L’Egypte a réitéré en début de semaine son rejet d’un nouveau plan de partage des eaux du Nil. Des négociations entre les dix pays de l’Initiative du bassin du Nil (NBI), tenues le 13 avril dernier à Charm Al-Cheikh, avaient buté sur le refus du Caire de revoir sa part du fleuve à la baisse. L’Égypte exploite, en vertu d’un accord conclu avec la Grande-Bretagne en 1929, la moitié du débit du Nil. Selon Barah Mikaïl, chercheur à l’Institut de Relations internationales et stratégiques (IRIS), l’Egypte aurait tout à gagner à changer d’attitude. Explications.
«L’Egypte défendra ses droits historiques sur les eaux du Nil », tempêtait, lundi 19 avril, le ministre égyptien de l’Eau et de l’Irrigation, Mohammed Allam, devant les membres du Parlement au Caire. L’Egypte réitérait son rejet, exprimé quelques jours auparavant, d’un nouveau plan de partage des eaux du Nil, dont elle exploite à elle seule plus de la moitié du débit. Réunis dans la station balnéaire égyptienne de Charm el-Cheikh, le 13 avril dernier, les pays riverains du Nil n’étaient pas parvenus à se mettre d’accord sur un accord-cadre portant sur un partage équitable de ces eaux, en raison du refus de l’Egypte et du Soudan. L’Egypte s’accroche à un accord conclu avec la Grande-Bretagne en 1929 au nom de ses colonies d’Afrique de l’Est, et à un autre passé avec le Soudan en 1959, pour faire valoir des « droits historiques » sur le fleuve. Des traités que des pays comme l’Ethiopie, la Tanzanie, L’Ouganda, le Kenya, ou la République démocratique du Congo contestent au motif qu’ils n’en sont pas signataires. Les différends sur le partage du Nil persiste depuis des années, et l’Egypte va même jusqu’à brandir la menace de l’intervention militaire à chaque fois qu’elle sent ses intérêts sur le fleuve menacés. C’est une « question de sécurité nationale », a martelé lundi le ministre Egyptien de l’Eau. Y a-t-il donc un risque que ces tensions dégénèrent en « guerre de l’eau », comme le redoutent certains analystes ? Selon Barah Mikaïl, chercheur à l’Institut des relations Internationales et stratégiques (IRIS), spécialisé dans le Moyen-Orient et la Géopolitique de l’eau, les responsables égyptiens seraient « mieux avisés d’obtenir aujourd’hui par la diplomatie ce qu’ils pourraient ne pas obtenir demain par la force. »
Afrik.com : Les négociations portant sur un accord-cadre pour le partage des eaux du Nil, tenues il y a quelques jours entre les dix pays de l’Initiative du bassin du Nil (NBI), ont échoué. L’Egypte, s’appuyant sur d’anciens traités, refuse toujours que son quota soit remis en cause. Pensez-vous que cela soit légitime ?
Barah Mikaïl : Incontestablement, les modalités officielles prévalant en termes de partage des eaux du Nil font part à une forme d’iniquité. Egyptiens et Soudanais s’attribuent en effet des droits qui en viennent notamment à démunir l’Ethiopie, qui est pourtant à l’origine de 80% des eaux du Nil. La légitimité de la situation courante en ressort dès lors ébranlée. Et il va de soi que, au vu de la recomposition des rapports de force en gestation dans le bassin du Nil, une modification de la situation en cours se doit d’être esquissée.
Afrik.com : Les pays de l’amont du Nil [[le Burundi, la République démocratique du Congo, l’Ethiopie, le Kenya, le Rwanda, la Tanzanie et l’Ouganda]] ont annoncé qu’ils allaient procéder à la signature de l’accord-cadre d’ici le mois de mai, même si l’Égypte et le Soudan refusent d’y adhérer. Selon vous quelles en seraient les conséquences ?
Barah Mikaïl : Je crois qu’il faut se garder de vouloir entrevoir, dans l’immédiat, les signes d’une catastrophe annoncée. Certes, les désaccords continuent à prévaloir entre l’Egypte et le Soudan d’un côté, et leurs homologues du bassin du Nil, d’autre part. Cela étant dit, plus le temps avance, plus Egyptiens et Soudanais voient que le recours à des options militaires afin de confirmer leurs avantages hydrauliques s’avérerait contre-productif. Il faudra éventuellement s’attendre dans les prochains mois à des déclarations et allusions gouvernementales quelque peu envenimées, mais pas de quoi entrevoir l’ouverture d’un embrasement durable.
Afrik.com : L’Égypte soupçonne des intentions malveillantes à son égard. En cause, les accords passés entre les gouvernements éthiopien et israélien pour construire des installations hydroélectriques sur le Nil Bleu. De même que pour des projets d’ouvrages sur le Nil en Ouganda. Ses craintes sont-elles fondées ?
Barah Mikaïl : Jusqu’à un certain point, l’Egypte a raison d’appréhender la nature des relations israélo-éthiopiennes en matière hydraulique. Le passé a prouvé en effet que les propositions faites par Israël à l’Ethiopie dans ce domaine auraient notamment pour conséquences d’altérer la disponibilité en eau que retire l’Egypte des eaux du Nil. Cependant, ce n’est pas pour autant que Le Caire a raison d’opter pour l’attentisme. Bien au contraire, l’évolution des perspectives montre que la situation égyptienne n’est pas tenable à terme. Les rapports de force évoluent en effet, et ils n’abonderont probablement pas à l’avenir dans le sens des Egyptiens. Ils seraient mieux avisés d’obtenir aujourd’hui par la diplomatie ce qu’ils pourraient ne pas obtenir demain par la force.
Afrik.com : Comment les pays du bassin de Nil pourraient-ils parvenir à modifier le statu quo ? Selon vous où réside la clé du problème ?
Barah Mikaïl :Le bassin du Nil est à l’image de l’écrasante majorité des bassins transfrontaliers présents à l’échelle de la planète. Il met en perspective un déficit de coopération entre Etats concernés par les eaux d’un même fleuve. Incontestablement, la solution réside dans le partage équitable. Mais à la condition pour celui-ci de prendre en compte tous les besoins des pays concernés, notamment au vu de leurs populations respectives et des nécessités qui en découlent. Evidemment, avant cela, il faut que la volonté de l’ensemble des pays concernés par les eaux du Nil précède la négociation pour un meilleur partage. Tant que cette condition ne sera pas garantie, toute tractation manquera d’horizon clair, et sera donc nécessairement compromise.
Afrik.com : L’Egypte a à plusieurs reprises laissé entendre qu’elle était prête à recourir à l’action militaire pour faire respecter son « droit naturel » sur le Nil. Y a-t-il un risque que ces tensions dégénèrent en « guerre de l’eau »?
Barah Mikaïl :Plus on avance dans le temps, plus ce risque s’éloigne, même si on ne peut entièrement l’exclure. L’Egypte n’est plus dans la position des années 1980, quand elle avait des moyens militaires qui l’érigeaient au-dessus de ses homologues régionaux africains. Aujourd’hui, elle doit se faire à un certain nombre de réalités, qui passent par l’exacerbation de la situation politique au Soudan, le renforcement politique et diplomatique de l’Ethiopie, et bien sûr l’absence de disposition actuel des puissances internationales à voir un conflit pour l’eau éclater dans la région. Ce pays aurait tout simplement tout à perdre en privilégiant la voie militaire. Son ouverture d’un front hydraulique belliqueux franc en ferait en effet un pays isolé. D’autant plus que la situation de l’Egypte en matière d’eau douce renouvelable est difficile, mais pas fatale.