Les justices tchadiennes puis françaises ont comdamné les membres de l’ONG L’Arche de Zoé et son président Eric Breteau pour avoir, prétextant les sauver, menti et tenté d’enlever une centaine d’enfants tchadiens qui n’avaient nul besoin de leur aide. Cette affaire est révélatrice de la perversion de l’action humanitaire qui, transformée en humanitarisme, produit les effets les plus dévastateurs. Pour éviter la cannibalisation de toute politique de développement réel de l’Afrique, il faut d’urgence tourner la page du «tout humanitaire».
Humanitaire, forcément, humanitaire… « On nous reproche que cette affaire c’est du colonialisme, l’idée que ces peuples on besoin de nous pour survivre. Si c’est du colonialisme, c’est celui du cœur » assénait Maître Collard dans le journal Libération du 21 décembre 2007. Tout est humanitaire… « On reproche aujourd’hui à ces hommes et femmes d’avoir appliqué au drame du Darfour la doctrine élaborée par Bernard Kouchner » ajoutait le très médiatique avocat. Le devoir d’ingérence devient en fait un devoir d’indigence… « Leur opération était un coup d’Etat humanitaire, dans la droite ligne de ce qu’à fait Monsieur Kouchner » fulminait encore l’avocat marseillais Gilbert Collard dans l’hebdomadaire Marianne daté du 22 décembre au 4 janvier 2008.
L’Arche de Zoé : « un coup d’Etat humanitaire »
En fait, si l’opération d’enlèvement des enfants tchadiens et non darfouris avait réussi, cela aurait été le premier coup d’Etat humanitaire de l’Histoire. Le « Tout est humanitaire » cannibalise tout. Le Cannibalisme humanitaire est une sorte de tsunami idéologique. Le politique est évacué… Les mises en place d’une politique de santé publique, d’un système éducatif national digne de ce nom, de stratégies sociales sont, comme du reste l’a relevé un des avocats tchadiens de L’arche de Zoé, ignorées.
Le « Tout-humanitaire » interdit à ces pays africains d’élaborer une vraie stratégie de rupture avec le sous-développement, la pauvreté absolue de masse. Il est évident que l’action humanitaire, surtout « l’humanitarisme », n’est pas une solution pérenne à la tragédie et à la misère. Du reste, tout le problème est là : le temporaire devient le permanent. Et c’est alors que la machine à émotions s’emballe. Et celle-ci ouvre la voie au « populisme humanitaire ». L’humanitarisme postule que tout est humanitaire. Hors de « l’humanitaire », point de salut pour les Indigents du Sud qu’on appelait autrefois le Tiers-Monde. Pourtant, ce n’est pas le moindre des paradoxes. Aucun pays au monde n’est sorti du sous-développement grâce aux humanitaires.
L’indigence de ces peuples du Sud en général et d’Afrique en particulier est devenue un viatique de la « charité business ». Et rien n’échappe à cette nouvelle déferlante planétaire, à ce tsunami idéologique. L’économie est humanitaire, la diplomatie aussi. Du reste, d’aucuns parlent d’ors et déjà de « guerre humanitaire », d’autres de « faucons humanitaires ». On ne l’oubliera jamais que l’opération « Restore Hope » en Somalie fut une opération « militaro humanitaire ». Malgré les mises en garde de certains opérateurs de terrain avec ces mots si justes : « ceux qui ont aimé Beyrouth vont adorer Mogadiscio ». On connaît la suite les 18 G.I. américains désossés par la population et exhibés en trophée de guerre par les Somalis.
