Les écoliers marocains de première année étudieront l’amazighe sur des manuels écrits dans l’alphabet tifinaghe dès février prochain. Les enfants complèteront ainsi l’enseignement qu’ils ont reçu oralement pendant six mois en classe. Les autorités cherchent ainsi à intégrer la langue berbère dans le cursus scolaire des établissements publics.
Des manuels en tifinaghe sur les pupitres. Les écoliers marocains de première année étudieront l’amazighe avec des ouvrages rédigés dans cet alphabet dès le début du mois de février. La mesure concrétise la volonté des autorités de faire de la langue berbère une matière scolaire à part entière, au même titre que les mathématiques ou la géographie. L’initiative, notamment mise en place par le ministère de l’Education et de la Jeunesse et l’Institut royal de la culture amazighe (Ircam), concernera les écoles publiques du Royaume.
L’enseignement de l’amazighe a commencé dès la rentrée scolaire, le 15 septembre dernier. Quelque 25 000 Marocains de six ans découvraient alors en classe, mais seulement oralement, la langue. « Les professeurs ont reçu deux manuels d’activité orale pour fournir aux enfants les bases de cette langue », explique Jamal Khallaf, directeur de l’Evaluation de l’organisation de la vie scolaire et des formations interacadémiques au ministère de l’Education. Des professeurs qui étaient tous volontaires pour participer à l’opération et qui, surtout, parlaient déjà l’amazighe.
Les profs prennent des cours
Mais pour être parfaitement opérationnels, ils ont reçu une formation complémentaire. « Pendant quinze jours, ils ont appris à écrire en tifinaghe et ont suivi des cours de littérature, de géographie ou encore d’histoire berbère. Le but est de mettre fin aux idées reçues, comme celles qui affirment que l’amazighe est une langue orale, alors que, dans le sud, ont écrit déjà avec l’alphabet tifinaghe », précise Jamal Khallaf.
Les écoliers passeront à la pratique dès février. Ils découvriront les manuels d’apprentissage rédigés en tifinaghe. Ces livres, offerts gratuitement par l’Etat, seront distribués dans 343 écoles du Royaume. L’enseignement de l’amazighe se fera à raison de trois heures par semaine, divisées en 5 séances. Pour s’assurer du bon déroulement des cours, « soixante quinze inspecteurs seront chargés d’ajuster le programme en fonction des difficultés rencontrées par les élèves », explique Jamal Khallaf.
Chacun son bouquin
Comme dans les classes à niveaux multiples, les professeurs devront s’adapter aux différences dues au fait que certains enfants maîtrisent plus la langue que d’autres. « Pour les jeunes Berbères, l’enseignement s’apparentera à un approfondissement de leurs connaissances. Pour les Arabes, ce sera une nouveauté. Les professeurs devront s’adapter aux disparités lorsqu’ils dispenseront leurs cours », explique Iel Mehdi Iazzi, chercheur au Centre d’aménagement linguistique à l’Ircam.
L’amazighe n’est pas encore standardisé. Il continue d’évoluer et, de ce fait, la langue n’est pas parlée de la même façon sur tout le territoire chérifien. « Au nord, les Berbères parlent le rifain. Au centre, le tamazight et au sud, le tachalhit », souligne Jamal Khallaf . Du coup, le ministère de l’Education et l’Irca ont élaboré un livre écrit dans chacune de ces langues. « Nous avons choisi cette méthode pour ne pas déstabiliser les enfants berbères. Pour que ce qu’ils apprennent à l’école ne soit pas différent de ce qu’ils ont entendu chez eux. Le contenu des trois livres sera le même, seule la langue changera », poursuit-il.
Propager l’enseignement
Le ministère de l’Education et l’Irca prépare l’extension du programme. Un ouvrage sera disponible dès la rentrée prochaine pour les deuxième année d’école primaire. L’idée étant de suivre année après année la génération qui vient de commencer l’apprentissage. Tout en pérennisant le système pour les premières années. Résultat : « l’apprentissage de l’amazighe passera de 5% à 20% à la rentrée 2004 », selon Jamal Khallaf. Et, « d’ici cinq ou six ans, l’amazigh sera aussi dispensé dans les collèges », prévoit Iel Mehdi Iazzi.
La nouvelle de l’expansion du programme ne devrait pas déplaire aux premiers intéressés : les élèves. « Ils développent beaucoup de motivation pour apprendre, de même que leurs professeurs. L’enthousiasme est à son paroxysme. C’est sans doute dû à l’attrait de la nouveauté. C’est comme une sorte de défi pour eux », commente le chercheur au centre d’aménagement linguistique de l’Ircam. Belle victoire pour ceux qui luttent pour la transmission de la culture berbère.