Le directeur d’El Watan risque un an de prison ferme pour « outrage à corps constitué » et « diffamation ». Devant la recrudescence des intimidations des pouvoirs publics à l’encontre des journalistes, cette affaire marque, pour Omar Belhouchet, le glissement du gouvernement algérien vers un modèle tunisien qui ne respecte pas le droit de la presse. Interview.
Un an de prison ferme a été requis lundi par le procureur près la Cour d’Alger, contre le directeur d’El Watan, Omar Belhouchet. Ce dernier est accusé d’ « outrage à corps constitué » et « diffamation », suite à des déclarations faites sur les chaînes de télévision françaises TF1 et Canal+ en 1995. Il s’interrogeait alors sur l’identité des auteurs des assassinats de certains journalistes. Pour cette raison, il a déjà été condamné en 1997 à un an de prison ferme. Le verdict du procès en appel tombera le 4 mars prochain. En 1993, Omar Belhouchet, qui échappe de peu à un attentat, est emprisonné et connaît depuis cette date un véritable harcèlement judiciaire (une cinquantaine de procès). Son journal a été suspendu à six reprises entre 1993 et 1998.
Afrik : Vous avez comparu lundi devant la Cour d’Alger, comment s’est passée l’audience ?
Omar Belhouchet : L’atmosphère était particulièrement tendue car il s’agit d’un procès particulier. Les déclarations qui me sont reprochées remontent à 1995. J’avais alors précisé que les journalistes assassinés à l’époque l’avaient été par les islamistes armés mais que pour certains, il restait des zones d’ombre. Je m’étais alors demandé si certains journalistes n’avaient pas été tués par les hommes du pouvoir, cherchant à museler des personnes « gênantes ». En effet, les journalistes dérangent, déterrent des affaires, analysent les rouages du régime. J’ai déjà été condamné à un an de prison ferme en 1997 et cette condamnation a pesé sur l’audience de lundi.
Afrik : Le verdict du 4 mars prochain est-il joué d’avance ?
Omar Belhouchet : Le Procureur de la République a demandé de manière ferme que la condamnation proclamée en 1997 soit reconduite. Il peut également faire en sorte que la condamnation soit appliquée immédiatement. Je serai alors arrêté et conduit en prison. Nous sommes très inquiets sur le dénouement du procès mais nous allons continuer à nous battre. S’il le faut, je ferais de la prison, je n’ai pas l’intention de fuir ou de me dérober. J’ai une très forte détermination.
Afrik : Qu’est-ce qui pourrait vous éviter cette peine ?
Omar Belhouchet : Nous allons insister sur les irrégularités qui ont entaché le procès, notamment sur le fait que le ministère ne peut être en même temps plaignant et accusateur et que le droit de la défense a été violé : il nous est interdit de visionner l’enregistrement des déclarations filmées. Mais seule la pression internationale pourra faire bouger les choses. Les autorités sont très sensibles à ça. Je pense qu’elles comptent sur la situation actuelle suite aux attentats du 11 septembre pour faire passer l’affaire, en espérant que la plupart des pays européens et les Etats-Unis soient plus préoccupés par la lutte contre le terrorisme que par la défense des libertés.
Afrik : Ont-il raison ?
Omar Belhouchet : Oui et non. Il y a déjà eu de nombreuses réactions (notamment celle de Reporters sans Frontières, ndlr). On sollicite tout le monde. La presse nationale a réagi très vite et les journalistes se sont mobilisés en masse. Même certains diplomates m’ont appelé mardi et mercredi, pour me faire part de leur inquiétude.
Afrik : La reprise de cette affaire est-elle due à une nouvelle offensive des autorités contre la presse indépendante ?
Omar Belhouchet : Les rapports entre la presse et les pouvoirs publics se sont complètement désagrégés ces derniers temps. Suite à des plaintes déposées par le ministère de la Défense, trois journalistes ont fait l’objet de convocations la semaine dernière : une journaliste d’El Watan, le caricaturiste de Liberté et le chroniqueur du Matin. Le gouvernement algérien semble vouloir adopter le modèle tunisien en terme de restriction des libertés en général et de la liberté de la presse en particulier. Pour appliquer un tel modèle, il n’a pas d’autre choix que de passer en force et cherche donc à toucher des têtes d’affiche, à casser la solidarité de la profession.
Afrik : Cela fait 7 ans que vous êtes poursuivi par le ministère de la Justice, pourquoi cet acharnement ?
Omar Belhouchet : Je suis à la tête d’El Watan depuis plus de 10 ans. Je suis connu pour être intransigeant lorsqu’il s’agit des libertés de la presse, et reconnu au niveau international (Omar Belhouchet a reçu cinq Prix internationaux depuis 1993 et a été désigné en mai 2000 par l’Institut de Presse Internationale à Boston comme l’un des cinquante héros de la liberté de la presse des cinquante dernières années, ndlr). Si on arrive à me faire plier, ce sera un signal très fort venant du gouvernement. Cet acharnement est un calcul politique.