Plus d’un demi million d’Antillais vivent aujourd’hui en France hexagonale. A l’origine de cette présence massive, un bureau de migration mis en place par l’Etat français au début des années 1960 : le BUMIDOM. Le réalisateur Antoine Léonard-Maestrati relate cette histoire à travers un documentaire intitulé L’avenir est ailleurs, actuellement sur les écrans en France.
A la sortie de la projection de l’Avenir est ailleurs , dans une salle de cinéma parisienne, un jeune Antillais, Patrick, qui vient de voir le documentaire se confie: « J’ai grandi ici, et c’était difficile pendant le film de ne pas se laisser submerger. » Susciter l’émotion, c’est là l’une des principales qualités du film. A travers les récits de témoins, il libère une parole enfouie, une histoire que les Antillais racontent peu, car douloureuse, bien souvent, celle de leur venue dans l’Hexagone.
Antoine Léonard-Maestrati, le réalisateur, a choisi de relater cette migration à travers le BUMIDOM (Bureau pour le développement des migrations dans les départements d’Outre-mer), car c’est par ce biais, le regroupement familial aidant, que la majorité des Antillais installés en France sont arrivés. Pendant vingt ans, entre 1962 et 1982, l’Etat français a organisé le départ et l’installation sur l’autre rive de l’Atlantique de dizaines de milliers de Martiniquais et de Guadeloupéens afin de palier au manque de main d’œuvre non qualifiée que connaissait la Métropole. Ils deviendront postiers, douaniers, aides-soignants, agents RATP… regroupés dans les bas échelons de la fonction publique. Comme d’autres populations, celles du Maghreb et de l’Afrique subsaharienne – dont à l’époque l’immigration a également été organisée par l’Etat français –, se retrouveront concentrées dans le secteur industriel.
Une « traite migratoire » qui ne dit pas son nom
A l’origine du projet, le désir du journaliste guadeloupéen Michel Reinette, co-scénariste du film, et du réalisateur métropolitain Antoine Léonard-Maestrati de faire connaître et de dénoncer ce qu’ils considèrent comme « une traite migratoire ». Mais au fil des rencontres, ils se sont rendus compte que la réalité était bien plus complexe. « Au départ, Michel et moi, on voulait taper au bazooka sur le Bumidom, nous a confié le réalisateur après la projection du documentaire. Et finalement, on s’est rendu compte qu’on ne pouvait pas. Cette institution a permis à certaines personnes de s’en sortir. Donc, tout n’est pas tout blanc ou tout noir. » Cependant, le réalisateur a décelé une certaine honte chez ceux qui ont emprunté le bureau de migration : « les Antillais qui sont partis par le Bumidom le cachent, ils disent qu’ils sont partis par leurs propres moyens ». Et ceux qui ont le plus souffert du transbordement ont refusé de témoigner devant la caméra.
Toutefois, les hommes et les femmes qui racontent leur aventure dans le film délivrent au spectateur une charge émotionnelle considérable. Gracieuse et George Melyon, Faustina et Valentin Clarence, Lilian Thuram et sa mère, par exemple, sont très touchants lorsqu’ils évoquent l’arrachement, leur installation dans l’Hexagone, le racisme… De plus, le réalisateur a illustré ces témoignages d’images d’époque et de scènes de fiction tournées aux Antilles permettant de mieux suivre le parcours des migrants. Enfin, les éclairages de politiques et d’intellectuels contemporains du phénomène tels qu’Aimé Césaire, Pierre Aliker, Henry Bangou, Daniel Boukman viennent renforcer l’œuvre et la lecture des événements.
Le film, très riche quant à l’organisation du départ vers l’inconnu, laisse quelque peu le spectateur sur sa faim au sujet de l’installation des Antillais en France. Nous aurions aimé en entendre plus à ce sujet, sur la façon dont ils se sont établis, dont ils ont organisé une vie nouvelle à plusieurs milliers de kilomètres de leurs îles. Mais ces lacunes laissent espérer que L’avenir est ailleurs ouvre une voie sur l’histoire de la migration et de la communauté antillaise en France, et qu’il donnera l’envie et le courage à d’autres réalisateurs d’y ajouter leur pierre.
L’avenir est ailleurs, d’Antoine Léonard-Maestrati, 80 minutes, sorti en salle le 28 mars.
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