La création des 16 régions actuelles au Maroc date de 1971. Mais depuis le 3 janvier dernier, le roi Mohammed VI a décidé de mettre un coup d’accélérateur au processus en installant une commission chargée de réfléchir à une « régionalisation avancée ». Si les régions marocaines ont acquis depuis 1992 le statut de collectivité locale avec une vocation culturelle et sociale, c’est leur dimension de levier économique qui intéresse désormais.
Les régions ont un budget propre depuis 2006, et sont depuis encouragées à s’impliquer dans l’élaboration et la mise en œuvre des politiques nationales au niveau régional. Avec la « régionalisation avancée » qui devrait être mise en œuvre dès l’année prochaine, les régions devront être les moteurs de l’économie marocaine. Leur développement ne rime donc pas avec un affaiblissement de l’Etat central. Pour cela, le roi Mohammed VI a donné trois axes de réflexion aux membres de la Commission consultative de la régionalisation : promouvoir le principe de solidarité entre les régions, repenser le découpage régional et chercher un « modèle maroco-marocain de régionalisation ». Ahmed Bouachik, professeur à l’université Mohammed V de Rabat et membre de la Commission qui doit rendre ses conclusions à la fin de l’année, a participé jeudi dernier à un colloque à l’Assemblée nationale française sur la question de la régionalisation au Maroc. Il donne un éclairage sur ce processus lancé en novembre 2009.
Afrik.com : Quelles sont les spécificités du modèle marocain en matière de régionalisation ?
Ahmed Bouachik : Tout d’abord, l’attachement à la monarchie constitutionnelle comme facteur d’unité du territoire et d’unité de l’Etat. Notre modèle de régionalisation devra prendre en compte ce paramètre. On doit aussi tenir compte des spécificités culturelles et géographiques du pays, notamment le fait que les régions du centre sont plus riches que celles du Sud : les régions doivent être solidaires. Il existe actuellement un fonds de développement régional qui n’a jamais fonctionné. La coopération ne doit pas être uniquement verticale, de l’Etat vers les régions, elle doit aussi être horizontale, de région à région. Actuellement, les banques ne prêtent qu’aux régions riches, les autres sont freinées dans leur développement. Nous devons également développer la déconcentration pour dynamiser les régions. On est aujourd’hui à mi-chemin en la matière : la déconcentration administrative est effectuée, il faut maintenant passer à une déconcentration fonctionnelle. Pour chaque compétence, on pourra alors solliciter l’échelon le mieux à même de mettre en œuvre les politiques. Aujourd’hui, aucune compétence transférable n’a été transférée aux régions.
Afrik.com : En quoi la régionalisation peut-elle dynamiser l’économie du Royaume ?
Ahmed Bouachik : C’est certain. Avec la régionalisation, des pôles de compétitivité vont émailler le territoire. Chaque région aura des missions bien déterminées. Il y a déjà des pôles de compétitivité : Tanger-Tetouan, le grand Casablanca, Meknes-Fes. Agadir est en passe d’en devenir un, et la région du Sahara peut en devenir un, avec le développement du tourisme et de l’énergie solaire. Si on donne aux régions davantage de moyens et de compétences juridiques, un Maroc des régions développées va émerger.
Afrik.com : Le découpage des régions actuel est-il pertinent ?
Ahmed Bouachik : En tant que membre de la commission consultative, je ne peux pas vous répondre. En 1971, il n’y avait que 7 régions ; en 1997, on est passés à 16. Le schéma national d’aménagement du territoire s’est prononcé pour 14 régions. Mais cette question est intimement liée aux autres questions, il ne suffit pas de décréter un nombre de région donné. Il faut aussi des gens capables de gérer ces régions. Or une élite régionale n’émergera que lorsque les Marocains voteront au scrutin universel. Le scrutin indirect ne permet pas cette émergence, c’est pourquoi on doit revoir le mode de scrutin. Nous pourrons alors confier l’exécution des délibérations au Conseil régional.
Afrik.com : D’aucuns disent que la régionalisation avancée est la solution marocaine à l’épineuse question du Sahara Occidental ?
Ahmed Bouachik : Il n’y a qu’un seul chantier, celui de la régionalisation avancée. Cela est positif pour le Sahara, mais aussi pour les autres régions. Le Sahara aura peut-être davantage d’autonomie que les autres régions. La région aura des attributions propres, mais la monnaie et la défense par exemple resteront du domaine de l’Etat.