La question de l’eau reste la principale priorité des Nations Unies. Pour le directeur général de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, l’Afrique en a désormais pris conscience. Jacques Diouf revient également sur l’action concrète de la FAO sur le terrain et son indépendance quant à la réalisation de ses missions.
L’eau source de vie. Le problème de l’eau caracole toujours en tête des priorités des Nations Unies. Au centre de la bataille : l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Jacques Diouf, son directeur général, de passage à Paris, revient pour Afrik sur l’action globale et concrète de la structure.
Afrik : Le dernier rapport de la FAO montre qu’il y a une aggravation de la faim dans le monde. Cela témoigne-t-il de l’échec de l’action internationale ?
Jacques Diouf : Il n’y a pas une détérioration de la situation. Nous continuons toujours de diminuer le nombre de personnes qui ont faim dans le monde de deux millions par an. Le problème est que le rythme de diminution baisse. Ce qui veut dire qu’au train où vont les choses, nous n’atteindrons notre objectif initial, fixé à 2015,…qu’en 2150. Evidemment, un tel scénario serait une catastrophe.
Afrik : Quelle est concrètement l’action de la FAO ?
Jacques Diouf : Nous avons plusieurs formes d’actions sur le terrain. D’abord nous conseillons les gouvernements et les aidons à préparer des politiques agricoles ou des projets bancables à travers notre centre d’investissement (3 milliards de dollars de projets ont effectivement été financés). Nous agissons concrètement à travers les micros projets (10 000 dollars en moyenne chacun, ndlr). Nous en avons à l’heure actuelle plus de 1 450 dans 125 pays. Nous avons aussi des programmes plus importants appelés Programmes spéciaux de sécurité alimentaire. Ils sont en cours dans plus de 100 pays, pour un coût de 540 millions de dollars. Ils portent sur les petits projets de maîtrise de l’eau dans les villages, mais aussi sur des activités d’encouragement à la productivité pour les cultures ou la conservation et le stockage des produits. L’aviculture est notre priorité dans le domaine animal. Nous agissons également dans le domaine de la pêche et de l’aquaculture. Par ailleurs, nous opérons des transferts de technologies à travers une coopération sud/sud.
Afrik : Quels sont les priorités de la FAO aujourd’hui ?
Jacques Diouf : L’eau. J’ai été interviewé à l’occasion du sommet mondial de l’alimentation en 1996. On m’a demandé quelles étaient mes trois priorités. J’ai répondu : « Première priorité l’eau, deuxième priorité l’eau, troisième priorité l’eau ». Et le répète aujourd’hui. L’eau conditionne la vie. Il y a de l’eau en Afrique, mais nous ne la maîtrisons pas. Le continent utilise à peine 1,6 % de ses réserves disponibles en eau pour l’irrigation, contre 14% en Asie. Le résultat est que l’Afrique n’a que 7% des ses terres arables irriguées, contre 40% en Asie. Et on tombe à 3%, si on enlève le Maroc, le Soudan, l’Egypte, l’Afrique du Sud et Madagascar sur les 53 pays.
Afrik : L’Afrique a-t-elle vraiment pris conscience du problème de l’eau ?
Jacques Diouf : Je pense que maintenant oui, puisque le premier sommet extraordinaire de l’Union africaine sur l’eau et l’agriculture se tiendra à la fin du mois à Syrte en Libye.
Afrik : La grippe aviaire fait actuellement la une de l’actualité internationale. Y a-t-il un risque pour l’Afrique ?
Jacques Diouf : La grippe aviaire est pour le moment concentrée dans huit pays d’Asie où il existe une source pathogène très virulente. Pays de la péninsule indochinoise, Thaïlande, Laos, le Cambodge et le Vietnam, en dehors de ces quatre pays nous avons la Chine, l’Indonésie, la Corée et le Japon. Ce sont les huit pays qui sont le plus touchés. En dehors de ceux-là nous avons des souches moins virulentes au niveau de Taiwan et du Pakistan.
Afrik : Travaillez-vous en situation d’urgence, comme peut le faire le Programme alimentaire mondial (Pam) ?
Jacques Diouf : C’est notre système mondial d’information et d’alerte rapide qui permet de prévoir les crises alimentaires. Et nous organisons des missions conjointes avec le Pam pour identifier les zones à risque, préparer les programmes d’assistance et lancer des appels de contribution internationale. Tous les projets d’aide alimentaire au-delà de trois millions de dollars, au niveau des Nations Unies, sont signés conjointement avec le Pam et la FAO.
Afrik : Vous travaillez souvent avec des Etats en crise. Quelle est votre marge de manoeuvre ?
Jacques Diouf : C’est sûr qu’il est plus difficile de travailler dans des pays où il y a des conflits, parfois militaires. Notre attitude a toujours été de dire que c’est lorsque les pays sont en difficulté qu’ils ont besoin de nous. Malgré les crises, nous nous devons d’être présents. On a brûlé trois fois nos bureaux en Sierra Leone, on a volé nos véhicules, mais à chaque fois nous sommes revenus. Et je suis heureux que nous l’ayons fait, parce qu’aujourd’hui la paix est revenue et nous sommes en mesure de contribuer au développement dans des conditions normales.
Afrik : N’y a-t-il pas un risque d’instrumentalisation de la FAO par les dirigeants en place dans les pays en crise ?
Jacques Diouf : Ce qui nous intéresse ce sont les peuples. Notre action s’inscrit au niveau des paysans, des éleveurs, des pêcheurs. Que le gouvernement soit là ou pas ce n’est pas l’essentiel. Il peut faciliter ou non les choses selon ses choix. Nous ne sommes pas dépendants des Etats. Nous sommes une organisation intergouvernementale de 188 pays. Ce sont les gouvernements qui décident de notre programme et de nos priorités. Une fois les décisions prises, nous avons naturellement l’autonomie de les mettre en oeuvre sans tenir compte des considérations politiques spécifiques de tel ou tel pays.
Afrik : Les appels des Nations Unies concernant la faim ont l’air d’être de moins en moins entendus par la communauté internationale. Y a-t-il un ras-le-bol général ?
Jacques Diouf : Il faut faire la part des choses. D’abord il y a les appels d’aide alimentaire d’urgence. Quand il y a une crise, quand il y a des risques de famine dus à la sécheresse, à des inondations, à des conflits, à des guerres. A côté de l’action immédiate, nous avons l’action à plus long terme pour nous attaquer aux causes réelles de la faim. Cela suppose que nous apportions notre soutien aux pasteurs, aux pêcheurs, aux éleveurs. Pour les aider à être moins dépendants des aléas climatiques, pour les aider à accéder aux facteurs modernes de production, pour les aider dans le stockage et la commercialisation de leurs produits. Et c’est là que nous n’avons pas les ressources suffisantes. Dans les cas d’urgence, on assiste à un élan de générosité ponctuel. Mais nous disons que si on donne du poisson à quelqu’un, il va manger un jour, si on lui apprend à pêcher, il mange tous les jours. C’est pourquoi nous souhaitons mettre l’accent sur cette partie productive.
Afrik : La faim n’est-elle pas politique ?
Jacques Diouf : Tout est politique. Les décisions des Etats, des peuples, les priorités, les conflits… tout cela est fonction des politiques au sens de la gestion de la cité. Et naturellement il y a de cela, mais il n’y a pas que cela.
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