L’annonce de la victoire d’Ali Bongo à la présidentielle a déclenché une vague de contestations et de violences dans la capitale et en province. Des actes de violence qui ont visé en premier lieu des intérêts français : Le consulat de France a été incendié, des stations-services du groupe pétrolier Total ont été saccagées. Pourquoi la France semblerait-elle être dans le collimateur des manifestants ? Dans l’analyse que nous vous proposons aujourd’hui, Noël Kodia, écrivain et critique littéraire, nous éclaire sur cette question. Il montre comment l’élection d’Ali Bongo sonne comme la continuité de la nébuleuse Françafrique même si la France s’en défend. D’où l’hostilité manifestée par les gabonais vis-à-vis de la France.
Suite à l’annonce de la victoire d’Ali Bongo avec près de 42% des voix, ses adversaires ont crié à la fraude organisée. S’en sont suivis des actes de violences, dans la capitale et en province. A Port-Gentil, un couvre-feu a été décrété. Le consulat de France a été incendié. Des stations-services du groupe pétrolier Total ont été saccagées. Pourquoi la France semblerait-elle visée ?
Il faut noter déjà que certaines irrégularités ont été soulevées au cours du processus électoral. La commission électorale n’a pas fonctionné correctement, le procès verbal n’ayant pas signé par tous les membres. Ensuite, les adversaires d’Ali Bongo ont été intimidés par les forces de l’ordre, fidèles sûrement à leur ancien maître. A Libreville, le matériel de transmission de la chaîne de télévision d’André Obame a été la cible des hommes cagoulés et mitraillée dans la nuit de mercredi, un jour avant l’annonce des resultats finaux. A-t-on voulu empêcher l’opposition d’expliquer à ses militants comment s’est déroulée cette présidentielle ? D’autant qu’il y a eu aussi des coupures du réseau sms. On a suivi par les média internationaux une partie du peuple gabonais en colère se plaindre de l’éventuelle fraude organisée pour emmener Ali Bongo à la victoire.
Ce n’est plus un secret pour les Gabonais : Ali Bongo est un « produit » de la France car enfant d’un doyen de la Françafrique. En se félicitant, quelques jours après le 30 août 2009, du bon déroulement du scrutin au Gabon et en déclarant faire confiance aux institutions gabonaises pour que le processus se poursuive dans le calme, la France n’avait-elle pas dirigé son regard vers Ali Bongo ? Ce dernier n’avait-il d’ailleurs pas été reçu à l’Elysée par le Président Sarkozy en décembre dernier ? D’ailleurs, Bernard Kouchner en déclarant que la France n’avait pas de candidat au Gabon parce que ce pays est souverain, n’a-t-il pas été en contradiction avec Alain Joyandet qui affirmait que son pays n’attendait que la victoire d’Ali Bongo soit confirmée par la Cour constitutionnelle pour reconnaitre le nouveau président gabonais ?
En fait, la France qui est officiellement restée « neutre » apparait comme liée au clan Bongo. Elle est directement concernée par les intérêts pétroliers, par le rôle historique du Gabon dans la « Franceafrique », par la présence de 10.000 ressortissants français et de la base militaire. Ainsi, la France se trouve dans une situation délicate car soupçonnée par les gabonais d’avoir soutenu Ali Bongo et faire ainsi barrage à l’alternance. Dans ce sens, Bruno Ben Moubamba, le candidat ayant observé une grève de la faim pour demander le report du scrutin, accuse certains milieux affairistes français de faire croire à l’appareil d’Etat français que la démocratie est nuisible aux intérêts de Total, Eramet (manganèse) et Areva (uranium).
Car l’élection a été préparée par le parti au pouvoir (le PDG) qui a soutenu son candidat. En général, on organise les élections en Afrique pour les gagner par tous les moyens. Quand on pense à quel point les relations franco-gabonaises ont été tendues avant la mort d’Omar Bongo, surtout avec le scandale des biens mal acquis décrié par la presse française, on croyait que ces relations se clarifieraient vers plus de transparence après l’ère Bongo. Mais avec la « monarchie » qui se révèle à travers la « victoire » du fils, les Gabonais voient en lui le successeur du maître de la Françafrique dans la région qu’était son père. Or ces derniers sont allés massivement aux urnes car ils voulaient une véritable alternance. Cela explique pourquoi les manifestants hostiles à Ali Bongo accusent la France de l’avoir « imposé » aux Gabonais le fils du président Omar Bongo.
Depuis la naissance de la Françafrique sous De Gaulle, Omar Bongo a été toujours considéré comme un serviteur de celle-ci. Or, Ali a déclaré qu’il était est l’héritier familial et spirituel de son père. Pourrait-il vraiment être le président de tous les Gabonais quand on sait que les partisans de ses deux adversaires ne le considèrent pas comme « un président démocratiquement élu » mais plutôt un homme éloigné du peuple? Pour les Gabonais dont 70% de la population vivent avec moins d’un dollar par jour dans un pays paradoxalement riche, la France apparait ainsi comme complice de la politique antisociale et antiéconomique pérennisée par le père Bongo et que voudrait poursuivre le fils en autorisant les quelques multinationales françaises à travailler dans l’opacité et le monopole. Cette politique a empêché la grande majorité des gabonais de profiter des opportunités d’un marché ouvert et de la mondialisation, et donc de se développer. L’incendie de certaines installations de Total à Port Gentil (qui est maintenant sous couvre-feu) ne serait ainsi pas un hasard.
Car les temps ont changé et les Africains se sont déjà approprié la démocratie pluraliste consécutive à la chute du mur de Berlin. En s’en prenant aux intérêts français, les Gabonais viennent de donner un avertissement à la Françafrique, cette « nébuleuse » qui serait à l’origine de la monopolisation des richesses d’une partie du continent et du soutien aux dictateurs, dont Omer Bongo faiait partie, qui ont sacrifié son développement pour des intérêts personnels.
Le Gabon fait partie d’une région très souvent secouée par des soubresauts politico-ethniques consécutifs à des « élections à problèmes ». Il semblerait malheureusement que se reproduisent ces scènes que l’on a pu voir en Centrafrique, au Congo et au Tchad. Ali Bongo réglera-t-il les « incidents » par la force pour se maintenir au pouvoir ? Ne risquera-t-il pas de se discréditer car nouvellement élu ? Pourra-t-il marier diplomatie et corruption comme l’a fait son père pendant plusieurs décennies ?
Noël KODIA est critique littéraire et essayiste.
Publié en collaboration avec UnMondeLibre.org