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Alors que Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur, prône une politique de confrontation avec l’Algérie sur la question des expulsions, sa stratégie se heurte aux réalités juridiques internationales et aux enjeux diplomatiques complexes entre les deux pays. Une analyse des tensions actuelles qui révèle les limites d’une approche unilatérale face à un partenaire stratégique majeur.
L’attaque terroriste qui vient d’être perpétré à Mulhouse par un ressortissant algérien sous OQTF (Obligation de Quitter le Territoire Français) a ravivé les tensions entre Paris et Alger. Au cœur de cette crise, le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau multiplie les appels à un « rapport de force » avec l’Algérie, illustrant une approche qui se heurte aux réalités du droit international et des relations diplomatiques complexes entre les deux pays.
La question des OQTF cristallise les tensions. Si le ministre accuse Alger d’entraver l’expulsion de ses ressortissants, la position algérienne s’inscrit dans le strict respect des procédures consulaires internationales. Les autorités algériennes soulignent que la délivrance des laissez-passer consulaires répond à des critères précis, garantissant notamment l’identité et la nationalité des personnes concernées.
Par ailleurs, Alger pointe une responsabilité française dans la gestion de la radicalisation sur son territoire, rappelant que la prévention du terrorisme relève d’abord des autorités nationales du pays où les actes sont commis.
La menace de sanctions contre Air Algérie, qui a refusé d’embarquer des OQTF, brandie par Retailleau, illustre cette méconnaissance des cadres juridiques internationaux. Le PDG de la compagnie a rappelé que les protocoles de l’Organisation de l’Aviation Civile Internationale (OACI) imposent des règles strictes en matière de transport de passagers sous contrainte. Ces normes, ratifiées par la France elle-même, prévoient notamment des conditions spécifiques de sécurité et le consentement explicite des personnes transportées. Ce qui en l’occurrence n’était pas le cas pour les OQTF concernés.
Des tensions diplomatiques ancrées dans l’histoire coloniale
Les tensions franco-algériennes s’inscrivent dans un contexte plus large de désaccords diplomatiques. La position française sur le Sahara occidental cristallise particulièrement les divergences. En annonçant l’ouverture d’une représentation sur ce territoire, la France prend le contrepied des résolutions de l’ONU qui reconnaissent le Sahara occidental comme un territoire non autonome en attente de décolonisation. Cette décision contrevient aux principes fondamentaux du droit international, notamment la résolution 1514 de l’Assemblée générale des Nations Unies sur l’octroi de l’indépendance aux pays et peuples colonisés.
L’affaire Boualem Sansal vient complexifier ce tableau diplomatique déjà tendu. L’arrestation de l’écrivain franco-algérien, bien que conforme au droit algérien, a été instrumentalisée par l’extrême droite française pour alimenter un discours de confrontation. Les déclarations d’Éric Zemmour niant le statut de nation à l’Algérie ou celles de Marion Maréchal s’inscrivent dans une rhétorique révisionniste sur la colonisation, en contradiction flagrante avec le droit international et les conventions de Genève.
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Cette instrumentalisation politique place Bruno Retailleau dans une position délicate. Sous la pression du Rassemblement National, qui l’accuse d’inaction par la voix de Jordan Bardella, le ministre se trouve contraint de durcir sa rhétorique. Les propos volontairement polémique de Louis Sarkozy, menaçant de « brûler l’ambassade » d’Algérie, illustrent une surenchère verbale qui complique davantage la recherche de solutions diplomatiques.
Les enjeux dépassent pourtant largement le cadre migratoire. L’Algérie reste un partenaire stratégique majeur pour la France, notamment dans le domaine énergétique avec ses importantes réserves de gaz naturel. La coopération sécuritaire dans la région sahélienne, cruciale pour la lutte contre le terrorisme, nécessite également un dialogue constructif entre les deux pays. Les accords de coopération économique, estimés à plusieurs milliards d’euros, soulignent l’interdépendance des deux économies.
Une stratégie de confrontation aux conséquences potentiellement désastreuses
Comme le souligne l’ancien Premier ministre Dominique de Villepin, « ce n’est jamais dans l’escalade qu’on règle les crises. » La stratégie de confrontation adoptée par Retailleau, loin de renforcer la position française, expose ses limites face aux réalités du droit international et des impératifs diplomatiques. Le ministre loin de se rehausser se décrédibilise en prônant un discours qu’il ne peut appliquer. C’est ce qui le rend si sensible sur l’immigration en général et la question algérienne en particulier. Pourtant, l’histoire des relations franco-algériennes démontre que seul un dialogue respectueux des souverainetés et du droit international peut permettre des avancées concrètes.
Cette approche belliqueuse risque non seulement d’échouer sur la question des OQTF, mais également de compromettre des intérêts français plus larges en Afrique du Nord. La solution réside probablement dans un retour au respect scrupuleux du droit international et des procédures diplomatiques établies, seul cadre permettant de construire des relations bilatérales équilibrées et mutuellement bénéfiques.