leur dieu. C’est une tradition qui est restée. Pendant la lutte pour la décolonisation, des nationalistes sont venus à Great Zimbabwe pour demander des conseils pour la libération du pays. Et à la victoire, ils ont nommé le pays, qui s’appelait la Rhodésie, le Zimbabwe. C’est un mélange des deux termes shonas « dzimba dzimabwe », qui signifient maisons de pierres, qui rend hommage à Great Zimbabwe. Jusqu’à présent, des gens viennent toujours s’y recueillir.
Afrik.com : Que reste-il de Great Zimbabwe aujourd’hui ?
Dawson Munjeri : C’est la deuxième civilisation noire d’Afrique après celle des pyramides, notamment en terme d’architecture. Mais les bâtiments ont été beaucoup endommagés par des chercheurs de trésors et des archéologues venus également prendre des richesses. En creusant, ils ont fait tomber quelques parties de mur. Sept des statues à têtes d’oiseaux se sont retrouvées en Afrique du Sud et une autre en Allemagne. Nous avons récupéré cette dernière il y a deux ans et nous sommes en négociation avec le Musée sud-africain pour récupérer la dernière qui nous manque, les autres ayants déjà été restituées.
Afrik.com : Le site est-il une attraction touristique ?
Dawson Munjeri : Après les Chutes Victoria, le Great Zimbabwe, qui est classé patrimoine mondial par l’Unesco (Agence des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture, ndlr), est le deuxième site touristique du pays. Et les nationaux ne sont pas en reste : c’est leur choix préféré. En tout, le site reçoit 200 000 visiteurs par an. Une activité hôtelière s’est développée dans les environs du Great Zimbabwe, mais les gens préfèrent camper ou louer des lodge(logement rustique ressemblant un peu à un châlet). Il y a un village traditionnel, le Shona village, où les visiteurs apprennent comment vivaient les gens de l’empire.