L’eau marocaine, privée mais pas trop


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Au Maroc, le groupe Suez développe une gestion originale de l’eau. Dégager des profits n’est pas incompatible avec un respect de l’environnement et des usagés. Les entreprises soucieuses de leur image l’ont bien compris, comme Suez, dont le directeur met en avant l’importance d’une politique de partenariat des entreprises, des services publics et des ONG. Interview.

Entretien avec Gérard Payen, directeur général de Suez

De notre partenaire, L’Economiste ;

L’Economiste : Vous avez développé un concept original, celui des 3P. Qu’en est-il exactement?

Gérard Payen : Le Public/Private Partenaireship, les 3P, est une appellation américaine. Cela signifie que les énergies tant publiques que privées sont associées en vue d’un résultat commun. La gestion déléguée entre exactement dans ce cadre. L’autorité publique fixe les objectifs et le prix, puis trace un cadre en demandant à un partenaire privé de mettre en oeuvre cette politique. C’est donc la même chose. Le concept est utilisé internationalement pour expliquer ces contrats, mais il manque des « P ». Le partenariat pour bien fonctionner doit associer et faire participer la communauté pour laquelle le service est produit, comme les habitants, les ONG… C’est à ce niveau que se trouve la clé de la réussite afin de mettre en place une méthode de gestion durable. Au Maroc, nous avons apporté la capacité de gérer un projet ambitieux.

L’Economiste : Au niveau de l’eau, l’ONEP a mûri une réflexion qui vise de plus en plus à développer le partenariat avec le privé. En tant que spécialiste de l’eau, seriez-vous intéressé par ce type d’approche?

Gérard Payen : En tant que professionnel dans ce domaine, nous sommes capables d’intervenir sur tout le cycle de l’eau en amont comme en aval jusqu’à son recyclage. Si l’ONEP demandait à nous associer en amont, il est évident que nous ne refuserions pas. Au Maroc, la gestion de la ressource est un vrai problème. Notre groupe joue déjà un rôle important en faisant économiser de l’eau à la ville de Casablanca. Les gains dégagés permettraient d’alimenter une ville de 300.000 à 400.000 habitants. Ceci dit, il faut préciser que l’ONEP est déjà notre partenaire.

L’Economiste : Selon vous, la privatisation des services publics n’est pas une bonne approche pour les pays en développement, pourquoi?

Gérard Payen : La privatisation n’est en effet pas une bonne solution. L’autorité publique ne fait que céder un tout à une entreprise privée. Réellement, il s’agit d’un désengagement. Le pouvoir politique ne fait qu’abandonner une partie de ses capacités de contrôle. Or, le domaine de l’eau est trop important pour un pays, une ville ou une population. La délégation dans ce cas a beaucoup plus de sens, elle est mieux adaptée. Les pouvoirs publics définissent les objectifs politiques et en délèguent l’exécution au privé, qui doit mettre en oeuvre les moyens. Le Maroc a opté pour cette décision et c’est très sage. Cependant, je n’avance pas que l’ensemble des gestions déléguées soit une réussite.

L’Economiste : Vous avez cité plusieurs fois le cas de Casablanca, quel est le bilan de cette expérience-pilote?

Gérard Payen : Le contrat de gestion déléguée de Casablanca était au départ très ambitieux et malgré cela, il a fourni des résultats spectaculaires pour toutes les parties prenantes. Aujourd’hui, des personnes viennent visiter Casablanca. Nous sommes très fiers de ce qui a été réalisé au niveau de cette métropole, pas pour des raisons de satisfaction personnelle, mais parce que le service s’est amélioré pour la population. La satisfaction a augmenté de manière importante en moins de deux ans. Le taux relevé à travers des enquêtes est passé de 50 à 82%. C’est un niveau qui est obtenu dans les pays industrialisés. L’expérience dans la gestion de l’eau à Casablanca est une réussite en dépit de la hausse de la population entraînant une croissance de la consommation, cette gestion a permis de contribuer à des économies d’eau.

L’Economiste : Vous avez décidé de sensibiliser les gouvernements dans le cadre de votre think thank pour l’accès à l’eau pour tous. Une démarche a-t-elle été entreprise au Maroc?

Gérard Payen : Pour le Maroc, le problème se trouve principalement en zone rurale. Il est donc compréhensible que l’ONEP en fasse sa priorité. La situation de Casablanca est en revanche assez favorable. Lorsque le groupe est arrivé au Maroc, il faut préciser que la qualité de l’eau était très bonne. Ceci n’est pas le cas dans de nombreuses villes où nous opérons comme Lapaz, Manille ou Jakarta. Dans celles-ci, il y a en effet 1/3 de la population qui n’avait pas accès à l’eau. Au total, Suez a apporté de l’eau à 7 millions de personnes à travers le monde. Ce qui fait que le groupe opère pour environ 115 millions d’habitants aujourd’hui. Ceci prouve qu’il est possible de parvenir à des résultats, à condition de surmonter les obstacles économiques, sociaux et politiques.

L’Economiste : Existe-t-il des cas concrets de réussite qui pourraient servir d’exemple?

Gérard Payen : Parmi les cas significatifs figure le partenariat tissé avec le gouvernement sud-africain qui, comme au Maroc, a une vraie politique de l’eau avec une réelle volonté de généraliser son accès. Nous avons ces dernières années réalisé dans ce pays des opérations ambitieuses au niveau des régions pour amener l’eau à proximité des maisons. Pour le gouvernement sud-africain, ce sont des succès auxquels ont été associés des ONG. Nous avons monté des consortiums et permis à 3 millions de personnes d’accéder à cette ressource. En revanche, sur ces opérations, il a fallu des subventions externes. Dans son corps business, Suez fait de la distribution de l’eau une priorité pour le développement durable. Ce type de partenariat long terme suppose de trouver des solutions pérennes qui n’ont pas besoin de rustines au bout de 3 ans. Dans le développement durable, il y a trois composantes : la protection de l’environnement, la viabilité économique et le volet social des projets. La gestion déléguée, c’est exactement cela.

Propos recueillis par Fatima Mossadeq

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