Ce dimanche 30 septembre 2012 à 22h, la chaîne française France 5 diffuse pour la première fois un documentaire exceptionnel d’Hervé Bourges sur l’histoire de l’Algérie indépendante, parfaitement réalisé par Jérôme Seskin. (Ndlr: L’actuel président d’Afrik.com, Olivier Zegna Rata, y a également participé). Une chronique rationnelle et efficace de 50 ans de passions.
Tout commence… Dans le désordre. Ce sont les premiers jours de l’indépendance, la terreur de l’OAS, les divisions profondes entre les compagnons du combat indépendantiste, dont les divergences, masquées par leur but commun, vont soudain apparaître au grand jour. Contre la France coloniale, le front pouvait paraître uni… Une fois la France effacée, l’Algérie éclate, à la merci des rivalités et des ambitions.
L’Algérie, combien de divisions?
C’est le sens même du titre choisi par Hervé Bourges : « L’Algérie à l’épreuve du pouvoir » : la liberté est une conquête, mais c’est aussi une page blanche, sur laquelle écrire l’avenir. Et chacun voudrait y projeter sa propre histoire, incarnant ses propres convictions. Ahmed Ben Bella, le premier président algérien, parvient à recomposer autour de lui et du colonel Boumediene l’unité du pays, non sans déchirements. Il incarne une première phase de l’histoire algérienne, celle d’un socialisme original, inspiré de la Yougoslavie de Tito, qui parvient à surmonter avec succès la désorganisation des premiers mois, organisant les labours, l’autogestion, les structures économiques et culturelles nouvelles.
Mais les difficultés isolent Ben Bella, qui se retrouve dans une position de plus en plus autocratique… Le pas de trop, c’est la menace qu’il fait peser sur son ministre de la Défense, Houari Boumediene, en tentant de limoger l’un de ses proches, le brillant ministre des Affaires étrangères, un certain Abdelaziz Bouteflika. En une nuit, Ben Bella est renversé, arrêté, mis hors jeu.
Houari Boumediene : industrialisation et arabisation
Commence alors le redressement révolutionnaire orchestré par Houari Boumediene, appuyé sur trois grands chantiers : l’industrialisation de l’Algérie, son rôle international en tant que pays phare des non-alignés et soutien des révolutions anti-impérialistes, mais aussi une politique d’arabisation rapide qui se traduit par une islamisation rampante et portera malheureusement ses conséquences tragiques… Une génération plus tard.
C’est la force de ce documentaire unique, première tentative de restitution précise de ce que fut ce demi-siècle écoulé de passions contradictoires : il ne masque pas les côtés noirs de l’histoire, il livre sans prendre parti les conséquences positives et négatives d’une politique. Il ne s’agit à aucun moment de chanter les louanges d’un camp contre l’autre, mais de mesurer les effets des politiques successives.
Le premier printemps arabe… en 1988
Du coup, on découvre ou l’on redécouvre les leçons de cette histoire à la fois si proche et pourtant déjà oubliée : le 5 octobre 1988, l’Algérie basculait dans 5 jours d’émeutes qui allaient paralyser le pays. Fortement réprimées par l’armée, ces journées constitue en fait la première préfiguration de ce que l’on baptisera, 25 ans plus tard, les « printemps arabes » : avec la remise en cause d’un pouvoir trop autoritaire, les jeunes sont dans la rue avec les femmes, les démocrates, les réformistes… et aussi les Islamistes. Le Président Chadli promet des réformes, la liberté de la presse est instaurée, le multipartisme adopté, la démocratie peut fleurir.
Pourtant très vite, le printemps refroidit : les Islamistes sont les premiers à profiter de cette ouverture, ils s’y engouffrent. C’est le début du deuxième épisode de ce documentaire en 2X 60 minutes… L’Algérie, après « l’ère autoritaire » (1962-1988) entre dans « l’ère des tempêtes » (1988-2012) qui la conduit à une forme de maturité, celle qui semble s’affirmer aujourd’hui, et constitue, au milieu des remous des révolutions égyptienne, tunisienne et libyenne, une forme d’exception arabe.
Un regard chaleureux
La puissance singulière de ce documentaire vient du regard de son auteur : Hervé Bourges n’est pas seulement attentif, scrupuleux, précis dans son récit, à la fois historien et journaliste : il est surtout chaleureux. C’est sa confiance dans l’Algérie et dans les acteurs de son histoire qui s’exprime du début à la fin. Une confiance réciproque, d’ailleurs, qui lui permet de faire parler des personnalités de premier plan qui n’ont presque jamais expliqué, comme il le font pour lui, leur action et leur pensée. Ainsi Ahmed Ben Bella, ainsi Lakhdar Brahimi, ainsi Bachir Boumaza, caractère de feu et éloquence pétillante d’humour, Redha Malek, ancien Premier Ministre, ancien négociateur d’Evian, mais aussi le Général Khaled Nezzar, qui réprima le printemps de 1988, le Commandant Azzedine, l’actuel premier Ministre Abdelmalek Sellal, ou Sid Ahmed Ghozali, qui fut à la fois le père de la Sonatrach et Premier Ministre au moment de l’interruption du processus électoral…
L’Algérie parle par les femmes
Hervé Bourges s’efface devant tous ceux qu’il a choisis pour nous raconter l’Algérie, parmi lesquels une mention spéciale revient à des femmes exceptionnelles : Zohra Drif-Bitat, Khalida Toumi, actuelle ministre de la culture, figure du printemps algérien et de la lutte anti-islamiste, Anissa Boumediene, épouse de Houari Boumediene, et Louisa Hanoune, présidente du Parti des Travailleurs. Leurs paroles sont souvent puissantes et belles, elles révèlent ce qui est au coeur de ce demi-siècle tellement dense et tellement riche : les passions algériennes et la force des femmes qui les expriment !
On sort de ces deux épisodes… haletant, le souffle coupé, avec l’impression d’en avoir plus appris que jamais sur cette histoire encore vivante et chaude. A ne pas manquer, si l’on veut comprendre l’Algérie moderne. Et ses défis pour demain.