Pour la première fois depuis son indépendance, l’Algérie a un ministère chargé des Affaires africaines. Alger rééquilibre sa politique étrangère en se rapprochant de l’Afrique, domaine qu’elle a abandonné dans les années 80. Interview de notre partenaire El-Watan.
Vous dirigez le premier ministère chargé des Affaires africaines. Quelle est au juste la politique africaine de l’Algérie ?
Avant de parler de politique africaine de l’Algérie, il y a lieu de parler d’abord et avant tout de sa dimension africaine. L’Algérie a un ancrage africain. Celui-ci est d’ordre politique, économique, culturel et géographique. Il est donc très profond. Il va de soi que l’Algérie doit avoir une politique en direction de l’Afrique.
Peut-on la connaître ?
Le fait d’appartenir à l’ensemble africain nous dicte un comportement multidimensionnel. Nous sommes concernés par ce qui se passe en Afrique, par tout ce qui est de ses préoccupations. Comme le règlement des conflits et des défis actuels auxquels elle doit faire face. Tout cela nous touche directement. Il va de soi que le fait d’être attentif à toutes ces questions nous oblige à avoir un comportement en direction de l’Afrique.
Peut-on dire qu’auparavant l’Algérie avait une politique africaine ?
Oui. L’ancrage africain de l’Algérie lui dicte certains comportements. Il y a eu trois grandes périodes depuis l’indépendance. Celle d’abord post-indépendance durant laquelle elle s’est investie dans la libération du continent. La seconde, développée vers la fin des années soixante-dix, correspondait à la phase de constitution des Etats. Il y avait une approche avec une multiplication de directions en matière de coopération.
C’est durant cette période que fut constaté un repli de l’Algérie, n’est-ce pas ?
C’est plutôt durant la période suivante, celle des années 1980-1990 durant lesquelles l’Algérie fut confrontée à des problèmes de politique intérieure, tandis que l’Afrique connaissait de grands bouleversements. C’est un peu la période où l’Afrique est entrée dans un cycle de secousses.
Mais l’Algérie n’a pas capitalisé les rapports privilégiés qu’elle avait avec des mouvements de libération aujourd’hui au pouvoir…
Les différentes régions du continent ont connu des mutations très profondes. Il y eut l’émergence de nouvelles élites, l’achèvement de la décolonisation en Afrique australe, et la chute de l’apartheid ces dernières années. Le paysage politique a complètement changé induisant des rapports totalement différents. Ce que je peux dire, c’est qu’il n’y a jamais eu de rupture dans les relations entre l’Algérie et l’Afrique. Il y a eu des périodes très, très fortes, et d’autres assez creuses, mais il ne s’agit en aucun cas de repli.
Que devient dans ce cas l’ensemble sahélo-saharien qui se réunit depuis quelques années sous la direction d’un autre pays ?
L’Algérie est saharienne et sahélienne. Elle entre en profondeur en Afrique. Nous avons une politique sahélienne marquée par d’excellents rapports avec nos voisins comme le Mali, le Niger, le Burkina Faso et le Tchad. Cette politique est concrète et multidimensionnelle. Elle se concrétise par la construction d’un ensemble sous-régional cohérent, complémentaire et solidaire. Il y a donc une politique avec des axes extrêmement précis et autour desquels nous construisons une coopération spécifique liée à la nature de cet espace.
Sur un plan plus global, il y a ce qu’on appelle l’axe Alger-Abuja-Pretoria. En quoi consiste cette action qui se développe depuis 1999 ?
J’allais parler de cette quatrième étape. Depuis son élection, le président Abdelaziz Bouteflika a décidé de gérer cet ancrage africain. Cette période coïncide avec l’avènement de régimes démocratiques comme au Nigeria. Mais je préfère parler de convergence d’intérêts, et non pas d’axe.
Nous sommes trois pays (Algérie, Afrique du Sud et Nigeria ndrl) aux mêmes potentialités, nous partageons la même vision des problèmes auxquels l’Afrique est confrontée, et nous avons aujourd’hui la même démarche quant aux solutions qui doivent être envisagées et qui sont partagées par d’autres pays africains. Nous tentons de proposer des solutions aux problèmes africains et de redéfinir les relations de l’Afrique avec les autres pays, notamment les pays développés, dans le cadre d’un partenariat de type nouveau qui tient compte des intérêts de l’Afrique et qui peut se faire au profit de tous. Il y a donc convergence d’intérêts et de visions entre les chefs d’Etat des trois pays.
Ces trois pays parlent pourtant au nom de l’OUA…
Il se trouve qu’il y a une coïncidence. M. Abdelaziz Bouteflika a assuré la présidence en exercice de l’OUA, M. Thabo Mbeki (Afrique du Sud) est président en exercice du Mouvement des non-alignés, et M. Obasanjo (Nigeria) préside le groupe des 77. C’est ce concours de circonstances qui a fait que les trois chefs d’Etat se sont retrouvés dans différents forums pour défendre les intérêts de l’Afrique. Ce qui a permis de formuler l’initiative de partenariat pour le renouveau africain. Les relations de l’Afrique avec le reste du monde doivent changer de nature. Ce que nous voulons, c’est que le monde s’intéresse davantage au continent africain en termes d’investissements, d’infrastructures et d’ouverture de leurs marchés aux produits africains. C’est une question de mise à niveau du continent pour qu’il soit réellement attractif au bénéfice de l’Afrique et du monde développé.
