Première partie – La tragédie récente de Naïrobi nous donne incontestablement matière à penser. La logique de la terreur, d’aussi loin que l’on remonte dans l’histoire de l’humanité, est celle de l’instrumentalisation de la peur engendrée par une violence sans bornes pour soumettre les foules au diktat de minorités assoiffées de jouir du pouvoir pour le pouvoir.
Terroriser l’Autre, c’est le mettre en demeure de choisir entre la préservation de sa vie biologique et le sacrifice de celle-ci dans une lutte à mort pour sa dignité. C’est imposer à l’Autre, la peur de mourir comme arrière-fond de tous ses actes. C’est faire planer sur des sociétés entières, comme s’y emploient les nébuleuses d’Al-Qaida, de Boko Haram, des Shebab somaliens ou des jihadistes du Nord-Mali, l’épée de Damoclès sempiternelle de la mort violente comme récompense de toute tentative émancipatoire.
Le terrorisme n’est rien d’autre que la propagande politicienne signée par le sang des innocents et la promesse d’un ordre politique qui y fera structurellement et continuellement recours. Qui ne voit pas ainsi qu’au cœur de l’Afrique, la diagonale qui va du nord-ouest de l’Afrique au Sud-Est du Continent se prépare à faire des terres natales de l’Homo sapiens, un califat de la peur, un empire de la violence arbitraire, un immense océan de larmes sans fin ? Qu’il se justifie par des raisons politiciennes, religieuses ou économiques, le terrorisme comme pratique et comme théorie, est le refus explicite de la politique au sens noble du terme, c’est-à-dire, de la recherche d’un vivre ensemble dans la liberté, l’égalité et la fraternité humaines. Or l’Afrique, du nord au sud, de l’est à l’ouest, a urgemment besoin de la noblesse du politique. Le quasi milliard d’habitants qu’elle comptera dans les prochaines décennies exige une modernisation tous azimuts des institutions socio-économiques, politiques, culturelles et surtout spirituelles qui encadrent la marche des peuples de l’ancien continent dans le siècle présent. Pourtant encore, c’est précisément au moment où le besoin d’institutions modernes se fait urgent que surgit, contre toutes les attentes légitimes des peuples et élites démocratiques africains, le coup de semonce de l’archaïsme terroriste, comme une sorte de parenthèse de préhistoire rouverte en plein temps modernes. S’imposent alors, redoutables les questions suivantes : 1) Comment en sommes-nous arrivés à cette incroyable situation ? 2) Que faire maintenant que nous sommes mis en demeure de combattre la Terreur qui s’internationalise au cœur de l’Afrique ? J’essaie dans la présente tribune, d’exposer par anticipation, quelques résultats de mes Méditations sur le terrorisme en Afrique, essai en cours de rédaction qui sera prochainement soumis à l’opinion.
I. Comment en sommes-nous arrivés là en Afrique ?
Il faudrait, à mon sens, se débarrasser au préalable de toutes les mauvaises réponses à cette question. La vulnérabilité géostratégique actuelle de l’Afrique face au terrorisme n’a pas, contrairement à certaines opinions opportunistes en présence, une histoire simplement récente. Le terrorisme ne nous est pas tombé dessus comme une pluie subite de saison sèche équatoriale. Il puise sa force de nuisance dans les faiblesses structurelles africaines et continuera de le faire tant qu’elles persisteront. En réalité, il y a trois façons fausses d’expliquer la vulnérabilité de l’Afrique au terrorisme : la première relève des théories de la fatalité, qui puisent amplement dans le registre de l’afro-pessimisme ; la seconde relève de la vulgate de l’anticolonialisme dogmatique, qui fait du terrorisme un succédané logique de l’impérialisme occidental ; la troisième relève d’un certain athéisme militant, fortement inspiré par la vision marxiste de la société, qui condamne le terrorisme sur les mêmes bases que la critique marxienne de la religion la disqualifie a priori comme mystification idéologique contre les opprimés. Analysons donc ces fausses représentations du problème, en insistant sur les raisons pour lesquelles elles ne tiennent pas debout. Nous trouverons sans doute ainsi seulement, une genèse plus objective de la vulnérabilité africaine contemporaine au terrorisme.
Pour les amateurs de la thèse afro-pessimiste, l’Afrique n’est pas seulement mal partie. Elle est par essence le continent de la malchance. Bourrée de richesses naturelles, peuplée de sociétés recroquevillées sur l’ethnicité, incapables de se projeter sur l’avenir, prisonnières d’un présent, voire d’un passé traditionnel qui ne passe pas, les nations africaines seraient des monuments d’immobilisme historique et politique dont il n’y aurait plus rien à attendre, sinon qu’elles disparaissent à terme dans les flots de la mondialisation et de la globalisation capitalistes. L’afro-pessimisme africain explique dès lors le terrorisme anti-africain et intra-africain contemporain comme l’expression tangible de ce malaise dans la civilisation des Africains, qui la rend allergique aux changements qualitatifs, au développement, à la démocratie représentative, et finalement, à toute forme de modernité envisageable. La terreur en Afrique, répondrait dès lors comme un écho au masochisme africain, cette habitude perpétuelle du malheur qui se traduirait chez les Africains par l’attente permanente d’un Père Noël général qui finalement jamais ne viendra. Qui ne voit pas, sans tomber dans les travers tout aussi pervers d’un afro-optimisme qui affirmerait tout le contraire de la thèse afro-pessimiste, les limites et abus intrinsèques à la thèse qui explique la vulnérabilité de l’Afrique au terrorisme par la malédiction structurelle du continent noir ? L’argument afro-pessimiste est par essence paresseux, car il n’énonce jamais les auteurs de la malédiction africaine. Il n’établit jamais suffisamment que si les ressources naturelles africaines ne profitent pas équitablement aux peuples africains, c’est pour des raisons historiquement situables, et avec des responsabilités internes et externes tout aussi évidentes. L’afro-pessimisme néglige enfin, un peu trop vite, ce que six décennies d’indépendance ont permis de bâtir à travers le continent, bon an, mal an : des Etats, tout de même fonctionnels pour la plupart, dotés de repères infrastructurels et d’une expérience du gouvernement des hommes et des choses qui ne sont pas rien à l’échelle de l’histoire longue. Des sociétés civiles de plus en plus dynamiques, capables d’absorber et d’utiliser efficacement les moyens de la modernité économique, politique, culturelle, technologique et même spirituelle. Des individualités exceptionnelles, dans les domaines des arts, des sports, des sciences et techniques, et même de la promotion des valeurs de civilisations de portée universelle. Nier tout cela, comme le fait l’afropessimisme, c’est donc se rendre incapable de penser et de panser la terreur qui assaille l’Afrique contemporaine. La lutte contre le terrorisme ne supposera-t-elle pas un bilan réaliste de la situation contrastée et ambivalente des peuples, nations, Etats et organisations internationales africaines, afin d’opérer par-ci et par-là les réformes ou les révolutions, les ruptures ou les continuités qui s’imposent ? (à suivre)
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