L’Afrique a rendez-vous le 18 septembre prochain à Monaco pour le Famous. Le Festival Asia/Africa pour les œuvres universelles de solidarité, qui se tiendra à Monaco, est le fruit d’une collaboration étroite entre deux continents pour impulser une dynamique citoyenne basée sur des micro-projets. Amobé Mévégué, père de l’initiative, et Nicolas Druz, patron du groupe de presse asiatique United Daily News, nous expliquent la logique d’un tel partenariat. Interview croisée.
« Pour une Afrique debout ». Le Festival Asia/Africa de Monaco pour les œuvres universelles de solidarité se tiendra le 18 septembre prochain. Loin d’une vision philanthropique du développement du continent, l’initiative, organisée autour d’un grand gala, se veut avant tout concrète et pragmatique. Le but affiché est d’impulser et de suivre un ensemble de micro-projets en Afrique, essentiellement, mais également en Asie, en créant des synergies citoyennes. Pourquoi un partenariat entre l’Afrique et l’Asie ? Les deux instigateurs de l’événement, deux hommes de média Amobé Mévégué (RFI, Afrobiz…) et Nicolas Druz (patron du puissant groupe chinois United Daily News), ont répondu à nos questions.
Afrik : Quelle est la logique qui sous-tend ce rapprochement Afrique/Asie dans le cadre du festival Famous ?
Amobe Mévégué : Il se trouve que dans mon entourage j’ai des gens de toutes les origines et de toutes les classes sociales qui partagent un idéal : celui de l’amélioration des conditions de vie du plus grand nombre. C’est au départ une alchimie qu’on ne peut pas expliquer puisque c’est lié au hasard. Mais ce sont des rencontres qui se transforment en amitié, avec des gens qui ont de la compétence, une expertise dans leur secteur d’activité et qui ont un peu les mêmes visions de la vie.
Afrik : A quel titre, M Druz, participez-vous à l’aventure de Famous ?
Nicolas Druz : J’y participe en mon nom, mais aussi parce que je représente l’un des plus grands groupes de communication du bassin du Pacifique, le United Daily News, un groupe à dominante chinoise. Entre ces continents il y a certainement des relations qui datent de la route de la soie, des épices, de beaucoup de choses. Je trouve absolument formidable que l’on puisse aujourd’hui faire des choses ensemble. Parce que discuter, se connaître, c’est bien mais ensuite il faut agir et faire des choses concrètes. On veut trouver des gens qui ont des projets concrets. C’est ça que nous voulons soutenir.
Afrik : Quelles relations avez-vous avec Amobé Mévégué ?
Nicolas Druz : Quand on a cette chance dans la vie de rencontrer des personnes qui ont des valeurs morales et qu’elles vous proposent quelque chose, il ne faut pas réfléchir. Il faut y aller. Si ça marche, tant mieux. Sinon tant pis. Mais il faut le faire, ça vaut le coup. Ce que j‘ai constaté, c’est qu’un imbécile qui marche va plus vite qu’un intelligent qui réfléchit. Je ne pense pas que nous soyons complètement idiots, mais on essaie de marcher. Alors peut-être que cela aboutira à la réalisation de belles choses.
Afrik : On assiste à une recrudescence de la grogne anti-chinois, notamment en Côte d’Ivoire et au Sénégal. Dans ce contexte, une association Afrique/Asie est-elle opportune ?
Amobe Mévégué : Ce sont des épiphénomènes. Le jour où il y a une petite friction entre le Gabon et le Cameroun ou entre le Sénégal et la Mauritanie, on ne va pas jeter tous les Camerounais et les Mauritaniens dehors. Ce sont des choses qui arrivent. Je pense que c’est très malsain de la part de certains manipulateurs de vouloir dresser des populations contre d’autres alors qu’elles ont un vrai challenge à partager. A savoir que la Chine devient la première puissance industrielle mondiale et que l’Afrique est sans doute le plus grand grenier du monde.
Nicolas Druz : Je vis en France, mais quand je me regarde dans la glace, je vois bien que je ne suis pas un Français comme les autres. Le racisme, j’en ai souffert toute ma vie. La chose la plus facile à faire quand on est un démagogue, c’est de dresser des gens les uns contre les autres à cause de leurs différences. Je crois que la démarche de Famous va dans le sens inverse.
Afrik : Pourquoi avoir choisi des partenaires asiatiques pour Famous, un évènement plutôt tourné vers l’Afrique ? N’était-il pas possible de le faire entre Africains ?
