Dans le hall d’entrée du SAFEM (Salon international de l’artisanat pour la femme), au village de Wadata, à Niamey, une collection d’objets originaux compose le mobilier de « la chambre de la mariée moderne » africaine. Des créations nées de la collaboration entre des designers français et des artisanes nigériennes. Reportage.
Notre envoyé spécial à Niamey
Détourner le cours tranquille de la tradition pour le faire rejoindre celui, plus imprévisible, de la modernité, transformer les objets courants, des millions de fois effectués depuis la nuit des temps, pour créer de nouvelles gammes de produits que s’arracheront à prix d’or les acheteurs occidentaux, c’est le défi qu’a lancé le SAFEM à trente artisanes nigériennes. Trente femmes, pour moitié originaires de Maradi, la région phare de l’édition 2007, spécialistes du cuir, de la poterie, de la vannerie, de la broderie et de la teinture qui, pendant trois semaines, ont travaillé en collaboration avec deux designers français au centre des métiers du cuir de Niamey. « Vous savez, c’est très difficile de changer la tradition. Chaque jour on demande à Dieu de nous donner la force d’y arriver, mais c’est très intéressant », nous confie la potière Mamou Soumana qui, habituée a confectionner des canaris ronds, a dû, pour les besoins de l’opération, leur imprimer une forme très plate.
Les designers ont imaginé les objets de « la chambre de la mariée moderne » et on proposé aux artisanes de les réaliser. Ils ne sont pas intervenus sur le graphisme et, pour les convaincre, leur ont expliqué quels bénéfices elles tireraient de cet exercice. « Au départ, quand on leur a demandé de créer des objets différents de la tradition, on leur a dit que leur travail allait valoriser la tradition, et que la tradition valoriserait ces nouveaux objets », commente Benoît de Chassy, l’un des deux designers impliqués dans l’aventure. Pour illustrer son propos, il se saisit d’une lampe dessinée par ses soins dans laquelle Mariama Hama a ornementé une incision de cuir. « L’intérêt de cette collaboration, c’est qu’elle donne plus de valeur au travail, affirme-t-elle. Mais ça prend beaucoup plus de temps. Ceci dit, ici, on a toutes les matières premières, tous les outils dont on a besoin, et ça rend les choses plus faciles car, souvent, dans nos villages, le manque de moyens nous empêche d’avancer. »
Vers la création d’un centre de design permanent
Benoît de Chassy reconnaît avoir buté sur quelques obstacles : « Nous avons demandé à des vannières de faire des nattes ensemble. Mais dans certains villages, elles tissent avec huit brins et dans d’autres avec cinq. Elles n’ont pas voulu collaborer. Donc si nous faisons d’autres ateliers tels que celui-ci, nous réaliserons moins de produits et ferons travailler les femmes plus entre elles. » En dépit de ces incompréhensions mineures, le professionnel français, responsable d’un cabinet de design industriel à Paris, estime que cette opération est un succès qui, à moyen terme, pourrait être une source de revenus et d’emplois pour le Niger et les pays qui emprunteraient cette voie. Il appelle de ses vœux la création d’une structure qui formerait et encadrerait les artisans. « Ce centre de design rentrerait parfaitement dans le projet Azalaï imaginé par l’ancien ministre nigérien de la culture, Ibrahim Loutou, qui avait pour objectif de valoriser les activités traditionnelles, explique-t-il. Pour qu’il voit le jour, il nous faut arriver à convaincre les autorités. Mais si les créateurs s’allient avec les artisans qui ont un savoir-faire, beaucoup d’emplois seront créés », estime-t-il.
Pour Benoît de Chassy, l’implication des créateurs locaux est indispensable pour la viabilité du projet. « Si l’on veut aller plus loin sur le plan commercial, il est nécessaire de mettre en place une organisation. Mais si c’est une structure purement gouvernementale, ça ne marchera pas, pense-t-il. Il faut s’appuyer sur un relais de personnes qui ont réussi dans leur expérience, comme le styliste Alphadi, par exemple. Ces gens-là connaissent leurs besoins et leurs capacités. Il faut aussi former les artisans et l’encadrement. Donc, tout ça demande un certain temps et une énergie considérable. »
Exposés dans le hall d’entrée du SAFEM, au village de Wadata, les objets créés par les designers français et les artisanes nigériennes produisent leur l’effet. Tous les visiteurs s’arrêtent pour observer ces surprenantes hybridations. Pour l’heure, elles ne sont pas mises en ventes. Il s’agit de prototypes destinés à être présentés au Niger et dans la sous région afin de montrer qu’il est possible d’insuffler l’esprit de la modernité à l’artisanat traditionnel. Au milieu de la foule, un homme jubile : Ibrahim Loutou, président du Comité de la région phare de l’événement. Depuis de nombreuses années, il milite pour que la tradition soit mise en valeur et devienne un facteur de développement. « Il faut absolument continuer ça, il ne faut pas arrêter, s’exclame-t-il ! » Et constatant l’intérêt que suscitent les créations auprès du public local, il estime qu’au Niger, elles pourraient trouver des débouchés inattendus : « Si ça nous permet de ne plus aller en Europe pour acheter des objets et de vendre ici des produits de qualité avec un cachet traditionnel, c’est formidable ! » conclue-t-il. Un projet qui n’a rien d’irréaliste, à condition qu’il ne finisse pas comme beaucoup de bonnes idées avant lui aux oubliettes de l’histoire.
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