Période faste pour la Côte d’Ivoire qui vient d’obtenir à la fois une reprise de la coopération avec les organismes financiers internationaux et un accord avantageux de rééchelonnement de sa dette. Deux bonnes nouvelles qui vont lui permettre de poursuivre les ambitieuses réformes longtemps en souffrance. Interview de Paul Bohoun Bouabré, ministre de l’Economie et des Finances de la Côte d’Ivoire.
Afrik : Quel est le contenu de l’accord que vous venez de conclure avec le Club de Paris ?
Paul Bohoun Bouabré : C’est l’accord le plus avantageux que la Côte d’Ivoire ait jamais signé. Bien plus favorable que celui de 1998 puisqu’il élargit l’assiette prise en compte dans le montant total de la dette. Il prévoit à la fois le rééchelonnement de la dette à hauteur de 2,26 milliards de dollars et l’annulation immédiate de 911 millions de dollars. Mais il accepte aussi de réduire le service de la dette du 1er avril 2002 au 31 décembre 2004. Et c’est loin d’être négligeable puisque nous ne paierons que 577 milliards de francs cfa au lieu de 1717 milliards.
Afrik : La Côte d’ivoire reprend également sa place dans la communauté financière internationale. Qu’est-ce qui a permis cette reprise ?
Paul Bohoun Bouabré : Depuis novembre 2000, la rupture était totale à la fois avec l’Union européenne, la Banque mondiale, la Banque africaine de développement et le Fonds monétaire international (FMI). Absence d’appui financier extérieur, croissance négative et déficits dans les principaux secteurs de l’économie, la situation était catastrophique. Il a donc fallu adopter un » budget sécurisé » en mobilisant des ressources internes du pays et entreprendre un vaste programme de réformes institutionnelles des secteurs déficitaires. Cela s’est traduit par un appel à candidatures pour nommer les responsables de régies financières comme les douanes ou les impôts. Un signal fort en direction des Ivoiriens pour leur montrer qu’il ne fallait pas forcément appartenir au sérail pour intervenir dans la gestion du pays. Parallèlement, un cabinet international a procédé à un audit des finances publiques pour s’assurer que chaque franc dépensé correspondait à une prestation réelle. Tout ceci nous a permis de reconquérir peu à peu la confiance de nos partenaires financiers.
Afrik : A quoi allez-vous consacrer les financements que vous venez de retrouver ?
Paul Bohoun Bouabré : Un certain nombre de projets publics arrêtés faute de financement vont pouvoir reprendre. En priorité la lutte contre le sida, qui n’est plus seulement un problème de santé publique, mais aussi de développement puisqu’il décime les forces vives du pays. L’éducation est également prioritaire. Il nous faut améliorer la qualité des ressources humaines, qui sont à mon sens le premier facteur de croissance économique. Et enfin, nous allons investir massivement dans les infrastructures d’adduction d’eau dans les zones rurales. Il n’est pas acceptable que certaines régions du pays manquent encore d’eau potable aujourd’hui, c’est une cause importante de pandémie.
Afrik : Une partie de cet argent servira-t-elle à satisfaire les revendications salariales qui s’expriment en ce moment à Abidjan ?
Paul Bohoun Bouabré : Ces revendications sont légitimes, car les salaires des fonctionnaires sont bloqués depuis de nombreuses années. Mais il serait irresponsable d’employer les financements extérieurs pour régler le problème des salaires. C’est un peu comme si un paysan partageait avec un voisin les semences qui lui sont strictement nécessaires. Il nous faut produire des richesses avant de les répartir. Pour l’instant, nous cherchons à en créer les conditions, en introduisant une flexibilité dans les structures trop rigides de l’économie de manière à encourager le secteur privé. Les travailleurs doivent d’abord aider au redressement du pays avant d’en recueillir les fruits. Mais j’ai confiance dans les Ivoiriens. Ce ne sont pas des va-t-en guerre, ils comprendront ce langage.