Le gouvernement mauritanien s’est exprimé, dimanche, sur la question de l’arabisation soulevée par le premier ministre et la ministre de la culture et de la jeunesse le 1er mars dernier. Une question qui a soulevé les foules et mis le feu aux poudres du côté des Négro-mauritaniens, en proie à un sentiment d’oppression culturelle, politique, économique et sociale.
La Mauritanie, véritable patchwork culturel et linguistique, est, depuis le mois de mars, en proie à la grogne d’étudiants négro-mauritaniens, criant leur mécontentement face à la volonté d’arabisation de l’administration et de l’enseignement par le gouvernement. Volonté que ce dernier a fortement démentie dimanche. « Rien n’a changé, la Mauritanie d’avant le 1er mars est toujours la même, aucune option pour une arabisation complète n’a été prise par le gouvernement », a déclaré dimanche le ministre de l’Enseignement supérieur, Ahmed Ould Bahya, devant un grand nombre d’étudiants rassemblés à l’université de Nouakchott. Cette affirmation fait suite aux discours controversés tenus par le premier ministre Moulaye Ould Mohamed Laghdaf et la ministre de la culture et de la jeunesse Cissé Mint Boide, le 1er mars, lors de la journée de la promotion de la langue arabe, qui avait pour slogan « l’arabe est la langue de notre religion et de notre identité. » La « civilisation mauritanienne est arabo-islamique ! », avait ajouté la ministre de la culture.
Ces propos jugés ségrégationnistes ont choqué et exacerbé l’ire négro-mauritanienne. « Non à l’arabisation complète ! », « Non à la discrimination ! », « Nous sommes tous égaux !» s’insurgeaient les étudiants opposants lors de manifestations organisées les 25 mars et 6 avril dernier. « L’arabité n’a rien à voir avec l’islam. La religion islamique a simplement été un ciment assurant la cohésion entre Arabo-berbères et Négro-mauritaniens », ajoute Diagana Mamadou Youssouf, président de l’Organisation Contre les Violations des Droits Humains (OCVIDH). Cette cohésion tendrait cependant à s’étioler au profit de conflits de plus en plus violents.
Le ministre de l’Enseignement supérieur revient donc, dans son discours, sur ces évènements qu’il juge injustifiés. « Nous avons célébré et la journée de l’arabe et la journée de la francophonie, avec la même force et dans les mêmes conditions » se défend-il afin de tranquilliser les étudiants négro-mauritaniens. Il a également assuré que des états généraux de l’enseignement seraient organisés sous peu, conviant étudiants et professionnels de l’enseignement à y participer.
Un conflit intemporel
Ces vives réactions mettent à jour une problématique enfouie dans l’histoire de la Mauritanie depuis des décennies. La question linguistique a toujours été délicate et les nombreuses réformes du système éducatif qui se sont succédées depuis l’indépendance, ainsi que les tentatives d’arabisation n’ont pas été réalisées sans heurts. « Est-ce-que ce n’est pas purement pour renforcer l’exclusion des noirs ? » s’interroge Ibrahima Diallo, chargé de communication des FLAM en Europe. Exclusion qu’il considère comme une volonté permanente de « dénégrification » de la Mauritanie de la part des Arabo-berbères. « La langue n’est qu’un alibi » renchérit Diagana Mamadou Youssouf. Victimes d’un sentiment d’oppression culturelle puissant, les Négro-mauritaniens dénoncent la suprématie politique, économique et sociale des Arabo-berbères qui se manifesterait de différentes manières.
« Tout est arabisé ! » clame Yacouba Diakité, secrétaire général du Syndicat National des Etudiants Mauritaniens (SNEM). La majorité des hauts postes du gouvernement mauritanien est aujourd’hui occupée par des arabophones. L’armée mauritanienne a été « purgée » de ses officiers négro-mauritaniens à la fin des années 80, ainsi qu’une partie du pays avec l’expulsion de près de 100 000 Africains mauritaniens, rappelle Alain Antil, chercheur à l’Institut français des relations internationales (Ifri). « C’est un Etat qui pratique de l’apartheid, même s’il n’est pas formalisé » n’hésite pas à dire Ibrahima Diallo. Des propos engagés qui méritent une précision : ce sentiment de marginalisation n’a pas toujours été l’apanage des négro-mauritaniens. En effet, les prémices de cette volonté d’arabisation remontent à la colonisation, période pendant laquelle la scolarisation s’effectuait en uniquement en français. Elle était, d’autre part seulement accessible aux sédentaires, c’est-à-dire aux Négro-mauritaniens, défavorisant ainsi les arabophones et les excluant de toute possibilité d’élévation sociale et professionnelle.
Ce conflit, qui prend sa source loin dans un passé où chaque communauté linguistique et culturelle s’est sentie tour à tour opprimée, inquiète. « Si personne ne fait rien, ça risque de dégénérer et on va vers le chaos ! » craint Diagana Mamadou Youssouph. Une hypothèse alarmante qui requiert l’instauration d’un dialogue entre ces deux communautés cohabitant dans la mésentente depuis toujours.
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