Christelle Nadia Fotso publie une lettre ouverte au Président des Etats-Unis, Joe Biden. Elle va participer au marathon de New York, le 6 novembre prochain, pour attirer l’attention sur le handicap en Afrique en essayant de marcher 42 km avec sa canne et sa prothèse.
« Je serai un allié de la lumière, pas des ténèbres », Joe.3+ Biden
Monsieur le Président,
Vous écrire est, en dépit de l’honneur que cela est pour moi, plus que difficile. J’ai conscience de l’énorme responsabilité qui pèse sur mes épaules ; je représente des millions de personnes invisibles et inaudibles qui ont besoin d’un avocat et qu’une des leurs ose enfin s’adresser au dirigeant le plus puissant du monde pour qu’il se souvienne qu’elles existent et ne peuvent plus attendre pour devenir des citoyens à part entière. Cette charge est un privilège qui m’oblige à ne pas être que fougueuse afin que vous compreniez qu’il n’est pas question de plus que la passion et du cœur mais d’humanité, de valeurs communes et des intérêts des Etats-Unis.
Président Biden, mes mots sont inspirés de ceux de votre magnifique représentante aux Nations Unies, l’Ambassadeur Linda Thomas-Greenfield sur la situation en Ukraine, qui a rappelé avec une justesse consciencieuse et une éloquence rare l’importance d’envoyer des messages forts lorsque l’inacceptable et l’inaccepté se produisent. Je me suis permis de prendre cela pour moi pour faire une lettre publique, vous parler du handicap en Afrique et de ce marathon de New York, le 6 novembre, que je me bats pour marcher pour faire bouger les lignes par un acte symbolique que j’espère puissant et l’appel à une Africans with disabilities act inspiré de l’Americans with disabilities act que je souhaite soutenu.
Président Biden, l’Afrique est toujours un sujet épineux puisqu’il y a tant de diversité, de complexité et de différences sur ce continent qui sont occultés par l’inculture, la facilité et les petites politiques dont le populisme. Vous le savez, le handicap est un sujet presque aussi épineux et sensible parce qu’il met mal à l’aise et oblige à confronter les faiblesses et limites humaines qui n’ont pas de réponses évidentes. Parler et incarner le handicap en Afrique est de fait plus qu’un challenge herculéen puisqu’imaginer des personnes en situation de handicap africaines est plus qu’insoutenable non seulement pour les non-Africains mais pour les Africains eux-mêmes. Instinctivement, tous pressentent même sans avoir vos connaissances, votre sagesse, votre expérience, votre curiosité et votre sensibilité, le tragique, le dramatique et des existences sisyphéennes.
Le sujet étant complexe et la cause facile à rendre abstraite, il est indispensable d’évoquer mon histoire pour que vous compreniez mes raisons de participer au marathon de New York de 2022, alors que je n’ai jamais su courir et que je peux à peine marcher. Le handicap, surtout celui en Afrique, a besoin de symboles, d’histoires personnelles, humaines pour cesser d’être orpheline puisque trop convaincus qu’il n’y a rien à faire, qu’agir demande d’énormes moyens qui ne changeraient pas grand-chose à des situations désespérées, restent silencieux ou se contentent de beaux discours et de grands projets qui oublient l’urgence et les coûts humains. Je raconterai très rapidement parce que justement le handicap en Afrique est une de ces causes qui exigent qu’on l’incarne afin d’attirer l’attention et de provoquer des réactions fortes qui ne deviendront des actes qu’avec l’appui de la diplomatie américaine et votre soft power.
« Expliquer mon histoire et surtout convaincre que je suis véritablement une personne en situation de handicap sans toutefois paraître totalement impuissante. Noire, Africaine, femme, handicapée, il devient donc difficile d’être vue comme une avocate et un auteur, non seulement par ma famille, mais le Cameroun, la France et la Belgique »
Je suis née au Cameroun et mon handicap, qui me vient d’une maladie congénitale rarissime, la mélorhéostose, ne se manifeste qu’un mois plus tard. Parce que j’ai un père qui est des premiers industriels du continent africain, j’ai la chance, des années plus tard, de me rendre aux Etats-Unis où l’Americans with disabilities act, l’argent de mon père et la détermination me permettent de faire des études et de devenir avocate, membre du barreau de Washington, DC et écrivaine. Cette réussite n’est donc pas camerounaise ou africaine mais américaine parce que Monsieur Biden, quitter le Cameroun m’a permis de m’éloigner d’une famille indifférente et de sortir d’un milieu certes bourgeois mais inculte qui déjà me faisait sentir que je n’avais pas de droits mais uniquement des devoirs qui étaient d’autant plus grands que je devais compenser la honte et les difficultés que mon handicap créait. Je dois le fait d’être une femme noire debout, qui marche la tête haute, en dépit de ses difficultés et de ses histoires personnelles si lourdes à porter à des Américains de tout bord, toute race, toute origine et tout parti politique.