L’humanitarisme s’apparente aux soins palliatifs, une sorte d’accompagnement à la mort non pas d’un individu mais de milliers d’êtres humains. Il s’agit aussi d’une tragique inversion : l’ambulance a remplacé l’hôpital ! La morale d’urgence s’étiole, voire disparaît sous le choc de la caméra et du narcissisme. Autrefois, la morale minimum commandait de ne pas trier les victimes, les « bénéficiaires » pour reprendre le Vocabulaire des stratèges du marketing humanitaire
de combat. Maintenant, on les trie au tamis médiatique : Le Darfour plutôt que le Sud-Kivu en République démocratique du Congo ou la Somalie. C’est le triomphe de la communication…
Le « tout humanitaire » se conjugue toujours avec le « tout.com » : tout comme ! La concurrence entre ONG humanitaires fait rage et des ravages comme l’illustre l’affaire de l’Arche de Zoé. L’alliance entre la caméra, le bistouri et le stéthoscope pulvérise tout. Pour le meilleur et le pire… Rony Brauman, alors président de médecins sans frontières (MSF), dans un article intitulé « Contre l’humanitarisme » (Esprit, décembre 1991) décodait et décryptait les limites d’un certain « sans frontiérisme » du style de l’équipée sauvage de l’Arche de Zoé: « …la baguette magique du tout-humanitaire change la citrouille en carrosse de l’indigence humanitaire »… Et d’ajouter : «…après la tragédie biafraise, la boucle du « tout humanitaire » se referme donc sur elle-même. Plus que jamais les bons sentiments, et surtout leur mise en scène, tiennent lieu de discours, dans un jeu où chacun des acteurs, organisations humanitaires, médias, gouvernement, tient un rôle qui n’est pas vraiment le sien, et encaisse les profits ». Avec le verdict du tribunal de Créteil confirmant celui de la cour criminelle de N’jaména, la fameuse boucle de l’humanitarisme se referme sur les membres de l’Arche de Zoé et sur tous les «philanthropes » de tout poils qui sévissent sur le
Continent.
La fin de la nécrophilie cannibale
Après le verdict de N’jaména et de Créteil, on attend avec impatience l’instruction du volet français afin d’élucider tous les méandres de l’Arche de Zoé. Sinon, les historiens de demain pourront un jour écrire cette épitaphe : « humanitaire moderne, inventé au Biafra au Nigeria en 1967, enterré à N’jaména en 2007 », quarante ans presque jour pour jour après sa mise en application. A Abéché, au Tchad, avec cette histoire sordide de soi-disant « orphelins du Darfour », c’est toute la mythologie des «french doctors »qui est écornée. Le Mal, c’est l’humanitarisme. Ce dernier tue cette belle idée antitotalitaire qu’est l’humanitaire. Il est urgent d’agir avant que cette idée généreuse ne se mue, pour citer Rony Brauman, en une « nécrophilie cannibale ».
Comme le présente le site de l’Arche de Zoé : « Au Darfour, aujourd’hui, un enfant meurt toutes les cinq minutes », on retrouve là paradoxalement le même « catastrophisme », les mêmes techniques de communication que les tiers-mondistes misérabilistes que stigmatisait naguère Pascal Bruckner dans son essai Le Sanglot de l’homme blanc. Le cannibalisme humanitaire, c’est fini. Tout n’est pas humanitaire. Le protocole compassionnel, comme disent les médecins, ne résoudra pas les problèmes des pays africains en général et du Tchad en particulier.
Après le verdict de Créteil, maintenant place à la justice française. « L’indigence » de la justice tchadienne n’a pas permis de démêler tous les arcannes de l’affaire de l’Arche de Zoé. Cette enquète serait une action concrète de « co-développement… ». Par conséquent, humanitaire, forcément, humanitaire…. Les verdicts de N’jaména et de Créteil sont les
premières fondations de la construction de gardes-fous (au propre et au figuré). En effet, comme le relevait dès 2004 David Rieff dans son livre prémonitoire L’humanitaire en crise (Le Serpent à plumes) : «paradoxalement, plus l’idéal humanitaire avait acquis d’influence, plus il était devenu incohérent ». Fou, nauséabond, nécrophile et cannibale…
Bolya Baenga, écrivain congolais, dernier ouvrage paru la profanation des vagins, le Serpent à plume, 2005.