Les Egyptiens sont appelés mercredi à élire leur nouveau chef d’Etat. Un scrutin historique plus d’un an après la chute du régime de Mohammed Hosni Moubarak. L’armée à la tête du pays a assuré qu’elle était prête à passer la main aux civils le 1er juillet. Respectera-t-elle sa promesse ou continuera-t-elle à œuvrer dans l’ombre ?
L’Egypte embrasse-t-elle un nouveau destin ? Pour la première fois depuis la chute de Hosni Moubarak, le 11 février 2011, les Egyptiens sont appelés aux urnes mercredi et jeudi pour le premier tour de la présidentielle. Près de 51 millions d’électeurs devront donc choisir leur futur Président. Le second tour du scrutin se déroulera les 16 et 17 juin.
Douze candidats sont en lice pour succéder à Hosni Moubarak. Quatre personnalités données favorites dans les sondages se démarquent. Deux d’entre elles sont issues du régime déchu, dont Amr Moussa, ancien chef de la Ligue arabe et ex-ministre des Affaires étrangères et Ahmad Shafiq, ultime Premier ministre de l’ex-raïs. Ils prônent tous deux le retour à la stabilité et à la croissance économique. Leurs idées ont touché de nombreux Egyptiens prêts à tourner la page après les violences qui ont éclaté dans le pays.
Premier débat présidentiel
De l’autre côté, on trouve le candidat des Frères musulmans Mohammed Morsi. Mais ce dernier est rudement concurrencé par l’islamiste indépendant Abdel Moneim Aboul Fotouh, ancien cadre dirigeant des Frères musulmans, exclu du parti en 2011. Il est en effet soutenu par une partie de la confrérie, des salafistes et jeunes laïques. Les Frères musulmans qui dominent le Parlement après avoir remporté les législatives espèrent accéder au pouvoir exécutif. Mais ils ont multiplié les faux pas durant la campagne, effectuant des revirements qui ont semé la confusion chez certains de leurs partisans.
La campagne présidentielle s’est achevée lundi. Désormais les candidats ne pourront plus apparaître à la télévision, donner des entretiens à la presse ou mener une quelconque activité publique qui pourrait influencer les électeurs. Le 10 mai, pour la première fois de leur histoire, les Egyptiens ont pu assister pendant quatre heures à un débat télévisé entre deux candidats, Amr Moussa et Abdel Moneim Aboul Fotouh. La confrontation entre les deux hommes, retransmise sur deux chaînes privées, ONTV et Dream à 20 heures, a été très vive : « Vous avez travaillé pour le compte d’un groupe, les Frères musulmans, pas pour l’Egypte en tant que nation », a lancé Amr Moussa à Aboul Fatouh. Mais la riposte de ce dernier a été cinglante : « Il y a une règle selon laquelle celui qui a un jour fait partie du problème ne peut pas le résoudre ».
Une campagne démocratique
La campagne s’est déroulée dans un climat démocratique. Les candidats ont parcouru le pays, multipliant les meetings et les conférences de presse. Est-ce pour autant qu’il n’y aura aucun risque de fraudes ou corruption lors du scrutin ? Rien n’est moins sûr. Le ministère de l’Intérieur a annoncé un plan de sécurité massif pour assurer le bon déroulement de l’élection, notamment le transport des urnes vers les 351 centres de dépouillement du pays. L’armée qui a promis des « élections 100% honnêtes » a appelé lundi la population « à accepter les résultats qui reflèteront le choix du peuple égyptien libre ».
Pour le général Hussein Tantaoui, chef du Conseil suprême des forces armées, cette présidentielle est la preuve que « le processus démocratique fait ses premiers pas et nous devons tous participer à assurer son succès ». Il estime qu’il est « extrêmement important » que les Egyptiens prennent part au scrutin, porteur de « l’espoir que le pays parviendra au progrès, à la prospérité et la stabilité ». Même son de cloche pour le président du Parlement, Saad al-Katatni, membre de la puissante confrérie des Frères musulmans, qui a affirmé que « l’Egypte était le théâtre d’une expérience démocratique sans précédent ».
Une présidentielle aux enjeux multiples
Les Egyptiens attendent beaucoup de leur nouveau président, les défis à relever dans le pays son immenses. Les rudes conditions de vie à l’origine du soulèvement de janvier 2011 ne se sont guères améliorées. L’économie est en panne, le taux de chômage élevé, sans compter l’effondrement des services publics et du système éducatif. Ils craignent aussi pour la stabilité du pays qui a été ébranlée depuis la révolution. Tewfik Aclilmandos, chercheur spécialiste de l’Egypte contacté par Afrik.com, estime que « l’économie ne pourra pas repartir tant qu’il n’y aura pas de sécurité dans le pays. Pour que le tourisme retrouve son dynamisme il faut renouer avec la stabilité ».
Cette présidentielle pourrait changer la donne politique en Egypte. Le pays qui n’a toujours pas écrit sa Constitution se pose la question de savoir quel type de pouvoir émergera après le scrutin. Un régime présidentiel ou parlementaire ? « C’est la grande question aujourd’hui en Egypte », note Rashid Khalidi, professeur d’études arabes à l’Université de Columbia, à New York. « Ce n’est pas de savoir si le président sera ou non un fondamentaliste, ou s’il sera ou non Frère musulman, c’est de savoir qui du président et du parlement détiendra réellement le pouvoir ».
Quel rôle pour l’armée ?
L’armée qui a quant à elle promit de se retirer du pouvoir le 1er juillet va-t-elle respecter ses engagements ou œuvrer en coulisse ? La première hypothèse est sans doute la plus probable. En dépit de la forte contestation à son encontre depuis la fin du règne de Hosni Moubarak, elle n’a jamais lâché les rênes du pays. Malgré la domination des Frères musulmans au Parlement, l’armée n’a pas changé de mains. Le maréchal Hussein Tantaoui, qui fut pendant vingt ans ministre de la Défense de l’ex-rais, a tardé à annoncer son retrait du pouvoir après la présidentielle. En tous cas, l’un des dirigeants des Frères musulmans, Essam el Erian, a prévenu qu’ils « ne permettraient pas à l’armée de jouer un rôle politique » à l’avenir, tout en admettant que le processus de « démilitarisation de l’Etat » prendrait du temps pour éviter « une confrontation frontale ».
Si les militaires ont assuré qu’ils ne se mèleraient plus des affaires courantes du pays, ils refusent toutefois de renoncer à leur droit de regard sur la politique étrangère où leurs privilèges. Sous Hosni Moubarak, ces privilèges étaient garantis par le soutien financier des Etats-Unis qui déboursaient 1,3 milliard de dollars par an (rançon de l’accord de paix égypto-israélien de Camp David). Le nouveau pouvoir égyptien aura beaucoup de choses à négocier avec l’armée, selon Tewfik Aclimandos qui estime que « l’armée rendra le pouvoir si elle préserve ses privilèges. Tant qu’on ne touche pas à son pouvoir économique, le problème ne devrait pas se poser ». L’Egypte sera bientôt fixée sur son sort. Cette présidentielle sera une source d’espoir pour le renouveau ou au contraire la continuité de l’après Moubarak dominé par l’armée.
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