Les activités de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) ne se limitent pas, comme d’aucuns le pensent encore, à la défense de la langue française. Le volet politique de son action n’a cessé de grandir depuis la publication de la Déclaration de Bamako, le 3 novembre 2000. Compris dans celui-ci, un appui à l’organisation des élections afin que, fiables et transparentes, elles enracinent la démocratie dans les pays où elles se déroulent et consolident l’Etat de droit. Un processus au cœur de l’actualité de nombreux pays africains parmi lesquels la Côte d’Ivoire, la Guinée et le Niger. Eclairage.
Au XIIIe Sommet de la Francophonie, à Montreux (Suisse), le week-end dernier, était présenté Bamako, dix ans après, un rapport sur l’état des pratiques de la démocratie, des droits et des libertés dans l’espace francophone. Réalisé sous la direction d’Hugo Sada, délégué à la paix, à la démocratie et aux droits de l’Homme à l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), le document[[Il est présenté en six chapitres : la consolidation de l’état de droit ; la tenue des élections libres, fiables et transparentes ; la promotion d’une vie politique apaisée ; les droits de l’Homme et la culture démocratique ; la prévention et le règlement crises et des conflits ; et la mise en œuvre des mécanismes du chapitre V de la déclaration de Bamako.]] relève que la pratique électorale « comporte des acquis indéniables, qu’il s’agisse du renforcement du dispositif juridique et institutionnel ou de l’appropriation, par les acteurs nationaux, des outils d’organisation et de contrôle des scrutins. » Toutefois, il souligne « la fragilité de ces processus ». En effet, dans nombre d’Etats, certains obstacles, comme la mauvaise tenue des registres d’état civil et l’absence de cadre légal dans le financement de la vie politique, « tiennent au fait que les systèmes politiques et les structures économiques, sociales et administratives des pays concernés, bâtis avant la période des transitions démocratiques, ne cadrent pas avec l’impératif démocratique. » Un contexte qui pousse la Francophonie, afin de répondre aux engagements de la Déclaration de Bamako, à intensifier son appui à la tenue d’élections libres, fiables et transparentes. Sur le bilan de l’action de l’OIF et les actions qu’elle mène actuellement, en Afrique, sur les terrains électoraux, Hugo Sada nous a accordé un entretien.
Afrik.com : Des experts de l’OIF sont déployés en Côte d’Ivoire. Tous les indicateurs sont-ils au vert pour la tenue de l’élection présidentielle le 31 octobre prochain ?
Hugo Sada : Le climat politique, sur les élections, s’est consensualisé. L’obstacle des listes électorales est passé. Maintenant, le gros problème, c’est la logistique. Il y a beaucoup de travail pour installer les bureaux de vote, le matériel, déployer les agents électoraux, imprimer les bulletins, distribuer les cartes… Mais tout le monde est très mobilisé. Il n’y a pas de signes préoccupants quant à la mise en place de tout cela. On croise tous les doigts. A priori, le 31 ça devrait aller. On l’espère vraiment, parce qu’il y a une telle attente ! Si la participation est forte, elle donnera une forte crédibilité au scrutin. En plus de la Commission électorale, il y a tout un dispositif de certification ONUCI (Mission des Nations unies en Côte d’Ivoire, ndlr) avec des moyens considérables. Tout cela contribue à crédibiliser le scrutin.
Afrik.com : A votre avis, quand aura lieu le second tour de la présidentielle en Guinée ?
Hugo Sada : La présidence de la CENI (Commission électorale nationale indépendante) a été confiée il y a quelques jours à notre expert, le général Sangaré. En arrivant, il a fait deux choses. D’une part, l’évaluation de l’état des opérations électorales – matériel, bureaux de vote, organisation du dispositif… A cause du blocage du précédent président de la CENI, les choses étaient suspendues. D’autre part, il consulte tout le monde : les candidats, le général Konaté, toutes les juridictions concernées, ce qui n’avait pas été fait auparavant. Il travaille proprement, professionnellement. A la suite de cela, la décision sera prise par tout le monde. C’est une nécessité.
Afrik.com : Pourquoi y a-t-il tant de problèmes dans l’organisation des élections en Afrique ?
Hugo Sada : C’est normal. La démocratie ne se décrète pas. Il y a des apprentissages à faire, un Etat de droit, ça se construit, et un processus électoral reste compliqué au point de vue technique. Mais rappelez-vous, il y a une vingtaine d’années, les élections, c’étaient l’exception en Afrique. Maintenant, c’est la règle.
Afrik.com : Quel bilan faites-vous de la mise en œuvre de la Déclaration de Bamako, dix ans après ?