Amobe Mévégué : L’essence de ce que je donne, je le donne à la jeunesse du monde. Je suis Africain, donc, ma préférence va au continent africain. Mais ma vision du monde n’est structurée par la couleur de la peau. Je ne choisis pas mes amis en fonction de ce critère. Et je pense que c’est une vision très étriquée du partage et du sens que l’on donne à son existence si on coopte les individus en fonction de leur origine. Je dirais même que les Africains ne sont pas tous les meilleurs alliés pour la jeunesse africaine. Et je mets quiconque au défi de venir me démontrer le contraire. Nous sommes partis sur cette idée : nous travaillons avec l’Afrique, la Caraïbe, les diasporas noires du monde en direction d’une cible déterminée qui est la jeunesse. Nous avons l’opportunité de le faire avec l’Asie ? Qu’est-ce que les gens ont à vouloir absolument faire du séparatisme ? Si je travaille demain avec des Africains, on me demandera pourquoi. En tant que Camerounais, je ne travaille pas qu’avec des gens d’Afrique centrale ! Nous avons dépassé ça. Nous ne sommes pas dans la contemplation, mais dans l’action. Que ceux qui parlent montrent ce qu’ils ont fait.
Afrik : Famous n’est-il pas une opportunité pour les Asiatiques de « se placer » un peu plus encore en Afrique ?
Amobe Mévégué : J’ai envie de poser la question à l’envers. Qu’est-ce que l’Afrique peut trouver en Asie ? Parce qu’il s’agit d’un échange. L’essentiel est de rester soi-même. Est-ce que nous nous sommes reniés ? Nous défendons des valeurs de l’Afrique et de la Caraïbe. Lorsque effectivement demain nous aurons l’opportunité de faire la même chose dans une capitale du monde asiatique, nous n’allons pas nous gêner pour le faire. Ce qui m’intéresse, c’est le pragmatisme. C’est une initiative des diasporas noires du monde qui tend la main à des frères d’Asie, qui font la même chose de leur côté. Nous pensons qu’ensemble nous pouvons effectivement changer un peu la donne. Allez demander aux enfants avec lesquels nous travaillons sur ces projets pilotes s’ils se posent la question de la globalisation, des nouveaux termes de l’échange. L’idée ne les effleure même pas.
Afrik : Le concept pourrait s’exporter partout alors ?
Amobe Mévégué : Oui, il n’est lié à un lieu géographique. Et puis pourquoi Monaco ? Simplement parce que nous avons eu l’opportunité de le faire là-bas. Je ne suis pas fermé. Le monde est un village planétaire.
Afrik : Vous voulez oeuvrer pour l’Afrique et dans une moindre mesure pour l’Asie. Est-ce par simple philanthropie ?
Nicolas Druz : Je suis tout à fait pour le proverbe chinois : ‘Donne un poisson à un homme et il se nourrira une journée. Apprends lui à pêcher et il se nourrira toute sa vie’. Si vous faites de la philanthropie au sens primaire du terme, vous transformez les gens en assistés. Il faut les aider, bien entendu, mais il faut leur montrer qu’ils sont capables de faire des choses. Ce n’est pas la peine de partir sur de très gros projets. Ce qu’il faut, ce sont des citoyens. Dans une pièce d’Eschyle, qui s’appelle Les Suppliantes, il y a cette phrase : « La démocratie, qu’est-ce que c’est ? Celui qui a un bon avis pour la Cité, qu’il s’avance et qu’il parle ». C’est ce que nous voulons faire. Que les gens se mettent debout et qu’ils parlent.
Amobe Mévégué : Nous avons décidé d’être très pragmatiques et le pragmatisme pour nous est avant tout économique. Moi je ne suis pas dans le philanthropisme. Je trouve inadmissible qu’on continue à avoir un continent qui mendie alors qu’il alimente les économies d’autres continents. Nous avons donc décidé, autour de micro-projets, de mettre en place des opérations concrètes qui permettront de commercer à dégager des fonds et de les redistribuer.
Afrik : Y a-t-il un implication réelle des Africains dans les projets que vous allez mettre en place ?
Amobe Mévégué : La famille Jah à Ouidah, au Bénin, une famille rasta qui a réussi le retour en Afrique et qui regroupe autour d’elle des enfants venus de toutes les contrées d’Afrique pour leur donner un cadre d’épanouissement intellectuel, pédagogique et socio-sanitaire. Nous avons, autour de ce projet de retour en Afrique, constitué une initiative citoyenne réunissant plusieurs corps de métier, notamment de jeunes architectes africains qui pétrissent un projet de construction de sites d’habitation en Afrique tenant compte des matériaux locaux, de l’architecture, la dimension environnementale … Ce sont là des choses très concrètes où il y a une lisibilité à dimension humaine, puisque nous parlons de micro-projets, et qui sont effectifs sur le terrain. En dehors de Ouidah, nous avons un projet avec le Burkina qui, autour des Nuits atypiques de Koudougou, un festival qui s’est greffé sur les Nuits atypiques de Langon en France, génère une action socio-sanitaire et pédagogique au bénéfice de près 400 enfants. Ce sont des initiatives faites par des citoyens lambda qui n’ont aucune institution propre et qui sont soutenus par le réseau que nous avons mis en place. C’est le cas au Sénégal avec le cinéma de l’Empire. Il y a également plusieurs initiatives au Cameroun, au Bénin et ailleurs.