L’Algérie face au tabou du sida


Lecture 6 min.
Le ruban rouge, symbole de la lutte contre le Sida
Le ruban rouge, symbole de la lutte contre le Sida

Selon des statistiques du ministère algérien de la Santé, il n’existe que 700 cas de malades du sida et 1 908 personnes séropositives dans le pays. Mais les chiffres seraient beaucoup plus importants, selon les associations de lutte contre le sida. De nombreux Algériens, influencés par les préjugés sur cette maladie, hésiteraient encore à se faire dépister. Comme nous l’explique l’association Etoile culturelle d’Akbou, qui s’est donnée comme mission de prévenir les jeunes contre le VIH et les maladies sexuellement transmissibles. Entretien avec son président, Miloud Salhi.

Par Vitraulle Mboungou

L’Algérie compte officiellement près de 700 malades du VIH et 1 908 séropositifs. Apparue dans le pays en 1985, la maladie reste un tabou dans la société. Les associations de lutte contre le sida estiment que les chiffres sont sous-estimés. Elles prônent, malgré la résistance de certains, la prévention et l’utilisation du préservatif pour endiguer la pandémie. A l’image de l’association Etoile culturelle d’Akbou qui entend changer la perception du sida en Algérie notamment par des actions de prévention originales. Elle a ainsi organisé du 25 au 29 juin dernier le « Tour de l’espoir », une compétition cycliste, pour diffuser le message.

Afrik : Le ministère de la Santé parle de 700 personnes atteintes du sida et 1 908 séropositives dans le pays. Que pensez-vous de ces chiffres ?

Miloud Salhi : Ces chiffres sont sans aucun doute plus importants car beaucoup de personnes ne se font pas dépister, ce qui empêche de connaître le nombre exact de malades.

Afrik : Comment expliquez-vous les réticences par rapport au dépistage ?

Miloud Salhi : En Algérie, qui dit dépistage dit sida. C’est un sujet qui n’est pas encore entré dans les moeurs. Il fait partie, avec la sexualité, la pornographie et la pédophilie, des sujets encore très tabous dans notre société. Et pourtant ce sont des phénomènes qui existent, il faudra bien en parler à un moment ou à un autre.

Afrik : Justement, comment sont accueillies vos initiatives au sein de la société civile ?

Miloud Salhi : Notre travail suscite énormément de résistances dans la société. Encore une fois, le mot préservatif reste un tabou pour la population. Il peut provoquer des réactions violentes. Nous avons été agressés durant notre périple à Tizi Ouzou où la distribution des préservatifs a failli très mal tourner. Trois hommes ont saccagé l’exposition que nous avions montée. Ce qui ne nous a pas empêché de continuer et d’aller de l’avant. Nous continuons à prôner un esprit de citoyenneté et de solidarité envers les malades.

Afrik : Il semblerait que beaucoup d’imams vous accusent de promouvoir la prostitution ?

Miloud Salhi : Effectivement, ils nous accusent d’incitation à la débauche, ce qui n’est nullement notre démarche. Elle est plutôt pédagogique, nous voulons simplement protéger et préserver notre jeunesse. Et puis comme je l’ai dit avant, la pornographie et la prostitution existent en Algérie. Alors je pense qu’il est temps de casser les tabous. Sinon, nous travaillons aussi sur le plan religieux en nous efforçant d’expliquer aux gens que le ministre des Affaires religieuses est également très impliqué dans ce combat, qu’il gère les programmes de lutte contre la maladie dans le pays. Mais nous avons aussi besoin de l’engagement des autres associations et des élus locaux pour prendre la relève dans ce travail de prévention, et assurer la continuité de notre action, afin que l’information soit diffusée en continu. Le rôle de la presse est tout aussi important pour sensibiliser au niveau national et international.

Afrik : Ne pensez-vous pas qu’un débat sur la sexualité est également nécessaire ?

