Certains rwandais nourrissent des sentiments amers envers l’Eglise. Ils estiment en effet que des religieux catholiques ont trempé dans le génocide de 1994, qui aurait fait entre 800 000 et un million de morts, principalement Tutsis. Accusations que l’Eglise rwandaise nie fermement. Les critiques reprochent aussi au pape Jean-Paul II, décédé samedi dernier, de n’avoir pas suffisamment œuvré pour arrêter les massacres et d’avoir protégé les criminels.
L’Eglise catholique au banc des accusés dans le génocide de 1994. Certains Rwandais gardent en mémoire une bien triste image de cette institution religieuse. Des survivants font en effet état de l’implication de religieux dans les massacres, dans lesquels auraient péri entre 800 000 et un million de Tutsis (ethnie minoritaire) et Hutus qui cherchaient à les protéger ou qui s’opposaient au régime en place. L’église catholique rwandaise réfute fermement les accusations portées à son encontre en tant qu’institution. Plusieurs condamnations ont toutefois été prononcées.
Morts dans la maison de Dieu
Lors des tueries, d’avril à mai 1994, les églises n’étaient plus des sanctuaires sacrés. Ils ne constituaient plus un havre de paix inviolable. Chose que les Tutsis et les Hutus dits modérés n’ont su pour beaucoup que trop tard. Les miliciens Interhamwes hutus ne se sont pas privés d’assiéger les églises où s’étaient parqués par centaines des réfugiés, espérant être intouchables. Assassinés à coup de machette puis brûlés. Parfois, ils étaient tout simplement brûlés vifs. « Auparavant, en temps de persécution, les gens se rendaient dans les églises et y étaient en sécurité parce que personne n’osait y tuer. Mais en 1994, je ne sais pas pourquoi, les choses se sont passées différemment », raconte un étudiant de Kabgayi, où plusieurs religieux hutus proches du pouvoir ont été tués par des soldats du Front patriotique rwandais (FPR) le 6 juin 1994.
Est-ce à dire que l’église partage une part des responsabilités ? « Parce que des gens sont morts dans des églises, les gens ont fait la confusion, en se disant qu’elle avait participé aux crimes. Mais c’est faux », poursuit l’étudiant. « L’Eglise n’a jamais encouragé ça (le génocide, ndlr). L’évêque de l’époque a d’ailleurs écrit une lettre pastorale appelant la population au calme. Elle n’a jamais incité à tuer. Il est vrai que le clergé faisait partie du comité du MRND (Mouvement révolutionnaire national pour le développement, ndlr), mais il n’a jamais prêché ça », affirme J, une Hutu catholique de 57 ans. Elle ajoute : « Je n’ai pas vu de religieux tuer, mais peut-être que certains ont été forcés de le faire, comme beaucoup de Rwandais, pour sauver leur peau. » Une membre de la Commission épiscopale justice et paix qui a requis l’anonymat conclut quant à elle : « Si un chrétien s’est impliqué dans le génocide, il ne faut pas condamner toute l’Eglise. Il ne faut pas tout lui mettre sur le dos. Mais le Saint père (le pape Jean-Paul II, ndlr) a quand même demandé pardon parce que certains de nos fidèles avaient tué. »
« Des sœurs ont fourni des bidons d’essence »
Plusieurs témoignages accusent pourtant les religieux d’avoir tout fait pour que les Tutsis soient tués. « Une centaine de religieux ont agit passivement ou activement. Certains ont laissé les miliciens entrer dans les églises et tuer, parfois par peur de représailles s’ils venaient à être surpris à protéger des Tutsis. Il y a aussi des cas de religieux qui n’ont pas ouvert la porte de leur église, sachant pertinemment le sort qui attendait dehors les Tutsis. Mais d’autres ont apporté une aide directe, comme les deux sœurs (sœur Gertrude et sœur Maria Kisito, ndlr) jugées et condamnées en Belgique. Le monastère qu’elles dirigeaient devait accueillir des réfugiés, mais elles ont fourni les bidons d’essence aux miliciens pour qu’ils mettent le feu au garage et à l’infirmerie où 2 000 personnes s’étaient regroupées. Elles ont donc été des complices actives. L’église catholique du Rwanda a failli dans son devoir de protection », commente Christian Terras, rédacteur en chef de la revue catholique Golias Magazine, qui a longuement enquêté sur le rôle de l’église rwandaise dans le génocide.
Le journaliste, également directeur de la rédaction du dossier Rwanda : l’honneur perdu de l’église, précise que l’église n’est pas seule responsable des massacres, mais qu’elle y a grandement contribué en instaurant un climat d’« antagonismes raciaux et ethnistes entre Hutus et Tutsis ». « Au départ, les missions françaises et belges ‘chouchoutaient’ les Tutsis, qu’elles estimaient de rang royal, plus intelligents, plus fins… en somme en qui elles voyaient l’avenir du pays. De 1900 à 1950 environ, elles se basaient sur eux pour asseoir leur évangélisation du pays et faire du Rwanda un exemple de réussite à suivre pour les autres Etats africains », explique-t-il.