Il reste que la communauté internationale ne fait pas le même effort pour tous les conflits. Pis encore, les dirigeants sahraouis parlent souvent d’actions en vue de sortir du plan de paix de l’ONU…
A l’égard de ce conflit, la position de l’Algérie est claire depuis l’inscription de cette question sur la liste des territoires non autonomes, soit depuis 1965-1966 quand les Nations unies se sont saisies de ce dossier et sous l’angle de la résolution 1514 portant octroi de l’indépendance aux peuples et territoires coloniaux. Il s’agit donc d’un territoire à décoloniser, et du parachèvement d’un processus de décolonisation qui ne peut se faire qu’à travers l’exercice par le peuple sahraoui de son droit inaliénable à l’autodétermination. C’est une position qui n’a pas changé depuis pratiquement quarante ans.
Mais il suffit d’une résolution pour que le peuple sahraoui soit privé de ce droit…
Il s’agit aujourd’hui non seulement d’un processus de décolonisation à parachever, mais d’un processus référendaire qui a déjà commencé à parachever. C’est une question qui est inscrite à l’ordre du jour de l’ONU sous le thème de territoire à décoloniser. C’est clair et net.
Dans la doctrine des Nations unies, tout processus de décolonisation ne peut se régler qu’à travers l’exercice par un peuple de son droit à l’autodétermination. C’est ce qui est réaffirmé chaque année par l’Assemblée générale de l’ONU.
Mais en demandant aux deux parties de rechercher une solution politique, le secrétaire général de l’ONU ne s’éloigne-t-il pas de ce plan ?
Le problème ne se pose pas en ces termes, mais plutôt en termes d’obstacles. Il faut faire une lecture de cette résolution. Elle rappelle tout d’abord toutes les résolutions des Nations unies stipulant et appuyant le droit du peuple sahraoui à l’autodétermination.
C’est clair. Toutes ces résolutions rappellent la pertinence et la validité du plan de paix de l’ONU. La seule différence ces trois dernières sessions, c’est que le Conseil de sécurité a constaté la présence d’obstacles qu’il faut lever.
Trouvez-vous normal que l’ONU accorde un nouveau délai au Maroc ?
Si le Conseil de sécurité a estimé utile de proroger de deux mois seulement le mandat de la Minurso, c’est qu’il est certain que c’est là un délai acceptable pour débloquer la situation et permettre la mise en oeuvre des accords de Houston signés par les deux parties et endossés par la communauté internationale. C’est pour dire qu’en matière de décolonisation, la doctrine de l’Algérie n’a jamais varié. Elle se confond avec celle de la communauté internationale qu’il s’agisse du Sahara occidental ou d’autres territoires.
L’Union africaine vient d’être créée. N’est-ce pas une OUA bis ?
L’OUA a été créée dans un contexte historique bien précis, celui de la libération du continent. En tant que structure, et à travers sa charte, ses mécanismes et ses organes, elle a vécu une période tournée vers la libération et en cela elle fut un outil extraordinaire dans l’expression de la solidarité africaine et la mobilisation du continent.
Il fallait donc la réadapter dans un monde en pleine mutation afin de faire face aux exigences de l’heure que l’Union africaine entend justement prendre en charge à travers les mécanismes qui seront mis en place comme le parlement africain, la cour de justice ou la banque africaine. Quant au Traité d’Abuja instituant la Communauté économique africaine, il reste d’actualité et il est pris en charge par l’Union africaine. Différentes régions en Afrique tendent à cet égard à développer l’intégration de leurs économies. A l’instar du Maghreb où on assiste à une dynamisation de l’UMA. Tout cela pour parvenir à moyen terme à une intégration africaine.
Ne pensez-vous pas qu’avec plus de moyens l’OUA aurait pu les prendre en charge ?
Pour ce qui est du règlement des conflits, les mécanismes de prévention ont montré leurs limites d’abord par le manque de moyens. Des Etats africains sont impliqués directement dans certains conflits et il est très difficile de mobiliser ces moyens. Pour ce qui est du conflit en République démocratique du Congo par exemple, nous avons parcouru le monde pour réunir seulement cinq millions de dollars. Et ce n’est pas avec cette somme que nous pourrons réunir les moyens humains et matériels nécessaires pour surveiller un cessez-le-feu sur une ligne de front de près de 2000 kilomètres. Il y a des limites objectives. Des efforts qui doivent être faits aussi bien par les Africains eux-mêmes que par la communauté internationale. Il faut créer une synergie entre les acteurs directs et indirects de ce conflit. C’est-à-dire que ce conflit doit être réglé par les Congolais d’abord, ensuite les pays voisins, puis les Nations unies et les pays étrangers qui ont des intérêts directs ou indirects en RDC.
La présence de l’Algérie au dernier sommet France-Afrique est un événement. Qu’en est-il au juste ?
Nous encourageons tout ce qui est forum de partenariat entre l’Afrique et le reste du monde. Nous avons encouragé le sommet Chine-Afrique, nous en faisons autant pour le sommet avec les Etats-Unis et avec le Japon, et nous devons relancer la coopération arabo-africaine. Cela entre dans la politique de l’Algérie d’avoir avec les partenaires traditionnels de l’Afrique un débat d’un type nouveau. Le mécanisme France-Afrique était le seul auquel l’Algérie n’appartenait pas. Là aussi, il faut reconnaître que ce mécanisme a beaucoup changé. Ce n’est plus le pré-carré français avec ses accords de défense des années 60-70. Ce forum est d’abord ouvert à tout le monde. On constate aussi chez la France une approche nouvelle dans sa politique africaine. Elle est de plus en plus ouverte et plus à l’écoute des pays africains, et les Français ont tenu un discours beaucoup plus européen que français.
T. Hocine