Il y a Monsieur Burrowes qui a été plus de 40 ans un éducateur et qui a pris une retraite méritée en Caroline du Nord. Sean Yengo, mon professeur de Nations qui m’a encouragée à faire mes premiers 5 kilomètres à 15 ans, the Pie race, dans le Massachusetts et qui est aujourd’hui le coach de l’équipe féminine de Football de l’Université du Wisconsin à Eau Claire. Cheryl Brown, mon professeur de l’Université de Caroline à Charlotte qui me disait que j’étais trop dur avec moi-même sans aucun doute parce que j’avais été élevée avec cette idée que mon handicap était d’abord et seulement un problème et mon problème. Jamie Raskin, mon professeur de droit constitutionnel d’American University qui est aujourd’hui élu démocrate de la chambre des représentants.
Tant d’Américains qui m’ont portée, poussée, élevée en me montrant que je n’étais pas un monstre et que j’avais le droit d’avoir des imperfections, des ambitions et des rêves. Je suis une des preuves vivantes que l’Amérique n’est pas qu’un grand pays ou une superpuissance mais bien cette cité au somment de la montagne qui, malgré ses imperfections, celles de ses citoyens, un passé douloureux, de son présent anxieux, des politiques pas toujours à sa hauteur et de ses erreurs, a ce je ne sais quoi féerique, qui permet aux pestiférés venus d’ailleurs d’exister et même parfois de réussir. Ma vie montre qu’il n’y a aucune honte à être Américain.
« Je suis une femme, Président Biden, que le Cameroun a petitement lâché au pire moment possible parce que comme toujours il se réduit trop souvent à l’intérêt d’un minuscule groupe sans aucun scrupule, sans sens de l’histoire et sans valeur. Ce Cameroun des petits riens… »
Mon histoire devient encore plus compliquée lorsque je choisis de me faire amputer pour essayer d’avoir une vie de femme. Le système américain ayant les tares que vous connaissez, je subis une amputation à Bruxelles qui est suivie par une infection gravissime qui m’empêche de reprendre ma vie à New York. Ce sont les évènements que cette amputation de ma jambe de travers et la mort de mon père qui me font prendre conscience de mon invisibilité dans des sociétés qui, parce qu’elles n’ont pas cette loi américaine sur le handicap, je dois raconter, expliquer mon histoire et surtout convaincre que je suis véritablement une personne en situation de handicap, sans toutefois paraître totalement impuissante. Noire, Africaine, femme, handicapée, il devient donc difficile d’être vue comme une avocate et un auteur, non seulement par ma famille, mais le Cameroun, la France et la Belgique. Parce que j’ai un père qui était aussi le plus vieux maire du continent jusqu’à sa mort, mars 2020, et qu’il y a un héritage financier et politique inestimable, mon handicap devient une arme contre moi parce que toute Américaine que je me sens, je refuse d’accepter de me ranger derrière des personnes dont le seul mérite est de ne pas avoir un handicap et de manger mon père.
Je suis une femme, Président Biden, que le Cameroun a petitement lâché au pire moment possible parce que comme toujours il se réduit trop souvent à l’intérêt d’un minuscule groupe sans aucun scrupule, sans sens de l’histoire et sans valeur. Ce Cameroun des petits riens est celui qui n’a même pas eu le courage de faire un choix durant le vote de la résolution des Nations Unis de mercredi dernier en confirmant non pas son non-alignement ou sa neutralité mais une amoralité immorale. Cette dernière ne sert pas une cause nationale mais des intérêts individuels actant ainsi une personnalisation du pouvoir obscène par des bouffons dont le cynisme n’est pas que pragmatique et calculée mais froid et violent avec des conséquences que votre administration doit plus fermement condamner en mettant à nu leur hypocrisie et leur nature abjecte qui n’est pas relative.