L’Eglise retourne sa soutane
Mais dans les années 60, les Tutsis sont inspirés par le vent d’indépendance qui souffle sur le continent. Une indépendance qui n’était pas du plus bon aloi pour le colon belge, puisque la minorité privilégiée souhaitait se tourner vers un modèle « de l’Est, socialiste et progressiste, dans lequel l’Etat et l’Eglise seraient séparés », poursuit le rédacteur en chef de Golias Magazine. C’est alors que l’église catholique aurait décidé de se détourner des Tutsis pour favoriser les Hutus, majoritaires. « L’église ne voulait pas voir son pouvoir, elle était notamment le plus grand propriétaire de terres, mourir. Or, si les Tutsis parvenaient à leur but, tout allait leur échapper. Elle a dit que les Hutus étaient majoritaires, mais qu’ils étaient pourtant les plus pauvres et les plus exploités. Elle les a exhortés à retrouver leur liberté. La première constitution de la première république rwandaise, rédigée par Monseigneur Perraudin, un Suisse, a mise enceinte une société d’Apartheid entre Hutus et Tutsis », indique Christian Terras.
Les Tutsis, qui étaient déjà décimés par petites vagues dans les années 60-70, ont cherché à résister. Ceux qui avaient fui en Ouganda se sont organisés dans l’espoir de renverser le Président hutu Juvénal Habyarimana, parvenu au pouvoir en 1973 à la faveur d’un coup d’Etat. Ils mènent des incursions, tentent de ses soulever, de déstabiliser le régime… Les Accords d’Arusha (Tanzanie) de 1993 marquent un tournant critique. Ils jettent en effet les bases du partage du pouvoir entre le MRND, le FPR et les partis d’opposition.
Des prêtres « héros de la foi »
Ce qui n’aurait pas satisfait l’église. « Si le FPR venait à prendre le pouvoir, cela aurait été un cataclysme pour elle. Elle a donc fait de ses religieux des soldats zélés pour écraser les Tutsis », confie Christian Terras. C’est le crash de l’avion du Président Habyarimana, le 6 avril 1994, qui signera le début officiel du génocide des Tutsis, la « shoah africaine » comme l’appelle le rédacteur en chef de Golias Magazine.
Mais tous n’auraient pas succombé à la peur ou collaboré avec les génocidaires. « Selon les informations que j’ai pu recueillir lors de mes nombreuses enquêtes, j’ai répertorié qu’une trentaine de religieux hutus et tutsis ont eu un courage extraordinaire. Ils étaient de véritables martyrs de la foi, des héros de la foi, qui ont protégé des familles entières au prix de leur propre vie. Si des miliciens arrivaient pour tuer des gens, ils leur disaient qu’il fallait dans ce cas les tuer eux-aussi », explique Christian Terras.
La couleur rouge du deuil du pape
Mais parce que les religieux sauveurs ont été très peu nombreux, pour quelques Rwandais, la couleur du deuil du pape Jean-Paul II est rouge. Comme le sang des victimes des massacres. Ils estiment en effet que le Saint père, décédé samedi dernier, aurait dû être plus ferme dans sa condamnation du génocide et pousser les pays à engager leur armée au Rwanda. D’autres avancent que s’il s’était plus engagé, personne ne serait mort dans les églises.
Autre grief : le Vatican aurait fortement incité les témoins à taire ce qu’ils avaient vu pour protéger de nombreux génocidaires. Plusieurs procès de religieux ont eu lieu au Rwanda et en Belgique, habilitée à juger des cas qui ne concernent pas ses nationaux et qui ne se sont pas passés sur son territoire. Il y a eu des condamnations, notamment celles des sœurs Maria Kisito et Gertrude, respectivement condamnées le 8 juin 2001 à 12 et 15 ans de prison. Des relaxes ont également été prononcées. C’est de cette décision judiciaire dont a bénéficié Monseigneur Misago, qui après 14 mois de prison dans « une prison dorée » au Rwanda a recouvré la liberté. La justice ayant trouvé que les témoignages qui l’inculpaient n’étaient pas suffisants. Certains voient derrière cette libération l’aide d’instances extérieures au Rwanda, et surtout celle du Vatican, qui a publié un dossier en faveur de l’accusé juste avant le verdict et s’est réjouit du jugement. « L’absolution du prélat est un événement heureux pour l’Eglise, non seulement en Afrique, mais au niveau universel », a déclaré le cardinal Jozef Tomko, à l’époque préfet de la congrégation vaticane pour l’évangélisation.
Jean Damascène Bizimana, dans son ouvrage L’Eglise et le génocide au Rwanda, les Pères blancs et le négationnisme, explique par ailleurs que le Vatican a aidé des religieux ayant commis des atrocités et qui souhaitaient quitter leur pays pour échapper à la justice. Des exfiltrations soigneusement préparées qui auraient permis à plusieurs présumés coupables de couler des jours heureux en Europe et même de continuer à exercer leur profession.