Miloud Salhi : Parfaitement, nous pensons qu’un changement de comportement accompagné d’une prise en charge de l’éducation sexuelle chez les jeunes est impératif. C’est même vital, elle doit commencer dès l’enfance.

Afrik : Disposez-vous d’autres moyens de prévention ?

Miloud Salhi : Nous travaillons sur le plan éducatif depuis dix ans, auprès des jeunes pour tenter de ralentir la propagation de ce fléau. Nous avons ainsi un programme annuel que nous appelons la « caravane de l’espoir ». Nous sillonnons le pays à bord d’une caravane, nous allons dans les milieux professionnels, universitaires, scolaires. La tournée 2006 commence ce mois-ci jusqu’en décembre. Nous avons également installé des relais partenaires Aids Solidarité dans les grandes villes du pays, comme Ghardaïa. Nous tentons également de sensibiliser les nombreux Subsahariens qui transitent dans cette ville à la porte du Sahara. Détail important : nous ne faisons pas de prise en charge des malades. Nous sommes plutôt spécialisés dans l’orientation et l’aide psychologique. Lorsque de tels cas se présentent, nous les orientons vers nos relais Aids Solidarité.

Afrik : Existe-t-il beaucoup d’associations comme la vôtre dans le pays ?

Miloud Salhi : Le pays compte quelques associations qui font un travail remarquable sur le terrain. Des associations comme Anisse Anaba, Santé Sidi el Wari à Oran, la Ligue de prévention et de sauvegarde de la jeunesse et de l’enfance à Tizi Ouzou avec qui nous sommes partenaires, la FOREM à Alger et enfin El Hayet, qui s’occupe des personnes vivant avec le VIH.

Afrik : Vous avez organisé du 25 au 29 juin dernier le « Tour de l’espoir », une compétition cycliste. Pourquoi avoir choisi le vélo comme moyen de prévention dans la lutte contre le sida ?

Miloud Salhi : Nous voulions d’abord impliquer un mouvement sportif dans la prévention et la lutte contre ce fléau. Nous avons choisi le cyclisme car c’est une discipline sportive très rare en Algérie, et pas très connue du public, notamment dans les villages. Mais c’est aussi un sport attrayant qui a la capacité de rassembler énormément de gens sur son passage. C’est aussi un sport surtout pratiqué chez les jeunes, un public que nous voulons absolument toucher. Nous avons délibérément choisi la période estivale pour avoir plus d’impact auprès des jeunes, car c’est la période où ils sortent le plus s’amuser et faire des rencontres.

Afrik : Quel était votre objectif en organisant cette compétition ?

Miloud Salhi : Promouvoir le dépistage auprès des jeunes. Nous tentons de leur faire comprendre qu’il existe des centres anonymes où ils peuvent aller en toute discrétion. Nous essayons également de leur faire comprendre que le dépistage est aussi important pour détecter les autres maladies sexuellement transmissibles. Nous prônons l’utilisation des préservatifs au même titre que la fidélité et l’abstinence. Mais force est de constater que beaucoup de personnes continuent de prendre des risques. Le préservatif reste donc, pour le moment, le premier moyen de lutte.

Afrik : Quelles ont été les réactions après le « Tour de l’espoir » ?

Miloud Salhi : Les réactions ont été positives dans l’ensemble. Nous avons reçu beaucoup de coups de téléphone, des associations qui désirent adhérer à notre réseau, beaucoup d’engagements d’élus locaux et de médecins psychiatres, psychologues. C’est quelque chose d’extraordinaire, car cela signifie que l’information est passée. Nous avons également bénéficié du soutien de l’Unicef. Beaucoup de parents ont aussi appelé pour demander de l’aide. Mais je tiens à signaler que nous ne sommes qu’un maillon à travers toute cette chaîne de coordination. Cette tournée est une première en Algérie. Nous comptons rééditer l’expérience l’année prochaine.

Newsletter Suivez Afrik.com sur Google News