La Libye se noie dans une mer de sang. La mobilisation contre le régime de Mouammar Kadhafi, violemment réprimée, a déjà connu au moins 640 morts. Le leader libyen, qui dirige le pays d’une main de fer depuis 42 ans, a promis mardi lors de son allocution télévisée, que toute personne manifestant serait passible de la peine capitale. La stabilité du régime qui reposait essentiellement sur le soutien des tribus, les forces militaires, et les ressources en hydrocarbures, se disloque chaque jour un peu plus.
Le régime libyen est à bout de souffle. Plusieurs membres de l’administration, dont les ministres de la Justice et de la Sécurité, ont démissionné pour protester contre la répression à l’encontre des manifestants. Et une partie de l’armée s’est ralliée à la révolte populaire.
La condamnation des tribus
Le compte à rebours semble avoir commencé pour Mouammar Kadhafi. Au pouvoir depuis 1969 après avoir renversé le vieux roi Idriss, il a toujours pu compter sur l’appui des principales tribus du pays. Une allégeance qui remonte à la période coloniale, lorsque qu’elles s’étaient unies contre la domination italienne. Mais ce soutien est remis en question. Leurs représentants ont violemment réagi à la répression sanglante des manifestants. Le pays compte en effet une dizaine de tribus qui contribuent à la stabilité du régime. Parmi elles, la tribu Al-Warfala, l’une des plus importantes avec près d’un million de membres, qui a exhorté la population à s’opposer au régime. Un appel suivi par celle des Touaregs, qui compte près de 500 000 personnes. De même, le dirigeant de la tribu Al Zouaya a menacé de couper les exportations de pétrole vers les pays occidentaux si les violences ne cessaient pas dans les vingt-quatre heures. La tribu de Tarhouna, qui représente le tiers de la population de la capitale Tripoli et dont la plupart des soldats de l’armée sont issus, a à son tour décidé de lâcher le régime et de se ranger du côté de la révolte.
Le pouvoir a conscience du rôle clé qu’elles jouent au sein du pays. Pour conforter son règne, Mouammar Kadhafi, de la tribu des kadafa, a promu leurs chefs aux plus hautes fonctions de l’armée, de l’administration et des affaires. Il privilégie plutôt les liens familiaux avec eux pour asseoir sa légitimité. D’ailleurs, lors de son discours télévisé, Saïf al-Islam, l’un de ses fils, a agité la menace des divisions claniques si les troubles qui secouent le pays venaient à perdurer. « La Libye est une société de clans et de tribus. Cela pourrait causer des guerres civiles », a-t-il déclaré.
Le régime doit aussi faire face aux défections au sein de l’armée. Selon le quotidien d’information britannique The Guardian, Benghazi, ville située à l’est du pays, ne serait plus sous le contrôle du pouvoir. Des militaires y défient ouvertement le régime, brandissant des drapeaux de l’époque monarchique.
Une Garde révolutionnaire prête à tout
Depuis le début de son règne, Mouammar Kadhafi a toujours entretenu une certaine défiance vis-à-vis de l’armée, craignant de subir un coup d’Etat militaire. Il a ainsi consolidé son régime par la création d’une Garde révolutionnaire. Celle-ci est composée d’une réserve de 40 000 citoyens constituant « les milices populaires », dirigées par ses enfants.
Le risque d’une confrontation entre l’armée, qui n’est pour le moment pas intervenue contre le peuple, et la Garde révolutionnaire qui a menacé les manifestants d’une riposte «foudroyante», est réel. Des mercenaires ont été appelés en renfort de cette Garde. Ils seraient à l’origine des plus violentes répressions à l’encontre des manifestants. Au nombre de 30 000, ils sont pour la plupart africains, selon l’organisation humanitaire Human Rights Watch. Ils proviendraient du Tchad, de la Mauritanie, du Nigeria, de l’Algérie et de pays d’Afrique centrale. Pour chaque personne abattue, une prime de 10 000 à 12 000 dollars leur est promise. D’autres arriveraient également d’Europe, il s’agirait de Serbes, déjà recrutés pour structurer militairement les « milices populaires » toujours fidèles au régime.
Le pouvoir en place aurait ordonné l’intervention des mercenaires pour pallier au manque de réactivité de l’armée. Les accusations de corruption, lancées la semaine dernière par Saïf Al-Islam Kadhafi contre les forces armées via l’agence Libya Press, sont un autre signe des tensions entre les militaires et le pouvoir. Mais le dirigeant libyen pourrait cependant compter sur la police, soutenue par les Comités révolutionnaires dirigés par son cousin.
L’or noir, clé de l’économie libyenne
Les violences ont conduit au départ des compagnies pétrolières, provoquant la suspension des activités et une nouvelle flambée de l’or noir. Une situation qui pèse lourd dans l’économie libyenne, qui repose essentiellement sur l’importante ressource pétrolière du pays. Avec une production de près de 1,8 million de barils par jour, majoritairement exportée, la Libye est l’un des quatre principaux producteurs africains. Elle dispose d’une grosse réserve : avec 44 milliards de barils, loin devant le Nigeria (37,2) et l’Algérie (12,2), ce qui en fait un marché important pour les investisseurs étrangers.
L’inquiétude est grande dans les pays occidentaux qui craignent que l’arrêt de plusieurs sites de production cause une rupture de l’offre de pétrole dans le pays. Le cours du baril a franchi le seuil symbolique des 100 dollars pour la première fois depuis deux ans et demi. La question de l’approvisionnement est particulièrement préoccupante pour l’Europe, qui aspire à ce que la crise cesse au plus vite. Car la Libye y exporte 80% de son or noir. En 2010, 23,3 % des importations de pétrole de l’Italie provenaient de Libye.
Face à cette situation de crise, les jours du Colonel Mouammar Kadhafi au pouvoir semblent comptés. Les soutiens dont il bénéficiait avant la révolte populaire sont désormais en lambeaux. Et la communauté internationale, la Ligue arabe et l’Union africaine comprises, a condamné les violences. Un isolement et un affaiblissement du « Guide » qui pourraient profiter au peuple, lequel, malgré la sanglante répression, reste déterminé à conquérir sa liberté.