Hugo Sada : Notre rapport traite de ces questions. De l’évolution des pratiques politiques, institutionnelles, électorales, de la construction des démocraties… L’évolution n’est pas spectaculaire, mais elle existe. Et il faut faire attention au fait que les processus électoraux peuvent eux-mêmes devenir un facteur de crise. Donc il faut faire très attention ! Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le suivi de ces processus est devenu un secteur majeur de l’action de la Francophonie. Elle a un savoir-faire, une expertise, qui collent aux besoins. C’est maintenant un tournant pour nous. On est en Guinée, en Côte d’Ivoire, au Niger, en Centrafrique, au Tchad, en RDC, au Mali… partout où il y aura des élections d’ici 2012.
Afrik.com : Comment la Francophonie s’implique-t-elle concrètement pour que les élections soient fiables et transparentes ? Quel est votre travail ?
Hugo Sada : C’est en 1992 qu’on a commencé à faire de l’accompagnement de processus électoral. Donc on a du métier. Nous sommes présents en amont et en aval des élections. Nous réalisons une expertise de haut niveau pour préparer les textes institutionnels, nous soutenons les institutions, tous les acteurs en charge des élections. On les appuie, on essaie de les professionnaliser. On réunit les acteurs électoraux pour les aider à travailler collectivement. On vient, par exemple, de le faire au Tchad, il y a quinze jours. Nous intervenons toujours par le biais de l’expertise afin d’aider le processus de recensement des listes électorales, pour qu’elles soient fiables. Quand les listes sont faites, on les évalue. Nous sommes aussi présents dans la phase suivante, dans la mise en œuvre de dispositifs de sécurisation des résultats, pour éviter tout risque de fraudes. Par exemple, nous avons mis sur pied un dispositif de transmission électronique (SMS cryptés) des résultats des bureaux de vote. Enfin, on est là pendant le scrutin pour surveiller si ça fonctionne.
Afrik.com : La France est l’Etat le plus puissant de votre organisation. La Francophonie est-elle, comme cela lui a déjà été reproché, un outil au service des intérêts français ?
Hugo Sada : L’OIF n’a plus rien à voir avec ce qu’elle était il y a quarante ans. C’est une vraie organisation internationale. Il n’y pas que la France, les autres pays disent ce qu’ils pensent et pèsent sur les décisions. Ce n’est pas un instrument manipulé par la France.
Afrik.com : Les prochaines élections au Mali, au Bénin, au Burkina Faso, devraient a priori se dérouler sans problème majeur. Par contre, sur des terrains plus sensibles, comme le Niger, le Tchad, la Centrafrique et la République démocratique du Congo (RDC), quelles actions menez-vous ?
Hugo Sada : Au Niger, en ce qui concerne le référendum du 31 octobre, on a fait un audit des listes électorales, il y a environ deux mois, et apporté un appui aux institutions compétentes pour qu’elles soient révisées. Nous avons aussi apporté un appui à l’élaboration de la nouvelle constitution, des institutions de la transition, et nous allons envoyer une petite équipe sur place pour la tenue du scrutin référendaire. En Centrafrique, pour les élections présidentielles et législatives, qui ont finalement été fixées à la fin janvier, nous avons fait le même travail. Au Tchad, nous sommes très impliqués depuis les événements de février 2008, quand les rebelles étaient entrés à N’Djamena. Nous avons fait de la médiation politique pour que soit mis en œuvre l’accord du 13 août 2007, et mis en œuvre un travail pour réviser les institutions, la loi sur la presse… Nous avons, comme je le disais précédemment, réuni au début du mois les acteurs électoraux autour d’une table. Les élections devraient se tenir le 6 février prochain.
Afrik.com : Et en RDC ?
Hugo Sada : La présidentielle devrait se dérouler fin 2011. Là, les choses se préparent à une tout autre échelle. Il y a beaucoup de partenaires, et ça coûte cher ! Entre 7 et 800 millions de dollars (américains). Il y a un point sur lequel les autorités congolaises nous ont demandé un appui : prévenir les contentieux, sur tout le processus préélectoral et postélectoral. Ils estiment que nous sommes les mieux placés pour cela. Nous avons déjà discuté avec la MONUSCO (Mission des Nations unies en République Démocratique du Congo, ndlr), l’UA (Union africaine, ndlr), le Pnud (Programme des Nations unies pour le développement, ndlr)… afin que nos actions soient concertées et que soient prises en compte les spécificités des uns et des autres. La concertation, c’est pour nous un véritable acquis. Et aujourd’hui, la Francophonie est un acteur reconnu.
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