Ce commentaire n’est justifié et justifiable que pour vous faire comprendre que l’Ambassadeur Linda Thomas-Greenfield et les Etats-Unis ont absolument raison. Le silence et la neutralité ne sont pas acceptables devant le mal. La cause des personnes en situation de handicap africaines méritent votre attention et l’embrasser dans votre intérêt pour le confirmer et faire preuve d’une constance ici qui serait non seulement louée et bienvenue mais fructueuse. Une implication américaine aurait du sens en étant moins coûteuse et encore plus efficiente que celle en Ukraine. Elle contribuerait à changer la face d’un continent, sans ingérence, en remettant l’Amérique au centre du jeu en Afrique, en montrant qu’elle est le pays où l’audace de l’espoir est toujours récompensée.
Mon marathon de New York est un geste civilisationnel que je pose en espérant le soutien des Américains mais surtout en responsabilisant les Africains car rappelant que les vies des personnes en situation de handicap quelle que soit leur origine n’est jamais jetable »
Président Biden, mon éducation américaine m’a formatée pour tenter le difficile même si cela semble impossible lorsque la cause est noble. C’est mon américanité qui me force à accepter de marcher 42 km, quelque chose de pratiquement impossible vu la sévérité de mon handicap, mes limites physiques et celles de mon environnement. Je fais un marathon avec une hanche fixe, une prothèse à peine adaptée et une canne pour devenir visible, audible, attirer l’attention du monde sur le handicap particulièrement celui dans un continent qui a désespérément besoin de symboles locaux pour changer de paradigmes. Je veux et vais marcher pour que les pays africains cessent de faire de la pauvreté, des traditions, de l’histoire, des excuses pour ne pas intégrer des millions de personnes qui sont quasiment totalement absentes de l’espace public.
Faire un marathon à New York n’est pas une aventure individuelle. New York City n’est pas n’importe quelle ville américaine et je me devais de m’engager dans un pays qui peut me comprendre, m’aider et embrasser ma cause parce qu’il commence à comprendre que Blacks lives matter, qu’il a de nouveau une administration fédérale qui croit en la morale, aux valeurs et qui comprend que le silence n’est jamais possible pour l’Amérique devant l’horreur et l’inacceptable face auxquels il est toujours indispensable d’envoyer des messages au reste du monde. Mon marathon de New York est un geste civilisationnel que je pose en espérant le soutien des Américains mais surtout en responsabilisant les Africains car rappelant que les vies des personnes en situation de handicap, quelle que soit leur origine, n’est jamais jetable. Je ne serai entendue et je ne ferai bouger les lignes qui si les Etats-Unis et vous Président Biden faites le choix visionnaire de soutenir mon appel à une Africans with disabilities act.
Président Biden, j’ai lu avec attention votre papier sur National Security Strategy qui résume les objectifs de votre administration. La courte page sur l’Afrique montrait bien votre réalisme et le fait que vous étiez pleinement conscient que c’est un continent semé d’embûches pour les Etats-Unis. C’est justement pour cette raison qu’il est dans l’intérêt de votre pays et le vôtre de me soutenir parce que cela envoie le message fort, clair et limpide aux pays du continent que l’Amérique accorde autant d’importance aux vies africaines qu’aux vies ukrainiennes et a des valeurs qu’elle défend partout. Ce message, Monsieur le Président, ne nécessite ni une intervention malvenue dans un pays africain ou un programme coûteux pour le contribuable américain, mais simplement le soutien au marathon d’une femme noire, africaine en situation de handicap qui a choisi de devenir acteur dans le combat pour le droit des personnes qui lui ressemblent.
