L’Afro : une monnaie unique pour l’Afrique


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Mansour Ciss Kanakassy et Baruch Gottlieb

Plus fort que le franc CFA, voici l’Afro, première monnaie continentale matérialisée. Sauf que celle-ci reste avant tout une œuvre d’art et un puissant concept artistique à la gloire du panafricanisme. Symbole d’espoir, la devise imaginaire ne laisse personne indifférent. Ses créateurs, le Sénégalais Mansour Ciss Kanakassy et le Canadien Baruch Gottlieb nous expliquent les fondements de leur démarche et témoignent de l’accueil du public.

La première monnaie panafricaine a un nom : l’Afro. Une initiative toutefois uniquement artistique développée depuis deux ans par Mansour Ciss Kanakassy et Baruch Gottlieb. Rencontrés à la biennale des arts de Dakar (Dak’art 2004), ils définissent l’Afro comme symbole d’espoir et un outil de conscientisation au panafricanisme. De l’argent donc qui n’en est pas, mais qui intrigue et séduit de plus en plus de monde. Un écho auquel Afrik ne pouvait rester sourd.

Afrik : Pourquoi avoir créé l’Afro ?

Mansour Ciss Kanakassy : L’Afro pose le problème de la décolonisation et la délimitation des frontières. L’Afrique a été partagée à la Conférence de Berlin en 1885. Cent ans avant la naissance de mon premier enfant dans cette même ville où j’habite aujourd’hui. L’Afro est né d’un laboratoire. Celui de la Déberlinisation. La monnaie n’est pas quelque chose d’abstrait. Nous avons voulu montrer comment on pouvait être indépendant avec ce médium, comment sortir de la décolonisation. Dès que vous avez les poches pleines vous êtes libres. Toutes ses frustrations, toute cette domination est exprimée à travers un langage que tout le monde peut comprendre.

Baruch Gottlieb : Mansour a été inspiré par la dévaluation du franc CFA. Une dévaluation qui a prouvé que le CFA est toujours contrôlé par la France. Le CFA n’est pas une monnaie uniquement africaine. Et Mansour a voulu concevoir une devise qui appartient vraiment au continent. C’est la fantaisie d’un avenir idéal. On l’a concrétisée d’une manière très facile à comprendre pour les gens. Tout le monde sait ce qu’est la monnaie. Sauf que là ce n’est pas une véritable monnaie que l’on peut échanger, mais une monnaie qui a une valeur morale et artistique.

Afrik : Quel accueil l’Afro rencontre-t-il ?

Baruch Gottlieb : Il suscite à chaque fois la curiosité. Tout le monde veut en savoir plus. Ils nous demandent des explications. Ce qui nous permet d’entrer dans un discours avec eux. Nous faisons de l’art conceptuel. Ce qui est en général très élitiste. Mais en choisissant un support tel que l’argent, nous arrivons à le rendre beaucoup plus accessible.

Afrik : Quelles sont vos ambitions avec l’Afro ?

Mansour Ciss Kanakassy : L’Afro : c’est la concrétisation de l’espoir. C’est un appel à toutes les bonnes volontés et à toutes les consciences pour une Afrique unie, émancipée, développée. Nous souhaitons susciter des émotions et créer une effervescence au niveau des politiques autour de la conscience africaine nouvelle.

Afrik : Faut-il considérer l’Afro comme de l’art numérique ?

Mansour Ciss Kanakassy : On a voulu créer une monnaie imaginaire. Il nous a donc fallu la conceptualiser et la matérialiser. Il fallait pour cela utiliser des technologies nouvelles et les arts numériques.

Afrik : Vous avez même reproduit des éléments de sécurité, comme la tige métallique ou les numéros de série.

Baruch Gottlieb : Parce que l’Afro est une œuvre d’art. Nous avons numéroté les billets parce que ils sont en série limitée. C’est important pour les collectionneurs. Nous n’en avons imprimés que 1 000. Il faut une certaine preuve d’authenticité. Nous avons recherché les technologies les plus avancées pour reproduire au mieux les tiges de sécurité. Nous n’avons pas pu mettre des hologrammes car nous n’en avions pas les moyens.

