On en parle partout, tous les jours. Il est là où on l’attend. Avec son livre « L’Allemagne se détruit », Thilo Sarrazin est le nouveau prophète de cette Allemagne qui n’osait pas dire tout haut ce qu’elle pensait tout bas. D’imprécateur, il est en phase de devenir victime, pourchassé par les bien-pensants de la politique et leurs acolytes des médias. Cela arrange ses affaires.
C’est du pain béni pour son bizness. Il n’en attendait pas tant. Le tiroir-caisse se remplit et plus on en parle, plus il se rengorge, plus l’imprimerie tourne à plein régime pour imprimer son monument d’imbécilités.
Lui, c’est Thilo Sarrazin[[Ce nom désignait au moyen âge les Arabes et les Maures. Sarrazin seront donc d’origine orientale ou nord africaine.]], un allemand pure souche qui porte un nom prédestiné. Il en veut aux étrangers, Arabes et Turcs en particulier, à qui il reproche de pondre des enfants à la chaîne, surtout des filles voilées et de préparer le déclin de la Germanie.
Cette cinquième colonne composée de bons à rien profite sans vergogne du système social. Pire, elle islamise l’Allemagne et bientôt, ce pays aux performances remarquables sera en dessous de zéro, entraîné vers le fond par ces hordes incultes, à l’intelligence limitée comme il le prouve, lui, dans son livre qui se vent comme des petits pains. La preuve, ils sont tellement bêtes qu’aucune association musulmane n’a traîné ce cher Thilo devant les tribunaux. Thilo Sarrazin n’a rien inventé. Il surfe sur la vague du marketing à petit prix qui fait de l’islamophobie son cheval de bataille. Ce politicien médiocre, à « dégueuler » selon l’expression d’une dirigeante du parti des Verts, avait déjà fait parler de lui en 2009. Mais à l’époque, il ne s’en prenait qu’aux Arabes et aux Turcs, c’est-à-dire à pas grand-chose dans une société où l’islamophobie fait des émules à tous les coins de rue.
Des gènes « pas catholiques »
Maintenant, cela devient autre chose. Déployant ses ailes, dévoilant ses crocs, Thilo Sarrazin a commis de grosses bourdes à l’occasion de la sortie de son livre. Il a dit que les juifs, comme les Basques, avaient des gènes pas catholiques ce qui a mis en branle l’establishment politique, très sensible à cette partie de l’électorat. Pas pour les Basques, ils comptent pour du beurre.
Du coup, le voici menacé d’être exclu du parti social-démocrate qui l’avait jusque-là materné en dépit de ses frasques, et tancé par la Banque centrale où il siège au directoire. Menacé et tancé, ne veut dire ni exclu ni licencié. La chancelière Angela Merkel qui sait où ce jeu risque de mener a demandé à la banque de le diriger vers la porte de sortie. Ses souhaits seront exaucés dans quelques jours malgré les atermoiements. La banque est, dit-on indépendante, en dépit du fait que c’est le président de la république qui nomme et démissionne ses dirigeants.
Du SPD, où il compte des soutiens de poids, on ne risque pas de l’envoyer s’inscrire au NPD, la formation nazie. Le vieux parti préférera certainement le garder, car Thilo Sarrazin a convaincu une partie de l’opinion publique qui rêve, comme lui, d’interdire l’immigration venant des pays musulmans et d’Afrique noire qu’il a raison. Comment en est-on arrivé là ? Depuis 2001, comme dans d’autres pays européens, les musulmans sont devenus la bête noire, sur laquelle se concentre la haine des coalisés contre les immigrés.
La crise aidant, le populisme s’est taillé de larges parts de marché au sein de l’électorat. Le racisme ordinaire est devenu un produit haut de gamme, très fréquentable pour certains, y compris des intellectuels. Un zèbre veut-il sortir de l’anonymat ? Rien de plus simple. Il installe à la porte d’un musée un cube noir rappelant vaguement la Kaaba et proclame qu’il sera attaqué par des mahométans furieux de voir reproduit le symbole de leur dévotion par un artiste iconoclaste.
Pour faire monter les enchères, on fait de même avec un opéra. Parfois la mauvaise comédie déclenche le prurit chez quelques extrémistes allumés, parfois elle retombe tel un mauvais soufflet. Dans le cas de Thilo Sarrazin, la mayonnaise a pris, car il remet en cause le modèle d’intégration à l’allemande, ce qui fâche évidemment les politiciens convaincus d’avoir jusque-là fait tout bien et donne du grain à moudre à une presse qui saute sur toutes les occasions pour vendre du papier sous l’intitulé : le péril est dans la demeure, nous sommes envahis par les musulmans.
Le retour des vieux démons
S’il existe de vrais problèmes et aucune personne sensée ne dira le contraire, Thilo Sarrazin prône les mauvaises solutions. Populiste dans le sang, émule des théories racistes, surfant sur le mécontentement qui a d’autres sources que la présence des immigrés, il fait mal à l’Allemagne qui, à travers lui, voit ses ressurgir ses vieux démons. Hier, c’était les juifs, les Tziganes, les communistes et les homosexuels. Aujourd’hui ce sont les musulmans, des êtres décrits comme inférieurs, incapables de s’intégrer, donc à rejeter. Où ? Il ne le dit pas. Du moins pas encore. L’irruption du brûlot de Thilo Sarrazin servira-t-elle à engager un débat de fond, sérieux, loin des clichés sur l’intégration ? Je ne le crois pas. Du moins pas maintenant.
Lors de la Coupe du monde de football, j’avais regretté que l’Allemagne n’ait pas remporté le trophée pas seulement en raison de la très bonne prestation de la Mannshaft, mais aussi, et surtout parce qu’une victoire historique aurait démontré –ce qui a été fait en partie– les bienfaits d’une société ouverte, multiculturelle, pour ne pas dire multiethnique.
Il faudra donc attendre encore longtemps avant que l’Allemagne et ses élites, notamment ses politiciens, abordent les problèmes d’intégration autrement que sous le prisme ethnique.
Otto Schily, ministre de l’Intérieur de Schröder disait systématiquement lors d’un talk-show télévisé à son interlocutrice, une députée du Bundestag d’origine turque : «Vous les Turcs …» et ce malgré les mises au point de la dame qui lui a rappelé, à plusieurs reprises, qu’elle était et députée et qu’il s’adressait à une députée Allemande. Quand on sait que Otto Schily se proclame de gauche, on mesure le chemin à parcourir.
Hamid Skif est un écrivain, poète et journaliste algérien né à Oran. Il vit aujourd’hui à à Hambourg, en Allemagne