Le problème du serment confessionnel au Tchad devient de plus en plus important au point que des ministres non musulmans arrivent à démissionner pour ne pas s’y soumettre.
Dans son article, OREDJE Narcisse, s’inquiète de cette pratique contraire aux principes fondamentaux d’un Etat laïc. Contraire à la Constitution du pays, ne reposant sur aucun texte, le serment confessionnel est utilisé à des fins politiques et discriminatoires. Dommage car le serment en soi à du sens, surtout dans un pays fortement corrompu comme le Tchad.
Depuis le limogeage de Mme Djibergui Amane Rosine, Ministre de l’Aviation Civile, suite à son refus de jurer au nom de Dieu puisque contraire à sa foi chrétienne, le serment confessionnel soulève de vifs débats quant à sa raison d’être. Dernièrement, la Conférence Episcopale et certains leaders politiques ont simplement demandé son abrogation le jugeant inconstitutionnel et discriminatoire. Alors pourquoi faut-il dans un Tchad laïc abroger ou du moins amender le serment confessionnel ?
Une formule non-conforme à la Constitution
« Moi… je jure au nom d’Allah, le Tout Puissant, d’être loyal dans mon travail, de ne pas trahir la Nation et le peuple, de ne pas détourner les deniers publics, de ne pas dévoiler les secrets d’Etat et de respecter les engagements contenus dans la charte déontologique. ». Voici le libellé du serment confessionnel institué par l’ordonnance 013/PR/2018, obligatoire pour accéder aux hautes fonctions allant des ministères aux directeurs des régies financières. Aujourd’hui, ce sont plusieurs voix qui s’élèvent pour le décrier. La Constitution dispose en son article 28 que : « Les libertés d’opinion et d’expression, de communication, de conscience, de religion, (…) sont garanties à tous. ». De facto, imposer un serment confessionnel dans une république laïque, c’est imposer la croyance en un Dieu unique à toutes les communautés. D’où l’atteinte aux libertés de conscience et de religion garanties par la constitution qui est une règle suprême.
Un serment discriminatoire
L’article 35 de la constitution garantit que « Nul ne peut être lésé dans son travail en raison de ses origines, de ses opinions, de ses croyances, de son sexe ou de sa situation matrimoniale. » Une garantie que vient perturber ce serment confessionnel qui élimine de facto tous ceux qui ne croient pas en Dieu ou ceux à qui ce serment ne convient pas, mais aussi permet au régime d’accentuer le contraste d’injustice et d’inégalité déjà plus visible dans la société tchadienne. Certaines couches de la population qui ne croient pas à un Dieu unique ne peuvent pas jurer comme l’exige la formule consacrée de ce serment donc automatiquement mises de côté, comme c’était le cas déjà de la ministre et celui de cinq autres fonctionnaires de l’Inspection Générale d’Etat, démis de leurs fonctions après avoir refusé de prêter serment.
Instrumentalisation de la religion
En instaurant ce serment confessionnel, dont la formule a été écrite par le Conseil Supérieur des Affaires Islamiques (CSAI), le régime de Deby cherche davantage à contrôler la religion pour la rendre témoin ou plutôt complice de sa gouvernance. Critiqué depuis des années pour sa proximité avec le pouvoir, le CSAI ne peut pas se mettre à l’opposé de la politique du régime tchadien puisque c’est ce dernier qui décide de qui doit y siéger. Ceci rend complexe la relation qu’a le CSAI avec la Conférence Episcopale et l’Entente des Eglises et Missions Evangéliques au Tchad. Cette méfiance entre les confessions religieuses est le reflet de la volonté du régime de diviser pour mieux régner. Confronté à une supposée protestation des sudistes majoritairement chrétiens, le régime Deby essaie de profiter de son appartenance à la confession musulmane pour inciter l’ensemble des Musulmans à le soutenir dans le combat imaginaire contre l’éventuel envahissement des Chrétiens qui serait fatal. En réalité, Deby n’est ni avec le premier, encore moins avec le second, seul son pouvoir importe.
Serment d’ici et d’ailleurs : quelle différence ?
Face à cette vague de contestation, d’aucuns rétorqueront que le serment confessionnel se pratique aussi dans d’autres démocraties laïques mais en réalité, le serment confessionnel pratiqué ailleurs n’a rien à voir avec ce que le Tchad promeut. Aux États-Unis, le serment confessionnel est facultatif. D’ailleurs, les présidents John Quincy Adams (1825 – 1829) et Théodore Roosevelt (1901 – 1909) ont prêté serment sur le Code civil et non sur la bible. La formule du serment américain ne fait pas référence à un dieu monothéiste et peut être modifiée en fonction des croyances des personnes assujetties au serment. En Italie, le serment confessionnel est un patrimoine historique utilisé pour rappeler les origines catholiques de la nation. Le catholicisme était la religion d’Etat jusqu’en 1948, année à laquelle l’Etat Italien décide de se séparer de la religion.
Le serment confessionnel ne peut pas remplacer la bonne gouvernance
Le 11 août dernier, le président Deby a tenté de répondre aux détracteurs du serment confessionnel: « La prestation du serment permet de ne pas accepter les détournements de fonds publics, mais aussi de lutter contre la corruption. Ces deux fléaux sociaux pourrissent la fonction publique. ». Une déclaration simplement ridicule qui pousse à se demander qui de l’Etat ou de Dieu doit punir la corruption ou les détournements de fonds récurrents au Tchad. Chrétiens et Musulmans constituent plus de 80% de la population, pourtant, le Tchad est le deuxième pays le plus corrompu au monde. Pour seulement quelques institutions auditées par l’Inspection Générale de l’Etat, 60 milliards de FCFA ont été détournés en 2017. Ces exemples prouvent que la religion n’a jamais été un obstacle pour ceux qui s’adonnent à la corruption ou au détournement de fonds. Si l’Etat veut traquer la corruption et le détournement de fonds, il doit revoir la gouvernance et envisager de réelles réformes. Il faut aussi arrêter la politisation de l’administration, limiter le pouvoir discrétionnaire, renforcer les mécanismes de reddition de comptes et arrêter les ingérences quasi-permanentes de l’exécutif dans les procédures judiciaires affaiblissant la justice et encourageant les comportements véreux.
En somme, le serment confessionnel n’a jamais été un facteur déterminant dans la gouvernance, même pas dans les pays fortement chrétiens comme l’Italie ou la Grande Bretagne. Dans le cas du Tchad, il se place à l’opposé de la volonté populaire incarnée par la Constitution. Son institution ne s’inscrit que dans de pures manœuvres politiques visant à semer la zizanie entre les confessions religieuses afin de mieux les manipuler. Le seul compromis pour consolider la cohabitation pacifique serait de le remplacer par un contrat de loyauté ou une formule areligieuse.
Par OREDJE Narcisse, bloggeur tchadien