« L’armée est la bombe atomique du régime égyptien »


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La révolte du peuple égyptien a conduit au départ de Hosni Moubarak qui dirigeait le pays depuis 1981. L’armée, qui est désormais chargée de gérer les affaires publiques du pays, doit rétablir l’ordre et assurer la transition jusqu’à des élections démocratiques. Les Egyptiens peuvent-ils lui faire confiance ?

Pour calmer la grogne sociale, le Conseil suprême des forces armées égyptiennes avait prévenu, le 18 février dernier, qu’il n’autoriserait pas la poursuite de grèves et mouvements sociaux nuisibles à l’économie du pays. Néanmoins, après avoir dissout le Parlement et suspendu la Constitution, il a affiché sa volonté de rompre avec l’ancien régime. Il a confirmé, hier, l’annonce qu’il avait faite le 16 février sur la tenue d’un référendum pour évaluer les amendements à apporter à la Constitution. Ce dernier devrait se dérouler «avant la fin mars», selon Sobhi Salah, un membre de la commission de juristes mandatée pour étudier la question.

La Constitution égyptienne devrait limiter à un maximum de deux mandats de quatre ans la durée d’exercice du pouvoir par les prochains présidents du pays, selon les amendements présentés samedi par le comité d’experts. Pour mieux communiquer avec les jeunes, l’armée a créé sa propre page Facebook, et a participé à la fête organisée sur la place Tahrir le mois dernier, au Caire, où des milliers de personnes se sont rassemblées pour célébrer la chute du régime de Hosni Moubarak. Tewfik Aclimandos, historien au Collège de France, nous éclaire sur le rôle et la place de l’armée dans la société égyptienne et l’actuel processus de transition.

Afrik.com : Maintenant que Hosni Moubarak a quitté le pouvoir, quel rôle l’armée va-t-elle jouer ?

Tewfik Aclimandos : Hosni Moubarak avait fait appel à l’armée dès le début de la mobilisation contre son régime pour gérer les manifestations qui avaient pris de l’ampleur. On sait maintenant que c’est elle qui a pris la plupart des décisions pour venir à bout de ce conflit. Elle est à l’origine de la nomination du vice-président, Omar Souleimane. L’Egypte vit une période d’effervescence extrêmement difficile. Désormais l’armée doit veiller à assurer la transition, organiser les forces politiques et restructurer la police qui est très affaiblie. Les Egyptiens ont dénoncé la dérive sécuritaire qui régnait dans le pays. Elle a fait défaut à la police qui a tué lors des manifestations et fait preuve d’une grande brutalité envers les manifestants. Alors que les militaires, respectés par le peuple, sont considérés comme gentils, et les policiers méchants.

Afrik.com : L’armée tiendra-t-elle toutes ses promesses concernant les réformes démocratiques qu’elle s’est engagée à mener ?

Tewfik Aclimandos : Je pense que l’armée est sincère dans ce contexte révolutionnaire très difficile. Cela prendra beaucoup de temps pour que tout rentre dans l’ordre. Et puis, il y a des avis partagés entre ceux qui pensent que le délai de six mois pour la transition est trop long, et ceux pour qui il est trop court. Elle s’est notamment engagée à respecter les accords internationaux que l’Egypte a signé. D’autant plus que les Frères musulmans ont une certaine réserve à accéder à la tête du pays car ils ne veulent pas gérer les accords de paix avec Israël. Elle continuera sans doute la même politique avec les Etats-Unis puisque c’est dans son intérêt. Le peuple a une grande confiance en l’armée qui a été accueillie en héros lors des manifestations. Il est clair que son refus de tirer sur les manifestants a été un facteur décisif dans la suite de la révolte. Elle leur a permis ainsi de s’organiser et d’aller jusqu’au bout de la mobilisation.

Afrik.com : Qui dirige l’armée ?

Tewfik Aclimandos : On sait très peu de choses de l’armée égyptienne. Il y a au moins 20 généraux qui sont à sa tête. Mais une chose et sure, ce n’est pas Omar Souleymane qui la dirige, contrairement à ce que beaucoup pensent. Avec la chute du régime, on commence maintenant à découvrir quelques personnalités qui ont toujours vécu dans la discrétion. Il faudra encore attendre un peu pour en savoir plus.

Afrik.com : Quelle place occupe-t-elle- au sein de la société ?

Tewfik Aclimandos : L’armée est la bombe atomique du régime égyptien. Elle l’a toujours protégé depuis l’ère Nasser à celle de Moubarak. Elle est la gardienne du pouvoir. C’est un acteur étatique très influent. Je pense que ce qu’elle voudrait pour l’avenir politique du pays est d’avoir un président militaire élu démocratiquement dans des élections libres et transparentes. Mais il n’est pas sûr qu’elle obtienne cette faveur même si c’est ce qu’elle souhaite. Elle a pour ligne directrice de ne pas se mêler pas de la politique. Ce qu’il faut comprendre c’est qu’il y avait une sorte de deal entre le pouvoir et elle. Qui était, je me tiens à l’écart de la politique, mais à condition que le pays soit dirigé par un militaire.

Afrik.com : Comment expliquez-vous que l’armée, qui était fidèle au régime, ait pris partie pour les manifestants ?

Tewfik Aclimandos : Au départ, elle ne voulait pas choisir entre les deux camps. Son objectif avant tout était de préserver les institutions publiques. Mais elle a dû faire un choix entre Hosni Moubarak et le peuple. Elle a préféré plutôt sacrifier le régime. La Nation, pour elle, passe avant tout. Il y a sans doute eu des divisions internes mais elles se sont réglées dans l’intimité. La crise politique du pays était trop importante pour que les militaires lavent leur linge sal en public. L’une des raisons de la colère du peuple est : les changements de politique que Moubarak a mené ces dernières années, en privatisant de grandes entreprises qui appartenaient à l’Etat. L’Egypte a toujours voulu préserver son indépendance économique vis-à-vis du monde extérieur. Le pays vivait dans un système autarcique. Une politique qui n’était pas efficace mais permettait la redistribution des richesses à une partie de la population.

Mais en privatisant de grandes compagnies publiques, Gamal a sacrifié les classes moyennes et populaires qui se sont appauvries. Seuls quelques hommes d’affaires ont bénéficié de ces changements. L’armée a d’ailleurs toujours été hostile à l’idée que Gamal prenne le pouvoir. La politique extérieure de Hosni Moubarak était sans doute la moins impopulaire, car il a garanti au pays la paix. Mais les conditions de vie qui se sont dégradées, la corruption du régime, la dureté de la répression policière ont mis le feu aux poudres et poussé les Egyptiens à se révolter. Hosni Moubarak, qui a vieilli, avait perdu le sens des réalités. Sa grande erreur est d’avoir délaissé le suivi des dossiers de la politique intérieure. Son règne de trente ans était beaucoup trop long pour le peuple qui vivait dans un pays ou l’état d’urgence était en vigueur depuis 1981. Les Egyptiens avaient l’impression d’être traités comme des animaux, de ne plus être respectés. Pour moi, ils ont manifesté avant tout pour leur dignité et la justice. L’armée les a soutenus.

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