La dette extérieure peut représenter pour les pays qui émergent d’un conflit un facteur déstabilisant, son remboursement absorbe en effet des revenus indispensables au financement des programmes de reconstruction, ce qui peut alimenter le ressentiment des populations face aux lenteurs de ce processus. Les créanciers internationaux du Libéria viennent cependant d’amorcer une importante réorientation en annulant rapidement la dette de ce pays. La RDC sera-t-elle le prochain bénéficiaire de cette nouvelle politique ?
Accomplissant à nouveau un grand pas en avant pour sa reconstruction après la guerre civile, le Libéria a éliminé en avril 1,2 milliard de dollars de sa dette extérieure – événement que la présidente Ellen Johnson-Sirleaf a salué. “La résolution du problème de cette dette dont nous avions hérité et qui s’était gonflée d’intérêts et de pénalités financières au cours d’une période pendant laquelle mon pays était ravagé par une guerre civile, constitue un pas important sur notre route vers le redressement.”
A la différence des mesures précédentes, qui avaient réduit la dette du Libéria envers des organismes de crédit publics, cette opération a effacé presque toutes les obligations encourues auprès de créanciers privés. Ayant peu d’espoir d’être remboursés, les créanciers commerciaux du pays ont accepté de réduire la valeur de l’encours des prêts consentis d’un énorme pourcentage : 97 %. Le Libéria a ainsi pu “racheter” ses dettes pour 38 millions de dollars à peine. En réalité, le Libéria n’a rien payé, car la totalité de ce montant a été fournie par la Banque mondiale et les gouvernements donateurs.
En juin 2007, la dette du Libéria se montait à 4,9 milliards de dollars, ce qui représentait sept fois son revenu national annuel. Le nouvel accord, auquel s’ajoutent d’autres annulations de dettes, ramène le total de ce que le Libéria doit encore à 1,7 milliard de dollars. La majorité de ces engagements commencera à diminuer en 2010, car le Libéria devrait bénéficier d’une annulation de ses dettes au titre de l’Initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE), initiative de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI).
Pour le Libéria — comme pour d’autres pays africains qui sortent d’une guerre — l’allègement de la dette extérieure peut donner un coup de fouet crucial à leurs finances, leur permettant de transférer des ressources rares du remboursement de cette dette à la reconstruction et au combat contre la pauvreté. L’élimination du lourd fardeau de la dette extérieure peut aussi encourager les investisseurs nationaux et étrangers à financer de nouveaux projets.
Des créanciers inquiets
De nombreux pays en période de reconstruction après-guerre ont vu leur dette quelque peu allégée. Dans une étude portant sur 16 pays africains en situation post-conflictuelle publiée en mai 2009 par des analystes de la Banque africaine de développement, l’allègement de la dette figure pour près d’un quart du total de l’aide financière apportée à ces pays en 2003.
Fin mai, le directeur général du FMI, Dominique Strauss-Kahn, s’est rendu en Côte d’Ivoire où ses entretiens ont porté sur la crise économique mondiale, sur les progrès accomplis sur la voie d’élections démocratiques en novembre et sur les réformes économiques nécessaires pour permettre au pays de bénéficier d’un allègement de sa dette extérieure de 14 milliards de dollars dans le cadre du programme PPTE.
M. Strauss-Kahn est aussi allé en République démocratique du Congo (RDC) où il a évoqué les problèmes qui pourraient retarder des mesures d’allégement importantes de la dette du pays qui se monte à 10 milliards de dollars. Le directeur général du FMI a en particulier encouragé la RDC à adopter “un cadre clair d’évaluation de la viabilité de la dette ” et à modifier certains aspects de l’accord de grande ampleur signé avec la Chine. Par cet accord, les autorités congolaises s’engagent à fournir à la Chine du cuivre et du cobalt en échange de 9 milliards de dollars qui seront investis dans le développement minier et la construction d’infrastructures. Le FMI et d’autres créanciers craignent que si le gouvernement congolais garantit financièrement cet accord, et que celui-ci est compromis par la baisse des cours mondiaux des métaux, la RDC se retrouve avec une nouvelle dette massive qui effacerait tous les gains résultant de l’allègement de ses obligations courantes.
Un processus lent et lourd
Comme l’indiquent les discussions entre le FMI et le gouvernement congolais, l’allègement de la dette offert à un pays sortant d’une guerre n’est pas sans conditions. En général, les créanciers de l’Afrique ont peu confiance dans la prestation des gouvernements débiteurs, en particulier lorsqu’il s’agit d’États fragilisés par un conflit. Ceci a souvent abouti à des négociations prolongées et à la formulation de conditions rigoureuses que la politique des gouvernements concernés doit satisfaire pour qu’ils puissent obtenir l’annulation de leurs dettes.
Le processus en faveur des PPTE a non seulement été “lent et lourd”, note une étude de l’Institut mondial de recherche sur les aspects économiques du développement d’Helsinki, il a aussi été “largement déconnecté des efforts faits par l’Union africaine et l’ONU pour conclure des accords de paix viables et durables.”
La communauté internationale s’accorde de plus en plus à reconnaître que les gouvernements africains qui s’efforcent de reconstruire leur pays ne disposent pas d’un temps illimité. Pour asseoir une paix stable, ils doivent améliorer sans tarder les conditions de vie de leurs populations.
Pour la population du Libéria, la disparition du lourd handicap représenté par le fardeau de la dette extérieure est enfin en vue ; mais comme le notait en avril la présidente Johnson-Sirleaf, le véritable défi est encore à surmonter. “Nous disons sans cesse que le Libéria n’est pas un pays pauvre, que c’est simplement un pays qui a été mal gouverné”. En développant les ressources minières et forestières, la pêche et l’agriculture, explique-t-elle, les Libériens peuvent se remettre au travail, “nous savons que c’est à nous qu’incombe la responsabilité principale de notre développement.”
Par Ernest Harsch, pour Afrique renouveau