Afrik : Vous avez opté pour du papier indéchirable pourquoi ?

Mansour Ciss Kanakassy : Nous avons opté pour le papier indéchirable parce que nous voulions une monnaie qu’on ne peut pas détruire. Cela répond aussi à une réalité africaine qui veut que les Africains n’utilisent pas de porte-monnaie. Ils transportent directement l’argent dans leur poche. Ce qui fait que les billets s’abîment relativement vite.

Afrik : Quels sont vos plus belles réussites avec l’Afro ?

Mansour Ciss Kanakassy : On en a parlé dans le journal économique des Nations Unies. Le siège de la Banque centrale des Etats d’Afrique de l’ouest (Dakar) a conservé une série de notre premier tirage. Par ailleurs, nous avions réussi à coloniser un Village africain, programme culturel développé à Viennes l’été dernier (Autriche, ndlr). On ne pouvait y entrer qu’en changeant, à la « Banque centrale des Etats-Unis d’Afrique », ses euros contre des afros. Afros que l’on pouvait dès lors utiliser comme moyen de paiement.

Baruch Gottlieb : Quand nous installions notre kiosque de présentation en 2002 au Sénégal, les personnes qui travaillaient pour nous ont voulu l’Afro au lieu des francs CFA. Bien qu’ils savaient que nos billets n’avaient pas de valeur monétaire. Ils aimaient le graphisme du billet et le fait qu’il y avait Senghor dessus. Ça nous a vraiment bouleversé. Nous avons réalisé que nous avions vraiment accompli quelque chose. Nous leur avons expliqué notre idéal et ils nous ont juste répondu : « Pourvu que ça se fasse dans la réalité ».

Afrik : Le Président Abdoulaye Wade a vu les Afros. Comment a-t-il réagi au concept artistique ?

Mansour Ciss Kanakassy : La première question qu’il m’a posé était : « Est ce de la fausse monnaie ? » Je lui ai répondu que nous étions en train de créer, que nous n’étions pas des copieurs ou des faussaires. Comme vous le savez, c’est un intellectuel et un économiste. Il nous dit qu’il avait déjà discuté avec ses pairs d’une monnaie africaine, mais qu’elle ne s’appellerait pas l’Afro, mais l’Eco.

Afrik : Pourquoi avoir mis Senghor comme seul personnage célèbre sur les billets ?

Mansour Ciss Kanakassy : Abdoulaye Wade nous a posé la même question : « Pourquoi Senghor ? Pourquoi n’avez-vous pas fait Ouphouêt Boigny ? » Il nous avait dit que Senghor ne s’était pas prononcé sur les questions économiques. Senghor : parce que c’est lui qui m’a insufflé mon inspiration quand il parlait de métissage biologique et naturel. J’ai quitté la tradition pour aller vers l’innovation. Mais nous avons fait figurer la tête de Senghor uniquement sur la première version de nos billets pour rendre hommage à l’homme de culture. Sinon nous ne voulons pas rentrer dans le piège du choix de tel ou tel panafricaniste.

Afrik : Comment symboliser le panafricanisme sans les grandes figures de l’unité africaine ?

Baruch Gottlieb : Nous avons rassemblé diverses cultures à travers l’architecture et les textiles. Nous avons dessiné le futur avec beaucoup d’imagination pour éviter de personnaliser les billets. Nous avons imaginé ce que serait le nouveau développement de l’Afrique à travers les réseaux de transport aérien et des réseaux de transport routier et ferroviaire. Nous avons axé sur les transports. Nous avons cherché d’autres héros du panafricanisme. Mais je n’aime pas mettre un visage en deux dimensions parce que ça déifie la personne. Nous n’avons pas encore trouvé exactement ce que nous cherchions, mais nous allons travailler en 2005 avec les étudiants qui sont engagés dans l’aventure sur l’iconographie de l’espoir. Ou comment trouver une façon de communiquer à travers toute l’Afrique.

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