Pour vous montrer la force des symboles en Afrique et le message dévastateur qu’ils peuvent envoyer, je dois vous parler de la visite du Président Macron au Cameroun. Elle a commencé par l’évacuation brutale des indésirables des rues et autres lieux publics afin que le chef de l’Etat français n’ait pas à le voir et à réaliser que la misère camerounaise n’a rien à voir avec la pauvreté mais tout avec un Etat qui considère ses pauvres et ses indigents comme de la chair à canon et les traite comme les puissances coloniales traitaient ses indigènes. Le Président Macron aurait pu faire un grand pas dans la relation empoissonnée entre son pays et l’Afrique en commentant ces actions brutales dont le seul but était de lui éviter de croiser, de rencontrer des êtres qui rampent et s’accrochent à la vie comme moi à mes rêves américains pour ne pas disparaître. Il n’avait pas à renoncer à défendre les intérêts de la France ou à changer le but de sa visite, mais simplement à avoir quelques remarques sur ce brutalisme fait pour protéger ses yeux en affirmant qu’il croit en la fraternité, en l’égalité et en la liberté même lorsqu’il se trouve hors du territoire français et que les sujets ne sont pas ses concitoyens mais des Camerounais et des Africains.
« Mes privilèges et mon américanité me confèrent des devoirs et des responsabilités que j’accepte avec honneur et humilité afin que l’africanité cesse d’être un poids et boulet pour les personnes en situation de handicap puisqu’elle les condamne à la marginalité et l’exclusion »
Les Etats-Unis n’ont pas les mêmes relations avec l’Afrique et bien que celles-ci sont compliqués par sa relative toute puissance, sa voix porte et elle reste attendue, non pas sur le terrain économique et politique, mais sur celui du social et du sociétal justement parce que l’imaginaire des jeunes africains est déjà américanisé et qu’un message sur le handicap aurait un impact immédiat et générationnel. C’est à cela que je vous demande de penser, Président Biden, à l’impact tout comme au fait que me soutenir n’exige rien d’autre de l’Amérique et de vous que d’écouter les mots de l’Ambassadeur Linda Thomas-Greenfield qui a travaillé en Afrique et sait que le symbolique et les mots ont encore plus de force et d’importance lorsqu’il n’est pas possible, comme en Ukraine ou ailleurs, de soutenir plus directement.
Président Biden, je ne suis pas parfaite et comme toutes les personnes en situation de handicap, surtout lorsqu’elles sont de couleur, j’ai non seulement un corps mais une vie marquée surtout, ces récentes années, par mes interventions chirurgicales et les complications et conséquences, le décès de mon père et la pandémie. Je choisis de m’engager et de tenter l’impossible parce que j’ai enfin réalisé qu’il n’était pas possible pour moi de ne pas confronter le handicap frontalement en comprenant que j’étais, en dépit de tout, une privilégiée parce que j’ai pu grandir, être éduquée aux Etats-Unis, être portée par des Américains et avoir cette opportunité de réaliser un rêve que je croyais impossible en faisant ce marathon avec Camp Shriver qui a beau ne faire, pour l’instant, que de belles choses en Amérique. Mais encore une fois, est la preuve que votre pays est dans ce domaine un exemple pour le reste du monde. Mes privilèges et mon américanité me confèrent des devoirs et des responsabilités que j’accepte avec honneur et humilité afin que l’africanité cesse d’être un poids et boulet pour les personnes en situation de handicap puisqu’elle les condamne à la marginalité et l’exclusion.
Président Biden, je me souviens de vos mots à ce jeune Américain bègue dont vous avez certainement changé la vie et le regard sur son handicap en refusant le conventionnel, la prudence et l’indifférence pour avoir les bons mots et le geste juste devant ses difficultés à s’exprimer devant vous. Certes, vous ne pouvez pas faire personnellement la même chose pour des millions d’autres jeunes sur le continent africain, mais vous pouvez avoir plus d’impact en effaçant l’image d’un Président américain se moquant publiquement d’une personne en situation de handicap et confortant des pays qui ont besoin de croire que les seules forces de votre pays sont militaires et financières. Il vous appartient d’envoyer, le 6 novembre prochain, un message simple mais révolutionnaire et américain aux Africains : les Etats-Unis croient que la vie des personnes en situation de handicap en Afrique a une valeur et que leur intégration dans les sociétés africaines est une urgence en étant une chance pour un continent qui a besoin de tous les siens pour avancer.
Une fois encore, l’Amérique est appelée à répondre favorablement à un espoir et une espérance presque fous, tellement ils sont audacieux, d’une femme qu’elle a faite et formée. Aujourd’hui, elle lui demande simplement et humblement de l’aider à faire ce qu’il a fait pour elle, pour des Africaines et des Africains qui n’ont besoin que de savoir que le Président Joseph Robinette Biden Junior est la seule superpuissance mondiale care.