Plongée depuis plusieurs mois dans une crise politico-économique sans précédent, exacerbée par une montée en puissance du Salafisme, l’Egypte traverse aujourd’hui l’une des pires périodes de son histoire. Aujourd’hui, le pays fait face à des nombreux défis à relever, dont le plus important reste sans doute l’économie.
Depuis le départ du Reich déchu, Hosni Bourarak, le 11 février 2011, suite à une longue et brutale protestation populaire, l’Egypte est confrontée à un sérieux problème politique et social qui gangrène l’économie du pays. Le pays se cherche encore et est aujourd’hui sur le point de basculer entre la démocratie et l’anarchie. Retour sur les temps forts d’un pays qui appréhende aujourd’hui son avenir avec beaucoup d’incertitude.
Situation politico-sociale accablante
Après vingt-ans de règne sans partage, Hosni Moubarak et sa famille qui auront dirigé le pays pendant de longues années devaient plier bagages. La révolution qui avait secoué le pays voisin, la Tunisie, avait inspiré une bonne partie de la population égyptienne qui elle aussi aspirait à un changement. C’était la fin d’une longue et douloureuse époque pour un pays qui certainement aura du mal à fermer ce chapitre de son histoire.
Après de longs mois de transition politique où la gestion de l’Etat était entièrement confiée à l’armée, avec à sa tête le général Tantaoui, les Egyptiens décident finalement de laisser perdurer le suspense et de se rendre aux urnes le 26 juin 2012 pour choisir leur président. Celui qui pouvait, à leurs yeux, remettre en marche une démocratie presque moribonde. Deux candidats s’affrontent : Mohamed Morsi, candidat du Parti Liberté et Justice des frères musulmans et Ahmed Chafik, homme fort du Parti National Démocratique. Tout sépare les deux hommes : le premier se dit Salafiste et prône le retour de la Loi islamique dans la société égyptienne, tandis que le second, plutôt modéré, veut une Egypte ouverte et plus tolérante.Les partisans des deux partis ne cessent de se regarder en chien de faïences et le pays venait d’être divisé en deux.
Le 26 Juin 2012, La Commission électorale annonce la victoire de Morsi à l’issue des élections présidentielles, la première de ce genre depuis l’ascension au pouvoir de Hosni Moubarak, le 14 octobre 1981. Avec 13 millions de voix contre 12 millions pour son rival Chafik, Morsi devenait ainsi le 3ème président du pays. Pourtant juste après sa nomination, Mohamed Morsi joue la carte de l’unité nationale. Il prône le dialogue national, tend la main aux différentes communautés et jure devant Dieu de protéger le système républicain. Mais quelques mois après son investiture à la tête du pays, la réalité est toute autre.
Le président Morsi est aujourd’hui accusé par ses détracteurs laïcs et libéraux d’asphyxier le système démocratique du pays. Sa victoire du « oui » lors du dernier référendum est perçu par certains comme un coup de massue porté à la démocratie du pays. Sa nette victoire de 64% ne donnait pas l’idée qu’il ait conquis le peuple, en raison de la très faible participation de ce dernier (environ 32%) et certains voient en la rédaction de cette nouvelle Constitution une façon d’élargir les prérogatives de son parti islamiste, Parti Liberté et Justice.
Jointe par Afrik.com, Sophie Pommier, chargée de cours à l’IEP et directrice du cabinet Consultant MOROE nous informe qu’environ 84 % des sénateurs du parlement égyptiens sont issus des Frères Musulmans et dénonce la reconfiguration de l’armée égyptienne qui, selon elle, garde encore ses prérogatives. Aujourd’hui, les affrontements entre partisans des Frères musulmans et laïcs dans le pays sont légion. Et la paix sociale tant prônée par Morsi est loin d’être conquise. Le pays reste divisé entre zone rurale et urbaine. La première reste encore très attachée aux Frères musulmans, tandis que la seconde veut une Egypte plus ouverte et plus démocratique.
Une économie au bord du gouffre
En succédant au président Moubarak, Mohamed Morsi n’avait certainement pas mesuré la gravité de la situation économique délétère que traversait le pays. Les évènements de janvier 2011 ont entrainé un fort ralentissement de l’activité, dû à l’instabilité de la situation politique. La dette souveraine du pays a été dégradée à trois reprises par les agences de notation et les taux d’intérêt ont connu une hausse vertigineuse. Cependant, l’idée de dire que les frères musulmans n’étaient point imprégnés de la réalité de la situation économique semble ne pas faire l’unanimité.
« Les Frères musulmans connaissaient bien la situation économique pays », déclare Sophie Pommier, qui ajoute : « le vrai problème c’est qu’ils n’étaient pas prêts à prendre les rênes du pays. »
Interrogé par Afrik.com pour s’exprimer sur la situation économique que traverse l’Egypte, Tewfek Aclimandos, chercheur associé à la chaire contemporaine du monde arabe au Collège de France et spécialiste de l’Histoire de l’Egypte, dresse un bilan beaucoup plus morose. « L’Egypte traverse des moments extrêmement difficiles. Le moteur de l’économie égyptienne : le tourisme ne fonctionne plus. A cela s’ajoute la fuite des bailleurs de fonds qui refusent d’investir dans un pays en pleine crise politique et économique », nous apprend-t-il.
« L’Egypte fait face à un choc démographique. Le pays a besoin de 800.000 à 1.000.000 d’emplois pendant plusieurs années afin de renouer avec la croissance. L’armée a vidé les caisses de l’Etat et les frères musulmans ont pensé qu’en faisant le forcing, ils parviendraient à résoudre le problème » a-t-il conclu.
Aujourd’hui, conscient de la gravité de la situation, le président Morsi sollicite l’aide du FMI (Fonds Monétaire International) pour un prêt de 4, 8 milliards de dollars afin de remettre à flot un pays au bord de la faillite. En seulement deux ans, le taux de chômage passe de 09% à 12% dans un pays qui, en 2007, était la quatrième puissance économique du continent africain. Le récent remaniement ministériel de ce Dimanche 06 janvier est donc un signal très fort lancé par les frères musulmans aux dirigeants du Fonds Monétaire International. Mais là également, l’Egypte et le FMI butent sur un obstacle de taille ayant coûté très cher à l’ex ministre des Finances, Momtaz al-Saïd actuellement remplacé par El-Morsy El-Sayed Hegazy.
En effet, selon Sophie Pommier, le remplacement de l’ex ministre des finances a une explication. « Morsi était obligé de remplacer son ex ministre des Finances car les Frères musulmans veulent un prêt sans intérêts avec le FMI dans le souci de respecter les lois de la finance islamique. Donc pour ne pas créer la polémique au sein des Frères, Morsi est donc obligé de nommer un proche des Frères pour faire semblant que le prêt contracté auprès du FMI sera bien en accord avec les lois de la Finance islamique », déclare-t-elle.
Aujourd’hui, la situation économique est de plus en plus préoccupante. Et l’Egypte n’hésite surtout pas à tourner le dos aux pays occidentaux plongés dans une profonde crise financière. Le pays tente de gagner la confiance des pays du Golf tels le Qatar ou encore les pays émergents dont la Chine pour obtenir de l’aide. En attendant que la situation politique et sociale s’améliore et que le pays renoue avec une prochaine croissance économique, les égyptiens veulent des résultats et les veulent dès maintenant. Le président Morsi parviendra-t-il à relever le défi ? L’avenir le dira.