Le cinéma africain fait une entrée rafraîchissante au festival de Cannes. Les réalisateurs, malgré leur peu de moyens, apportent leur engagement au septième art. Un militantisme qui n’empêche pas une rare maîtrise cinématographique. Zoom sur trois films.
Abouna de Mahamat-Saleh Haroun
Tchad, Quinzaine des réalisateurs, Cannes 2002
Au Tchad se développe un étrange phénomène : tous les matins des hommes disparaissent, laissant derrière eux femme et enfants. Mahamat-Saleh Haroun a choisi de se pencher sur ceux qui restent, une famille plongée dans le désarroi par le départ du père. Cette désaffection va entraîner une lente chute : ses deux fils de quinze et huit ans font l’école buissonnière, puis sont envoyés dans une pension coranique lointaine, le petit traverse des crises d`asthme de plus en plus violentes tandis que la mère sombre peu à peu dans la folie. Malgré ce constat amer, le film dégage beaucoup de douceur : grâce à un travail sur les couleurs chaudes qui illuminent l’image, grâce à la tendresse qui se dégage des relations entre les deux frères, mais aussi avec leur mère. Et puis le père n’est pas totalement absent puisqu’une photo immense d’une plage magnifique qu’il leur a envoyée laisse présager d’un ailleurs meilleur. Très classique dans la forme, Abouna est surtout porté par le respect des personnages. » Filmer les gens relève forcement d’une certaine morale » souligne le réalisateur, » et c’est dans le respect qu’on arrive à révéler la part de vérité des personnages. »
Encadré
Le réalisateur est né en 1961 au Tchad, Il a suivi des études au Conservatoire libre du cinéma français, puis un IUT de journalisme à Bordeaux. En 1999 son premier long métrage, » Bye Bye Africa » a reçu deux prix au festival de Venise. Abouna a été produit par Duo Films (Guillaume de Seille et Abderrahmane Sissako), une société qu`ils ont créée ensemble après le film » La vie sur terre » de Sissako. Ce dernier connaît Haroun depuis dix ans et a choisi de l`aider pour ce film.
Terra incognita de Ghassan Salhab
Franco Libanais, Un certain Regard, Cannes 2002
Beyrouth, ville sept fois détruite, sept fois ressuscitée. Comment faire le portrait d’une ville à travers ses habitants ? Soraya guide des touristes à qui elle exhibe les vestiges de sa civilisation, tout en s’abandonnant à de nombreux amants. Leyla n’en finit pas de porter son propre deuil, réfléchit au destin de la ville en cherchant le sien, Nadire, architecte enfermé devant son ordinateur, reconstruit à l’infini les plans d’une Beyrouth imaginaire. Terek, lui, est revenu à Beyrouth mais ne sait plus bien pourquoi, alors que tous cherchent à quitter la ville. Enfin Haidar, journaliste à la radio, spectateur de l’actualité, est un dernier témoin de la situation que dénonce le réalisateur : » nous ne sommes certes plus en état de guerre, mais nous ne sommes pas plus en paix : c’est une sorte d’improbable entre-deux « . Cette jeunesse perdue tente pourtant de reconstruire comme elle peut. La question de l’exil hante le film, car » tout Libanais sait ce que signifie partir « . Les chants, des plus traditionnels à la techno sont autant de respirations dans l’étouffement progressif de la ville. Le corps est au coeur de cette réflexion, dans cette Beyrouth en perpétuelle mutation : » la ville est comme un serpent, si elle ne change pas de peau, elle meurt « .
Encadré :
Le réalisateur est un Libanais qui a passé son enfance au Sénégal. Après un court passage au Liban, il est venu faire ses études à Paris en 1975. Il vit aujourd’hui entre la France et le Liban. Son précédent film, en 1998, s’appelait Beyrouth fantôme. La diaspora libanaise est l’une des plus importantes au monde (l’Unesco estime que dix à douze millions de Libanais sont exilés dans le monde contre trois fois moins d’habitants au Liban). Le film a été produit par Agat Films pour la France, un collectif de producteurs réunis autour du réalisateur Robert Guédiguian.
Rachida de Yamina Bachir
Algérie-France, Un certain regard, Cannes 2002
En Algérie, aujourd’hui, une jeune institutrice se prend une balle dans le ventre parce qu’elle a refusé de poser une bombe dans l’école où elle enseigne. Victime, Rachida va pourtant devoir expier encore en quittant la ville et son fiancé, pour se réfugier avec sa mère dans un petit village proche d’Alger. Mais là aussi, les terroristes règnent en maîtres, jusqu’à une attaque nocturne sanglante qui laisse le village profondément endeuillé. S’attaquer à un tel sujet, lorsque l’on est une femme (les victimes préférées des terroristes), et qui plus est, choisir de tourner en Algérie malgré le danger constant, est en soi un message de courage. Comme dit la mère de Rachida à sa fille » le courage est l’enfant de la peur… « . Et c’est ce que va apprendre la jeune Rachida, en continuant envers et contre tout à nseigner dans une école dévastée.
Comme le revendique sa réalisatrice, » Rachida est un hymne à la paix, à la tolérance, et au courage de tous les anonymes « .
Encadré :
La réalisatrice a longtemps été monteuse pour le cinéma et Rachida est son premier long métrage (un parcours qui ressemble a celui de Moufida Tatli a qui on doit le très beau Les silences du Palais sur la condition féminine au Maroc). Le film a été produit par les Français de Ciel Production.