De sombres récits de femmes africaines et asiatiques transportées par les trafiquants d’êtres humains dans les pays riches pour y être réduites à l’état d’esclaves font trop souvent les grands titres des journaux du Nord. Mais on parle beaucoup moins d’un phénomène peu connu, la traite d’êtres humains en Afrique même. Joy Ezeilo, expert près de l’ONU, a révélé à Afrique Renouveau certains aspects des activités du milieu criminel qui se livre à ce trafic.
Lorsque Isoke Aikpitanyi, une Nigériane de 20 ans, s’est vu offrir en 2000 un emploi en Italie, elle a sauté sur l’occasion. La vie chez elle était pénible et les perspectives de travail pour les jeunes femmes rares. Elle savait qu’il lui faudrait entrer illégalement dans le pays et accomplir un travail mal rémunéré et subalterne, peut-être comme domestique ou bonne d’enfants. Mais cela valait mieux que le chômage au Nigéria. C’est après son arrivée en Italie que les choses ont mal tourné. On lui a fait savoir que “les étrangers démunis d’un titre de séjour n’avaient d’autre choix que de faire le trottoir. On m’a dit que je devais rembourser 20 000 dollars. J’ai été une esclave sexuelle. On m’a trompée en me faisant venir en Italie pour un emploi qui n’existait pas.”
Ce type de commerce illégal des êtres humains reposant sur la fraude et la violence et connu comme “traite des êtres humains” rapporte aujourd’hui des milliards de dollars à des trafiquants du monde entier.
Le Rapporteur spécial sur la traite des êtres humains du Haut-commissariat aux droits de l’homme de l’ONU, Joy Ezeilo, affirme que la grande majorité des Africains et des Africaines victimes de ce trafic ne quittent jamais le continent, “les victimes de la traite en Afrique sont forcées d’accomplir des tâches ménagères et de travailler dans les champs et dans la construction, tout en servant comme objets sexuels. On s’est surtout soucié de la traite à des fins d’exploitation sexuelle à l’extérieur de l’Afrique, alors que ces autres formes d’exploitation existent à l’intérieur des frontières du continent, sur une très grande échelle”, a-t-elle expliqué à Afrique Renouveau.
Complexité des facteurs
Un rapport récent de l’Office de l’ONU contre la drogue et le crime (ONUDC) confirme qu’il s’agit d’un phénomène de grande ampleur alimenté par la situation économique, les demandes saisonnières de main d’œuvre, les conflits militaires et la dégradation de l’environnement qui bouleversent les conditions de vie, ainsi que par les pratiques culturelles et la discrimination à l’égard des femmes ou d’ethnies.
Les autorités du Mali ont signalé qu’en 2006 il y a eu 119 cas connus d’enfants (81 garçons et 38 filles) victimes de la traite. Près des deux tiers avaient été envoyés à l’intérieur du pays. La plupart de ceux acheminés hors du Mali ont été retrouvés dans les pays limitrophes.
Dans le sud-ouest du Nigéria, un millier d’enfants du Bénin voisin ont été découverts alors qu’ils servaient comme main d’œuvre forcée dans les carrières, les victimes, certaines à peine âgées de six ans, étaient forcées de travailler huit à dix heures par jour, parfois sept jours par semaine, sans rémunération et sans une alimentation ou un hébergement décents.
Exploiter la pauvreté, la tradition
Joy Ezeilo souligne que l’ampleur et la diversité de la traite des êtres humains en Afrique, conjuguées à la perméabilité des frontières du continent et à la carence des organismes chargés de faire appliquer les lois, rendent ce phénomène pratiquement impossible à arrêter. “Les gouvernements ont du mal à savoir comment aborder ce problème et où porter leur attention.”
Pour asservir les gens, les trafiquants profitent également de la tradition de l’apprentissage et d’autres pratiques culturelles dont celle courante de placer des jeunes filles pauvres comme personnel de maison dans des familles plus aisées moyennant l’hébergement et la scolarisation. Bon nombre d’entre elles ne mettent jamais les pieds dans une école. “La plupart des familles n’ont pas la moindre idée de la manière dont on traite leurs enfants”, souligne Joy Ezeilo.
Persécution des vulnérables
Elle souligne par ailleurs certaines similitudes partagées par les victimes, “elles se retrouvent toutes dans des situations vulnérables. Chez les femmes, les inégalités entre les sexes contribuent à les placer dans ces situations. Certaines, sans instruction et sans un métier, n’ont d’autres choix que de rejoindre les rangs des victimes. D’autres fuient des mariages forcés et des maris violents.”
Lutter contre la traite des êtres humains
Mais les trafiquants commencent à faire face à une opposition mieux organisée. Au Burkina Faso, le Parlement a adopté en 2003 une loi qui pénalise la traite de toute personne de moins de 18 ans et a créé une section spéciale des forces de l’ordre chargée d’en assurer l’application. Les condamnations pour traite ont plus que doublé entre 2004 et 2006, bien que leur nombre total reste faible. Une loi pénalisant la traite des adultes est à l’examen.
Mme Ezeilo se félicite de l’action du Ghana et du Nigéria dans ce domaine. Ces pays ont passé des lois contre la traite des êtres humains et établi des sections spéciales de lutte contre ce fléau, tout en procédant à l’examen des cas d’infraction et en poursuivant énergiquement ses auteurs devant les tribunaux. Au Nigéria, le nombre des condamnations est passé de huit en 2007 à 24 l’année suivante. Le Nigéria offre des soins médicaux et psychologiques aux victimes et leur accorde des visas temporaires, des permis de travail et une aide financière. Pour sa part, l’Union africaine a marqué la Journée 2009 de l’enfant africain, célébrée le 16 juin, par le lancement d’une campagne panafricaine.
“Cela démontre l’importance de la volonté politique, affirme Mme Ezeilo, la volonté des gouvernements de faire cesser ce type d’activité peut s’avérer payante.”
L’auteur de l’article, Michael Fleshman, écrit pour Afrique Renouveau.