En marge des méga-spectacles et des têtes d’affiche, la banlieue de Brazzaville vit, elle aussi, à l’heure du Fespam 2001. Sur scène, de simples troupes de quartier, au talent extraordinaire, unies par la seule passion de la musique et de la danse. Explosif.
J’ai vu des hommes et des femmes littéralement transportés par la musique. J’ai vu des choeurs puissants vibrer à l’unisson d’une même foi. J’ai vu les meilleurs danseurs de toute ma vie. J’ai vu l’unité et l’harmonie simple et profonde d’une Afrique authentique et ancestrale. J’ai vu la joie et l’enthousiasme. J’ai vu et j’ai compris. L’essence du rythme est là, ici, partout. Des gens comme vous et moi, et pourtant…
Le Festival panafricain de musique (Fespam) bat son plein depuis lundi dernier à Brazzaville. Des festivités ponctuées, au centre-ville, de grands rendez-vous avec des méga-stars du continent et de la diaspora. Mais le spectacle est ailleurs, en banlieue. Ici, peu ou pas de publicité. Si c’est la curiosité qui vous a amenés là, alors on ne peut plus dire qu’elle est un vilain défaut. Au contraire.
Un cadre rustique
Nous sommes à Bacongo, un des grands quartiers de Brazzaville. Loin du palais du parlement, centre de toutes les attentions, nous sommes probablement ici au coeur de l’esprit du Fespam. Le centre culturel Sony Labou Tansi ne paye pas de mine. Perdu en périphérie de la capitale, mon taxi ne sait même pas où il se trouve. On tourne, on demande, puis il me pose, pensais-je, en plein milieu de nulle part.
Quelques fanions roses, rouges et jaunes accrochés au mur ou en travers de la salle, cinq malheureux spots de couleur qui éclairent tout sauf la salle : la déco est pour le moins spartiate. Avec ses murs blancs et ses poutres d’acier peintes en bleu ciel, la salle offre près de cent places assises. Mais c’est plus du double de public qu’il faut compter, les petits étant assis sur les genoux des plus grands et les plus grands partageant parfois la même chaise.
Artisanat culturel total
« Je vous rappelle que vous avez vingt minutes. 4, 3, 2, 1, allez-y ! », s’exclame le maître de cérémonie. Le groupe est en place et les premières mesures tombent avec la force de cataractes. Les voix s’élèvent. Les percussions, uniques instruments des musiciens, ne tardent pas à se trouver pour fusionner dans un ensemble puissant pour poser les rails de la danse.
L’ensemble traditionnel Change Boss’Ignango du quartier de Talangaï est titanesque. Presque exclusivement féminin. Elles sont près de 100 sur la scène, toutes vêtues du même pagne vert et jaune et du T-shirt blanc de leur association. Au centre, trois tambours donnent le ton. Autour, assises en cercle 80 femmes assurent en cadence les coeurs. Ronde mouvante et chantante vibrant d’une même émotion. Puis les danseuses entrent en piste. Bassins montés sur roulements à billes. La cadette honore à peine ses douze ans, la doyenne près de ses soixantes. Tout est mouvement, instincts rythmiques, force de vie.
Plus talentueux les uns que les autres
Vingt minutes de transes. Toutes les femmes ressortent luisantes de cette sueur libératrice. Alors on croit avoir tout vu. Oh que non ! Car c’est au tour du groupe traditionnel Boutcheleka, « la vérité » en langue vernaculaire, du quartier Kinsoundi. Formation mixte plus modeste avec, « seulement », 30 personnes sur scène. Pagnes et pantalons bleus, t-shirt blancs éculés frappés des modestes armoiries de l’association, peintes au pochoir. Ils sont bien loin des sapeurs congolais, mais alors quelle force, quelle énergie.
Moyenne d’âge 40 ans. Et on ne tarde pas à se demander à quoi peuvent-ils bien tous carburer. Quelle drogue mystérieuse aurait bien pu mettre une telle vigueur à l’intérieur de leur corps. Emmenés par la cloche, trois tambours et l’incontournable chorale, les six danseurs et danseuses de Kinsoundi sont époustouflants de vitalité et d’inspiration corporelle. Certains ont l’âge d’être mes parents. Je reste pantois.
Le spectacle est certes sonore mais il est surtout visuel. Joutes de danse, les trois danseurs alignés font face à leurs homologues féminines. Jeu de la séduction, chacun va, à son tour, rejoindre, avec force phases de danse, un partenaire adverse. Coups de bassin suggestifs puis on retourne à sa place, sur l’autre rive. Irrésistible. Calés sur le tempo des instruments, ils respirent le rythme. Tout est cadence, tout semble naturel. Déconcertant. Surtout quand on sait qu’ils ne répètent que le dimanche. Ils ont la vie en eux.