Qui l’aurait cru ? En Mauritanie, il aura fallu attendre l’année 2014 pour qu’une femme puisse accéder à la magistrature. Agée de 44 ans, Oumama Mint Cheikh Sidya est entrée dans l’histoire de son pays en devenant la première femme juge. Après avoir refusé de s’exprimer dans de nombreux médias internationaux, elle s’est finalement confiée à Afrik.com. Portrait d’une battante, qui n’a pas froid aux yeux.
Dans sa résidence à Nouakchott, qui grouille de monde, on peut entendre les enfants qui s’amusent. Les visiteurs qui bavardent. Toujours vêtue d’un mulfa coloré, vêtement traditionnel porté par les femmes mauritaniennes, Oumama Mint Cheikh Sidya, 44 ans, n’a jamais une minute à perdre. Elle doit combiner constamment ses activités professionnelles à la gestion de son foyer. Mais importe peu, celle qui est mariée à un officier supérieur de l’armée, mère de cinq enfants, dont le plus jeune n’a que deux ans, a toujours su jouer sur plusieurs tableaux.
Il y a encore quelques années, elle n’aurait pas pu imaginer qu’elle deviendrait la première femme juge de son pays, où il aura fallu attendre l’année 2014 pour que cela soit possible. « Je suis très honorée d’être la première, d’autant que les femmes tentent depuis très longtemps d’entrer elles aussi dans la magistrature », dit celle qui a le sourire facile. Même si elle ne cache pas qu’elle espère bien qu’il y en aura d’autres après elle. « Une jeune fille s’est inscrite au concours de la magistrature, donc nous devrions bientôt être deux à exercer la fonction ».
Oser bouger les lignes
Pourtant au début, c’était loin d’être gagné. Oumama Mint Cheikh Sidya le savait. Mais, bien qu’elle ait conscience qu’officiellement en Mauritanie les femmes sont interdites d’exercer la fonction de juge, elle s’est tout de même inscrite au concours de la magistrature. « Aucune loi n’interdisait en revanche aux femmes de passer le concours. Alors, j’ai pris mon courage à deux mains et tenté ma chance ». Pari réussi. Elle arrive largement en tête. Mais son admission n’est pas de mise. Les discussions au sein du jury sont en effet houleuses, étant donné que les femmes sont exclues de la fonction.
Peut-on permettre à une femme d’être magistrate ? Une question toujours en débat en Mauritanie. Finalement, c’est le Conseil de la magistrature, présidé par Mohamed Ould Abdel Aziz, qui tranche. Et accepte l’admission au concours d’Oumama Mint Cheikh Sidya. Selon elle, « la reconnaissance de ses compétences et les nombreux soutiens » qu’elle a obtenus, notamment au sein même du jury, ont fait la différence. « Le président du Conseil de la magistrature aussi n’était pas contre l’idée qu’une femme devienne juge. Pour lui, il était temps que les femmes accèdent à la magistrature », raconte-t-elle.
Blocage des hommes vis-à-vis des femmes juge
Alors pourquoi la présence des femmes dans l’appareil judiciaire mauritanien est-elle si controversée ? Pour Oumama Mint Cheikh Sidya « ce sont avant tout les hommes qui font un blocage sur cette question. Les plus radicaux affirment que des textes dans l’islam interdiraient aux femmes d’exercer les fonctions de juge. Or, les hommes et les femmes ont les mêmes compétences. Donc, je ne vois pas pourquoi une femme ne pourrait pas être magistrate », rétorque-t-elle.
Il faut dire qu’Oumama Mint Cheikh Sidya n’a pas froid aux yeux. Et quand elle veut quelque chose, elle ne lâche rien. Issue d’une famille aisée, elle a effectué ses études primaires au Maroc. Puis décroche son baccalauréat à Nouakchott. Là aussi, elle arrive en seconde position parmi les meilleurs bacheliers du pays. Elle se lance dans des études d’anglais, décroche son Deug et travaille comme traductrice pour la société civile. Mais elle refuse d’en rester là et se réinscrit en faculté de droit. Puis devient une brillante avocate, avant d’exercer plusieurs fonctions dans des banques privées. Son ambition la pousse à aller de nouveau plus loin. Elle intègre le ministère de la Justice, au service des marchés financiers publics, qui lui ouvre les portes de la magistrature.
Ce parcours sans faute de la première magistrate de Mauritanie n’est pas surprenant. Son grand-père aussi a été parmi les premiers magistrats du pays. Elle a notamment suivi les traces de sa maman, première Mauritanienne à avoir décroché le brevet arabe, qui a aussi exercé des responsabilités au ministère de la Femme. « Maintenant j’aimerai que ma fille aînée, qui étudie à l’école polytechnique, suive également mes pas ». Les parcours sans faute, c’est visiblement une histoire de famille chez Oumama Mint Cheikh Sidya.