Le bimensuel gabonais L’Autre journal a été lancé en novembre dernier. Quasiment tous les exemplaires de son premier numéro ont été saisis après leur sortie et ceux du deuxième numéro sont bloqués à l’aéroport de Libreville. Officiellement, il n’est pas interdit. Mais c’est un exemple de la censure déguisée qui touche la presse privée du pays.
5 000 exemplaires du deuxième numéro de L’Autre journal sont bloqués à l’aéroport de Libreville depuis le 12 décembre. En Une de ce bimensuel gabonais, un article qui fait état d’un rapport « très confidentiel » dans lequel le FMI dresse « un réquisitoire cinglant contre la gestion économique, financière et sociale » du Gabon. Suivent d’autres papiers sur les accointances entre presse et politique, sur le « flou » entourant la gestion du pétrole ou encore sur la progression du sida dans le pays… Des articles choc qui n’ont apparemment pas plu à tout le monde.
« Le deuxième numéro du journal est détenu illégalement par la police de l’air et des frontières », a indiqué dans un communiqué Anaclet Segalt, le directeur de publication. Ce dernier a été obligé de faire imprimer ce numéro au Cameroun, après le refus de l’imprimerie gabonaise qui aurait reçu « des pressions » de la part des autorités. En effet, le premier numéro de ce journal qui n’a pas la plume dans sa poche, daté du 15 au 30 novembre, a déjà connu quelques turpitudes.
Photocopies sous le manteau
A peine placés en kiosque, les exemplaires ont été saisis par la police. Un des premiers lecteurs raconte, sous anonymat, que les habitants de la capitale qui ont pu se procurer le journal avant se sont empressés de faire des photocopies et de les distribuer. « Le contenu était intéressant et n’était pas tendre avec le système. Nous avions été averti de la sortie de ce nouveau journal par le biais d’affichettes et du bouche à oreille. Finalement, la saisie a fait plus de publicité qu’autre chose. Tout le monde voulait le lire et attendait le deuxième ! »
Un journaliste de L’Union, le quotidien gouvernemental, estime quant à lui que L’Autre journal n’apportait rien de neuf. « Quand un nouveau titre se lance, il tape sur le gouvernement pour attirer les lecteurs, c’est classique. Mais il y a tant de titres qui apparaissent pour disparaître aussitôt. La plupart ne sont pas créés par des professionnels, il n’y a pas de rigueur journalistique ; le problème, au Gabon, c’est la formation et le manque d’application des règles de déontologie et d’éthique. L’Union est le seul quotidien du pays. Les bi-mensuels et les hebdos paraissent en fonction des moyens qu’ils ont. »
Presse asphyxiée
Officiellement, L’Autre journal n’a pas été interdit, on lui refuse juste le dédouanement à l’aéroport. Officiellement toujours, la presse n’est pas censurée au Gabon. Dans les faits, les sanctions pleuvent. Procès pour atteinte à la vie privée du chef de l’Etat ou trouble de l’ordre public… Les journaux sont prêts à afficher les titres les plus aguicheurs pour vendre à tout prix. Résultat : ils sont régulièrement saisis. Depuis cet été, quatre titres ont été interdits : Misamu (« les nouvelles »), La Sagaie, Gabaon, qui a été mis en demeure, et le numéro 3 de Sub-Version, imprimé lui aussi au Cameroun et saisi le 17 septembre à l’aéroport de Libreville sur décision du Conseil national de la communication.
La presse indépendante a du mal à survivre : de nombreux titres sont plombés par les coûts d’impression exorbitants – c’est pour cela que certains choisissent de se faire imprimer au Cameroun où les coûts sont nettement moins élevés. Quant à la Société gabonaise
de presse (Sogapresse), qui détient le monopole de la distribution, elle impose elle-aussi ses tarifs et prend un pourcentage de 35 à 40% en contrepartie de la vente de journaux. Une façon très subtile d’asphyxier les publications privées. Car seuls les journaux d’Etat, subventionnés, sortent normalement. « L’Union est le titre le plus lu parce-qu’on n’a pas le choix », regrette un lecteur. « Tous les jeudis, vous êtes sûr de voir La Relance, l’hebdomadaire du parti au pouvoir, en kiosque. Ce qui n’est pas le cas pour les autres. »
L’équipe de L’Autre journal, elle, a décidé de continuer l’aventure. Elle devait se réunir vendredi dans l’après-midi… pour sortir le troisième numéro. Coûte que coûte.