Le gynécologue Omar Abdulkadir est sous les feux de la critique en Italie depuis qu’il a proposé une alternative médicale à l’excision. Le spécialiste d’origine somalienne, qui espère faire de la piqûre du clitoris un « rite symbolique », s’est attiré les foudres des associations de défense des droits de la femme. Elles estiment que cette pratique porte préjudice au combat mené pour éradiquer une fois pour toute les mutilations génitales féminines.
Médicaliser une mutilation génitale féminine. Le gynécologue italien d’origine somalienne Omar Abdulkadir nourrit l’espoir de voir légalisée la piqûre du clitoris en Toscane (région du nord de l’Italie). Son projet, qui vise à faire reculer l’excision ou l’infibulation, a provoqué un véritable tollé dans la société et la sphère politique italiennes. D’autant plus que le spécialiste combat avec énergie ces pratiques. Il dirige même, à l’Hôpital Careggi (Florence), le Centre de prévention et de traitement des complications liées au mutilations génitales féminines (MGF). Les associations de défense des droits des femmes s’érigent contre cette proposition. Elles estiment qu’elle briserait les efforts de prévention destinées à faire reculer les MGF.
Demande des femmes est-africaines
Le Dr Abdulkadir n’a pas eu cette idée seul. Il répond à la demande des Africaines, principalement originaires d’Afrique de l’Est (Somalie, Ethiopie, Erythrée et Soudan), qui souhaitaient trouver une alternative aux MGF, tout en respectant la tradition. Le gynécologue a trouvé un compromis. « Contrairement à ce que certains prétendent, je ne compte pratiquer aucune excision. Je propose une anesthésie locale du clitoris, dans lequel une aiguille serait enfoncée afin de recueillir quelques gouttes de sang. En général, les Ouest-Africaines s’opposent à mon projet parce qu’elles estiment que c’est une autre forme de mutilation. Mais les Somaliennes qui sont venues me voir sont d’accord avec cette suggestion de rite symbolique ne provoquant pas de blessure. Et je pense que ce serait une bonne façon de faire reculer les pratiques plus extrêmes et plus dangereuses, qui mettent en danger les enfants », explique Omar Abdulkadir. Ces enfants, ce sont les quelque deux millions de fillettes menacées, chaque année dans le monde, d’être excisées (ablation du clitoris et des petites lèvres) ou infibulées (excision plus ablation des grandes lèvres, dont les bords sont cousus pour ne laisser qu’un étroit passage pour l’écoulement de l’urine et des règles). Des pratiques dangereuses et parfois meurtrières, que les communautés justifient par le respect de la tradition ou de la religion.
Selon le gynécologue somalien, la mise en pratique de ce nouveau rite est sans danger. « L’Organisation mondiale de la santé (OMS) ne classe pas cette pratique comme étant une mutilation génitale féminine. C’est une pratique que l’on peut très bien faire en dehors du cadre hospitalier. Il ne s’agit que d’une simple piqûre qui n’a aucune incidence sur le physique ou le mental de l’enfant », insiste le Dr Abdulkadir. Faux rétorque l’antenne française d’Amnesty International. « Cette pratique figure belle et bien parmi les mutilations génitales féminines interdites par l’OMS, au même titre que la cautérisation ou l’ouverture du vagin. La piqûre du clitoris affecte forcément sa fonction, à savoir donner du plaisir. Mais il faut aussi souligner que cet acte touche à l’intégrité physique et morale de l’enfant ».
Proposition paradoxale
Selon Cristiana Scoppa, porte-parole de l’Association italienne pour les femmes en développement (Aidos), le projet du Dr Abdulcadir a été retenu au niveau de la commission de bioéthique locale de Florence, où il travaille. Mais le mouvement contestataire est majoritaire dans le pays. Rien qu’à Toscane, la région où exerce le gynécologue, « environ 4 000 femmes ont subi une MGF et entre 400 et 500 fillettes risquent de connaître le même sort », selon ses estimations. Si l’Italie n’a pas de loi spécifique condamnant les MGF, elle les a toujours fermement combattues. « Nous, les femmes italiennes, nous avons lutté pour que le corps de la femme soit inviolable. Accepter la proposition de ce gynécologue reviendrait à considérer que le corps des Africaines est moins important que le notre », souligne Cristiana Scoppa également membre du programme contre les MGF d’Aidos.
Les associations de défense du droit des femmes estiment que l’attitude du Dr Abdulkadir est paradoxale. « Il travaille dans un centre de Florence (nord, ndlr), où il désinfibule les femmes et répare, quand c’est possible, les conséquences fâcheuses et parfois irréversibles (frigidité, incontinence ou encore infertilité, ndlr) des MGF. Mais d’un autre côté il propose une alternative à ces pratiques en en proposant une autre à la place ! S’il veut mettre en place un ‘rite symbolique’ pour faire reculer les pratiques dangereuses, il n’a qu’à demander aux gens de planter un arbre ou de faire une fête, comme on le fait dans certains pays africains », s’emporte Diye N’Diaye, une anthropologue sénégalaise, également membre de l’association de femmes immigrées Nosotras.
Travail de prévention menacé
Au-delà du paradoxe, le monde associatif craint un anéantissement du travail de prévention sur les MGF mené depuis plusieurs années. « Si cette forme de mutilation est acceptée, c’est prendre le risque d’envoyer le message que certaines MGF sont moins graves que d’autres », souligne Cristiana Scoppa de l’Aidos. Sentiment partagé à la section française d’Amnesty International, où on ajoute qu’aucun compromis n’est possible avec la lutte contre les mutilations génitales féminines. « Il y a quelques années, nous avions tenté de faire médicaliser l’excision pour que la vie des petites filles ne soit plus en danger. Mais nous avons rapidement abandonné cette option, jugeant qu’elle tendait plus à légitimer la pratique plutôt qu’à la faire disparaître. Le vrai combat, c’est abolir toutes les MGF », précise Sabrine Al’Rassace, consultante sur les mutilations génitales féminines de l’association.
Un combat mené avec un succès grandissant en Afrique, où une quinzaine de pays interdit ou restreint la pratique des MGF. Alors la nouvelle de la médicalisation d’une piqûre du clitoris fait trembler celles qui se sont investies pour y mettre fin. « Au Sénégal, d’où je suis originaire, des villageoises analphabètes se battent pour faire bouger les choses. Si le projet du Dr AbdulKadir est accepté et que la nouvelle se répand, je crains que tout leur travail, comme celui des autres femmes qui combattent ces mutilations, ne soit réduit à néant », commente Diye N’Diaye. Et d’ajouter qu’après les efforts fait sur le continent, il serait plus qu’étonnant de voir un pays européen légitimer ce que certains Etat africains tentent d’éradiquer.
Opposition politique
Les défenseurs des droits des femmes ont bon espoir que le projet du Dr Abdulkadir soit rejetée par les autorités sanitaires de Toscane. La classe politique, qui compte prochainement légiférer sur les MGF, a elle aussi pris position. Notamment Emma Bonino (Parti radical transnational) ou encore Caroline Lussana (députée de la Ligue du Nord), qui s’y opposent fermement. Du côté du corps médical, Rita Levi Montalcini, Prix Nobel de médecine 1986, s’est érigée contre la proposition du gynécologue somalien. Avec en toile de fond un puissant mouvement de protestation et la Journée internationale « Tolérance Zéro » contre les mutilations génitales féminines de vendredi, le projet du gynécologue devrait être encore plus contesté.