Selon Philippe Cohen, un avocat spécialisé dans le droit médical au barreau de Paris, la question de la réquisition des formules des molécules relève du domaine politique et non pas du juridique. Interview.
Les brevets des médicaments utilisés dans la lutte contre le sida sont, pour l’essentiel sous propriété américaine. Cependant, étant donnée l’ampleur de la pandémie, on pourrait imaginer une réquisition de ces brevets au niveau international, pour que chaque pays puisse fabriquer ses propres médicaments. Maître Philippe Cohen, avocat au barreau de Paris, réfute cette hypothèse en démontrant que les entreprises pharmaceutiques ont besoin de conserver les brevets afin de rentrer dans leur frais. Selon lui, le problème vient d’un manque d’accès au soin, et la solution doit venir des organismes de solidarité internationaux et des Etats concernés. C’est la solution qui a été récemment mise en place au Sénégal. Environ 800 Sénégalais atteints du sida devraient bénéficier d’ici à 2003 du traitement par les anti-rétroviraux, grâce à une subvention annuelle de l’Etat et du Fonds de solidarité thérapeutique international.
Afrik : Quelle est la juridiction en ce qui concerne les brevets aux Etats-Unis, principal pays détenteur des brevets ?
Me Philippe Cohen : Tout comme les brevets français, les brevets américains n’ont pas une propriété indéfinie. Je veux dire par là qu’ils ne restent pas toujours la propriété de leur inventeur. Au bout d’une vingtaine d’années, ils tombent dans le domaine public, chaque laboratoire peut alors reprendre les formules et fabriquer des médicaments génériques.
Afrik : Dans le cas d’une épidémie qui touche toute la planète, comme le sida, est-il possible d’envisager une action juridique qui permettrait de réquisitionner les brevets plus tôt ?
Me Philippe Cohen : Une réquisition de ce type nécessiterait un consensus mondial. Chaque pays devrait accepter de léguer ses recherches au public. Or, la création d’un médicament a un coût, souvent très élevé. Les laboratoires doivent payer les chercheurs, le matériel, les substances de base… C’est tout simplement pour rembourser ce prix de la recherche que les brevets restent la propriété privée d’un laboratoire pendant vingt ans. C’est ce que l’on appelle dans le jargon économique un retour sur investissement. Si l’on voulait ôter aux laboratoires américains le brevet de leur découverte, il faudrait également les dédommager pour leur recherche et la somme à débourser serait astronomique.
Je ne pense pas que le problème en Afrique soit véritablement lié à la propriété des brevets. Le réel problème est l’inégalité d’accès aux soins. C’est le travail de la communauté internationale et des Etats que de faciliter l’accès des populations aux traitements, surtout dans le cas du sida.
Afrik : Le problème, selon vous, est donc plus politique que juridique ?
Me Philippe Cohen : Sans aucun doute. Les populations africaines ne peuvent avoir accès aux traitements, à cause du prix élevé de ces derniers et parce qu’elles n’ont pas de protection sociale. D’autre part, si l’on donnait aux pays en voie de développement les formules des médicaments, le risque serait grand d’obtenir des produits dénaturés. En effet, le matériel présent dans ces pays est probablement moins efficace que celui des USA ou de l’Europe, et des imprécisions dans les dosages peuvent rendre le médicament inefficace, voire même nocif.
Afrik : Quelles seraient alors, selon vous, les solutions envisageables pour pallier cette inégalité d’accès au traitement ?
Me Philippe Cohen : Je pense honnêtement que les Etats doivent développer de meilleures politiques de protection sociale. Ils ont le devoir de consacrer une partie de leur budget annuel pour l’amélioration de la santé de leurs habitants.