Ce 31 décembre sera l’occasion de faire doublement la fête. L’Aïd El Kebir coïncide avec le réveillon. Etudiants, salariés, de la classe aisée ou moyenne… Comment les Algériens vont-ils concilier les deux événements ? Reportage.
Cette année, il y aura du mouton à midi et du champagne le soir ! » plaisante, Kenza, 17 ans, étudiante dans une école de commerce à Alger. Ce 31 décembre sera l’occasion de faire doublement la fête, car l’Aïd El Kebir coïncide avec le réveillon. « Je ne changerai rien à mes habitudes sauf si mes amies, elles, restent en famille », précise-t-elle. Comment les Algériens vont-ils concilier les deux événements ?
De l’avis général, les traditions prendront nettement le dessus sur les cotillons. Mais les plus fêtards s’arrangeront toujours pour sortir le soir. A condition de pouvoir se le permettre, car réveillonner est avant tout une affaire de moyens. « Le réveillon est plutôt fêté dans les grandes villes, par des gens qui ont de l’argent », remarque Abdelkrim, enseignant. Pour lui, « Beaucoup d’Algériens se contentent de rester en famille et améliorent un peu leur repas quotidien avec une bûche. » Boualem, chercheur à El Kala, à 500 km à l’est d’Alger, exclut toute sortie. « Il faudrait se déplacer jusqu’à Annaba et cela reviendrait trop cher », confie-t-il.
Une soirée en famille ou entre amis
Les étudiants, eux, s’organisent. A en croire Tarek, 29 ans, employé chez Nedjma, l’Aïd n’empêchera pas les plus rusés de s’enrichir. « Je connais des jeunes qui se regroupent, témoigne-t-il, louent une salle, mettent quelques bricoles à grignoter, font venir un bon DJ et vendent l’entrée à 1000 DA ! » Le succès est assuré pour les jeunes, sûrs de faire venir des garçons et des filles. « Pour les filles qui ne sortent pas le reste de l’année, analyse Kenza, le réveillon est la seule occasion de se défouler un peu ! »
D’autres profitent de la nuit pour se retrouver entre amis. « On prépare une petite soirée, si possible chez celui qui a la plus grande maison ou… des parents sympas qui s’en vont ! » Abdel et Karima, fonctionnaires à Alger, font partie de ceux-là. « On a déjà laissé le pavillon à nos enfants pour aller réveillonner ailleurs, se souvient Karima. A eux de se répartir les tâches avec les copains : la cuisine, la musique. » Nassima, 20 ans, sait que ce 31 ressemblera aux précédents, avec ou sans Aïd. Pas question de rester devant la télé à manger du mouton avec les cousines. « A la dernière minute, on improvise une bouffe entre amis avec des produits qui sortent de l’ordinaire : dinde, bûche et alcool, promet-elle. Cela nous revient moins cher qu’une sortie en boîte et on est sûr de bien s’amuser. »
Dans certaines familles un peu plus aisées, le réveillon prend des allures de repas de Noël. « Le 31 à la maison ressemble à un réveillon à Paris, assurent Abdel et Karima. On achète des coquilles Saint-Jacques, des huîtres, du foie gras, du saumon fumé, des marrons… car aujourd’hui, il est possible de trouver ces produits à Alger ! » La discothèque est finalement réservée aux étrangers ou aux jeunes les plus fortunés. « Les tarifs des boîtes, la nuit du 31, deviennent franchement inaccessibles, regrette Tarek. L’entrée, à 600 DA en temps normal, passe à 7000, voire 12 000 DA ! » A Oran, les prix sont plus abordables. « On peut trouver une soirée comprenant repas, boissons et musique à 2000 ou 3000 DA », relève Kamel, 42 ans.
L’Aïd porte préjudice aux agences de voyage
Au Hilton d’Alger, où se prépare un réveillon Broadway (16 000 à 19 500 DA la soirée), le service commercial se montre optimiste : « Les gens vont rester en famille à midi, mais rien ne les empêchera de sortir le soir ! » Dans les agences de tourisme de la capitale, en revanche, l’humeur n’est pas à la fête. L’Aïd porte un coup aux petits séjours de fin d’année dans le Sud algérien, en Tunisie ou même au Maroc. « Nous enregistrons au moins 70% de demandes en moins », estime-t-on à l’agence de tourisme Sunshine, boulevard Mohammed V. Chez Red Tours, rue Charasse, l’hôtesse reconnaît aussi que le nouvel an à l’étranger est « un peu compromis ». Il faut dire que les tarifs restent hors de portée pour la plupart des Algériens : entre 60 000 et 70 000 DA la semaine du côté de Tamanrasset, 45 000 et 50 000 DA en Tunisie, 93 000 DA au Maroc et 78 000 DA la croisière en Egypte. « Pourtant, nous avons à cette période des promotions intéressantes, souligne une hôtesse de Sofitours, sur l’avenue Hassiba Ben Bouali. On peut trouver une formule ‘’5 jours et 4 nuits’’ en Tunisie à 22 000 DA… »
Et les plus riches ? « Ceux-là ne sortent pas ! », ironise Tarek. « Les jet-setteurs, comme on les appelle, organisent de grosses soirées privées dans leur immense villa, avec tout ce qu’il faut sur place : nourriture, alcool, danseuses, musiciens. » En marge d’une classe moyenne, tournée vers les siens.
Par Mélanie Matarese, pour El Watan